Polygone Desclieux – 23 novembre 2019
Le 22 septembre 1870, prolongeant les luttes de nos ancêtres pour la liberté et la dignité, éclatait la grande Insurrection du Sud de la Martinique. Un millier d’hommes et de femmes ont brandi l’étendard de la révolte dans un puissant mouvement populaire qui remettait en question l’ordre colonial et la société post-esclavagiste de la deuxième moitié du XIXe siècle.
L’Insurrection de septembre 1870 a illustré avec force le courage, l’audace, l’esprit de sacrifice des insurgés, parmi lesquels les femmes et la jeunesse ont joué un rôle de premier plan. Elle a rassemblé, dans une même espérance, anciens esclaves, mais aussi Congos et Indiens nouvellement arrivés, préfigurant une première forme d’unité au sein de notre peuple.
Commémorer Septembre 1870 s’impose à nous comme une obligation morale afin de transmettre et de consolider les valeurs de liberté, de dignité, de solidarité et de don de soi portées par les insurgés, et qui incarnent des valeurs fondamentales pour l’humanité.
Des centaines de combattants parcoururent les campagnes du Sud, la nuit, armés de fusils, de bâtons, de coutelas, de torches enflammées, de bouteilles d’eau pimentée. Les principales communes touchées furent Rivière-Pilote, Marin, Sainte-Anne, Vauclin, Saint-Esprit, Sainte-Luce et Rivière-Salée. Des dizaines d’habitations-sucreries furent incendiées.
Les insurgés réclamaient la confiscation des grandes propriétés, la distribution des terres aux paysans pauvres ; certains parlaient de débarrasser le pays des blancs racistes et de l’administration coloniale.
L’histoire a retenu le nom de Lumina Sophie dite Surprise. A 22 ans, enceinte, meneuse d’hommes, elle incarne la flamme de la révolte. Condamnée aux travaux forcés à perpétuité, elle mourut au bagne de Guyane en 1879.
L’état de siège fut proclamé dans quinze communes. Les autorités déployèrent un impressionnant dispositif militaire, par terre et par mer, afin d’encercler les insurgés. Les derniers combats se déroulèrent au camp retranché de la Régale, sur la propriété d’Eugène Lacaille, le 26 septembre 1870. Des centaines d’hommes et de femmes tombèrent au combat, ou furent arrêtés, condamnés à mort, aux travaux forcés, exécutés ou déportés.
Eugène Lacaille fut fusillé au Polygone Desclieux à Fort-de-France. Louis Telga et Madeleine Clem, en fuite, ne furent jamais retrouvés.
Note d’intention de l’artiste
1870-1871 est une installation monumentale conçue par l’artiste plasticien Christian Bertin pour rendre hommage aux combattants de l’Insurrection du Sud, fusillés à Desclieux le 25 novembre 1871. L’oeuvre invite le visiteur à entrer dans son Histoire et y être actif : il pourra pénétrer au sein de l’oeuvre, y exercer son regard, mais aussi se recueillir, réfléchir, car l’oeuvre est avant tout commémorative. Il s’agit de se souvenir, d’appréhender un événement historique qui a ouvert une voie.
est composée de cinq tubes d’acier, implantés dans une dalle en béton. Ces cinq éléments émergeant de la terre et érigés vers le ciel, représentent les cinq doigts d’une main ouverte, tendue, qui communique, forge, résiste, se dresse, se soulève et se projette. Le geste est instinctif. C’est un geste de survie, mais aussi un geste d’action et de libération. Le coutelas est placé au coeur de l’oeuvre et traité de différentes manières.
L’oeuvre propose implicitement au visiteur de s’interroger sur ses propres actions, sur sa propre inscription et sur son positionnement dans l’Histoire.
Extraits de la note artistique de Laurence Henry (Commissaire d’exposition)