— Par Roland Sabra —
Dernier chapitre de la trilogie « Face à leur destin », « Incandescences « d’ Ahmed Madani souligne la cohérence et la force de l’ensemble du projet. Illumination(s) en 2012 évoquait trois générations d’hommes immigrés venus d’Algérie sur fond de séquelles de Guerre d’Algérie, F(l)ammes en 2016 portait sur les relations mère/fille dans les quartiers dits « sensibles ». Dans « Incandescence » ce sont une petite dizaine, neuf exactement, jeunes femmes et jeunes hommes, nés de ces parents ayant vécu l’exil et résidant dans des quartiers populaires qui vont faire découvrir au public un monde trop souvent ignoré. Pendant un an et demi l’auteur-en-scène comme il se nomme, va organiser des rencontres sous forme de stages, d’entretiens en tête-à-tête, d’atelier videographiques, avec des jeunes autour d’un thème principal, l’amour pomymorphe, celui qui a présidé à la rencontre de leurs parents et celui qu’ils espèrent, attendent ou vivent au quotidien. Ils évoqueront le premier baiser, donné ou reçu, l’attente, l’émoi, les espérances déçues, les désillusions. Ils le diront avec cette force de la jeunesse, cette exhalation du corps en désir, cette pulsion de vie qui les animent.
Ahmed Madani va recueillir cette rosée du matin de leur vie et la réécrire au plus près de leur dires pour en faire émerger dans ces parcours entremêles, les correspondances et les contradictions entre le familial et le social, l’intime et le politique, l’individu et le collectif, le communautarisme et l’universalisme. Le poids des traditions, à la fois entraves à l’intégration et parties prenantes des constructions identitaires, est abordé dans différentes postures, de la soumission distanciée à la révolte. Tel Sisyphe et son rocher le combat entre injonctions et émancipations se réinvente sans cesse en se déplaçant sur le terrain omniprésent des écrans de smartphones, des réseaux sociaux qui encensent et condamnent, construisent et détruisent tout aussi vite la réputation, cet autre nom de l’honneur et la violence sous-jacente à laquelle il est lié comme en témoignent ces crimes du même nom. Toujours cet obscur besoin d’appartenance qui travaille en sourdine! Comment sortir de ces cases, figurées sur le mur d’images, en fond de scène ? Par ce travail de distanciation, de symbolisation, de sublimation dirait Freud, d’un vécu, qui sans cela demeureait obsur et confus, qu’autorise le théâtre !
Ils font sur scène preuve d’une énergie débordante, d’une vitalité inépuisable. Ils sont la vie dans toutes ses dimensions ludiques, joyeuses et inventives. Ils dansent, ils chantent, ils jouent, il s’attirent, ils se repoussent pour mieux se réunir. Mais qui sont-ils ces « Ils » sur le plateau ? Des comédiens ? Pas tout à fait, mais en devenir très certainement! Certains retourneront peut-être dans leur cité, transformés par cette expérience qui les marquera à jamais, d’autres, c’est certain, poursuivront ce travail sur les planches et qui est toujours à recommencer.
Roland Sabra