Le ministre de la Jeunesse, Patrick Kanner, a reçu ce lundi un rapport sur les jeunes et la vie politique. Parmi les mesures proposées, l’interdiction d’exercer plus de trois mandats consécutifs pour un homme politique, mais surtout, l’instauration d’une limite d’âge. L’agence France Stratégie recommande de mettre d’office les hommes politiques à la retraite à 70 ans.
Pierre Laurent, président du Parti communiste français (PCF), estime que «ce n’est pas une mauvaise idée». Quant à la privation de plus de trois mandats, c’est «une bonne proposition» selon le sénateur qui rappelle que cette mesure «fait partie de [son] programme depuis très longtemps».
Sociologue au Centre d’études de la vie politique française (CEVIPOF, CNRS-Fondation nationale des sciences politiques), Anne Muxel démontre, dans son nouvel ouvrage L’expérience politique des jeunes*, comment ces derniers entretiennent avec la politique un lien construit entre héritage et expérimentation. Si leur intérêt pour ce domaine est bien réel, la forme de leur engagement, elle, a changé, tout comme le contexte même de l’action politique. Une analyse qui bouscule nombre d’idées reçues.
Les jeunes et la politique : autant mais autrement
—Par Anne Muxel —
Non, les jeunes ne sont pas dépolitisés ! Loin s’en faut. Plus informés, ils sont plus critiques et exigeants que leurs aînés à l’égard des politiques, n’ont pas remisé leurs illusions, et leur expérience dans ce domaine se révèle plutôt riche, voire pleine de promesses pour l’avenir. Les sirènes alarmistes qui retentissent dès qu’est abordée la question du rapport des jeunes à la politique peuvent donc se mettre en sourdine.
En France, en effet, l’implication de ces derniers dans la vie de la cité et leur participation électorale – ou plutôt sa faiblesse – reviennent régulièrement dans les débats. Elles sont même au cœur de maints programmes d’action. Ainsi, des conseils municipaux de jeunes ont-ils été créés afin de faciliter leur apprentissage de la démocratie ou encore la réforme des lycées réintroduit-elle l’éducation civique. En fait, les jeunes sont, aujourd’hui, à la fois intéressés et désintéressés par la politique… comme bon nombre de citoyens. Et pour comprendre le lien qui les y unit, il faut saisir comment s’effectue le travail de recomposition des normes et valeurs inhérent à nos sociétés complexes, à travers lequel prend forme la socialisation des individus. La jeunesse étant, en outre, confrontée à un double impératif : s’identifier à ses aînés et innover, c’est via la tension entre héritage et expérimentation que se construit son rapport à la politique.
Les jeunes rencontrent la politique dans un contexte assez différent de celui de leurs parents, car le système de repérage, les grands clivages idéologiques, sont désormais en partie brouillés. Ainsi, notamment, les oppositions gauche-droite ou socialisme-libéralisme économique ne sont-elles plus aussi évidentes. De même, la mondialisation modifie la perception de l’utilité de l’action collective dans le cadre purement national. La question sociale – prégnance du chômage et des exclusions oblige – n’a par ailleurs jamais été aussi présente dans la formation des enjeux politiques et partisans. Autant d’évolutions qui ne pouvaient qu’influer sur les comportements électoraux de nos concitoyens.
Contrairement aux années 60 et 70, le vote des jeunes – dont seule une minorité se rend aux urnes – ne se démarque guère de celui de leurs aînés. Il n’est plus traversé ni par le désir de changer radicalement la société ni par des visées anticonformistes. Ce vote porte la marque des effets de l’alternance, suit globalement les récents changements de camp politique, et s’est peu à peu rallié aux choix de l’ensemble du corps électoral. S’ils renvoient dos à dos la gauche et la droite, les jeunes identifient, en revanche, les extrêmes comme étant les seules forces politiques à partir desquelles se structure le débat. En dehors de ces extrêmes, dont il convient certes de se protéger, les partis sont peu différenciés. Si le vote Front national a concerné une forte proportion de jeunes dans les années 90 (18 % lors de la présidentielle de 1995), leur origine sociale et leur niveau de formation ont un fort impact. Ainsi, en 1995, chez les non-bacheliers, le score de Jean-Marie Le Pen atteint 24 % ; chez ceux qui poursuivent des études supérieures, il descend à 4 %. Cette différenciation s’explique par le sentiment d’une certaine précarité et par la menace de l’exclusion sociale qui favorisent un vote protestataire et populiste parmi les jeunes des milieux populaires.
Mais même s’ils maintiennent une distance, voire nourrissent une certaine méfiance, envers les hommes et les institutions liés à la politique, les jeunes sont loin d’en déserter la scène. Bien au contraire, leur activisme est réel et ils sont très mobilisés. Ici, ils s’impliquent dans la défense des droits de l’Homme, là, ils prennent la tête de mouvements de revendication liés à l’éducation ou à la formation. Ils sont d’ailleurs plus nombreux aujourd’hui qu’à la fin des années 80, et autant que l’ensemble de la population, à déclarer s’intéresser à la politique. Ce qui a donc changé, c’est d’abord le contenu de leur engagement, mais aussi le contexte de désinstitutionnalisation de l’action politique dans lequel ils expérimentent la mobilisation collective. Leurs aînés, en effet, tout en s’orientant également vers des formes autonomes et spontanées de revendication, conservent, eux, la mémoire des modes d’action traditionnels. Aussi la socialisation politique des jeunes est-elle plus expérimentale et suppose-t-elle un mode de participation plus axé sur des actions ponctuelles et ciblées. Les jeunes veulent en fait réconcilier terrain des idées et action, aspirent à un retour de l’éthique politique, et prônent l’engagement, la vérité et l’humanité.
En résumé, quatre clés permettent de mieux appréhender les contours de l’expérience politique pendant la jeunesse : l’influence toujours dominante mais non dénuée d’ambivalence de la famille – les conditions de la filiation politique ont une incidence directe sur les choix des jeunes comme sur leur stabilité dans le temps ; la dissociation de l’univers de la décision électorale des autres formes d’implication politique des jeunes ; les effets du temps lui-même sur la constitution de l’expérience politique – notamment, le temps met à l’épreuve la durabilité des premiers choix et l’infidélité partisane ou électorale est plutôt la règle ; enfin, la recomposition des attentes politiques des jeunes. Et c’est là que bien des images convenues sont renversées. Les jeunes ne développent pas un rapport indifférencié à la politique. Les années de jeunesse ne constituent pas un bloc d’expériences unifié et continu. S’ils votent moins que leurs aînés, les jeunes sont pleinement concernés. S’ils peuvent être en retrait du jeu électoral, ils peuvent être aussi des acteurs, au premier rang de la mobilisation collective.
Anne Muxel est chargée de recherche au CNRS. Sociologue au Centre d’études de la vie politique française (CEVIPOF), elle travaille sur la formation des attitudes et des choix politiques, sur la transmission intergénérationnelle des valeurs ainsi que sur le comportement électoral et les modes d’expression politique. Après Les Jeunes et la politique (Hachette, 1996) et Individu et mémoire familiale (Nathan, 1996), Anne Muxel publie L’expérience politique des jeunes (Presses de Sciences Po, 2001).
* Référence : L’expérience politique des jeunes, Anne Muxel, Presses de Sciences Po, janvier 2001, 190 p., 118 F ou 17,98 Euros.