—Par Jean-Marie-Nol, économiste —
La Martinique se retrouve de nouveau dans la mouise avec le couvre feu et un quatrième confinement vu la progression de la pandémie et la pression qu’elle fait subir au système hospitalier. La triste réalité s’impose désormais à nos yeux, car comment imaginer un tel scénario il y a encore peu de temps ? Ne rêvons pas à un retour à la normale de sitôt. La crise provoquée par le coronavirus n’est pas un mauvais moment à passer, c’est un changement d’ère pour la Martinique. Nous voici une nouvelle fois immergés dans le présent par des crises sanitaires, identitaires, économiques, sociales, qui se superposent et se répètent dirait on à l’infini et ce sans que ayons la moindre prise sur les événements … A tel point d’ailleurs qu’on ne peut plus vraiment parler de crises, mais d’un état permanent qui nous plonge dans la déprime et rend difficile toute projection dans l’avenir.
A l’heure où la pandémie met en lumière les fragilités de la Martinique c’est, indirectement, le modèle social français qui se trouve aujourd’hui réhabilité.
La crise de la COVID-19 a en effet montré la nécessité de l’intervention de l’Etat sur l’urgence, humaine et sanitaire, et économique dans le déblocage de fonds de soutien aux divers secteurs d’activités de la Martinique . Mais nonobstant ce caractère très protecteur du modèle social français qui a empêché jusqu’ici l’effondrement économique et social , les risques demeurent très présents, car la crise du commerce local avec la croissance exponentielle de l’e commerce , l’arrêt de l’activité touristique, la déconfiture de l’agriculture et de la pêche, la disparition probable de nombreuses entreprises actuellement en survie (entreprises zombies) , les nécessités d’adapter le niveau de l’emploi au niveau de l’activité réelle ou à venir engendrent déjà un déséquilibre de la croissance qui créera une énorme pression sociale et, en conséquence, financière pesant sur le futur de la Martinique .
L’après-Covid-19 ne constituerait-il pas un moment propice – vis-à-vis de l’opinion publique – pour ouvrir de nouvelles voies économiques et sociales dans une perspective de développement durable et exogène c’est à dire une production agro-alimentaire de haute valeur ajoutée à partir de produits importés des pays de la Caraïbe à bas coût. Le libéralisme financier a conduit à la désindustrialisation du pays Martinique et, en conséquence, à sa forte dépendance vis à vis de l’Hexagone et de l’étranger pour des productions primordiales. Où en est-on des études d’économie alternative ? N’est-il pas temps de considérer comme réaliste un système de revenu universel, pendant du partage du faible nombre d’emplois disponibles actuels et surtout à venir?
Au-delà du conservatisme propre à 75 ans de départementalisation avec une classe moyenne attachée à ses avantages matériels découlant directement des 40% de vie chère , et une classe populaire très dépendante des transferts sociaux, il apparaît maintenant nécessaire de réaliser le sauvetage de ce qui peut encore être préservé sur le plan de l’économie et penser l’après covid.
S’en tenir aux certitudes du passé revient à occulter deux aspects significativement différents de la crise COVID-19 par rapport à la crise sociale de 2009: tout d’abord l’environnement des entreprises s’est considérablement digitalisé avec la montée en puissance du Big Data, des outils numériques et technologies rapides de communication et du développement des objets interconnectés, entraînant déjà des différences dans les niveaux de capacités d’innovation et d’adaptation aux évolutions; deuxièmement, la crise COVID-19 est une crise sanitaire qui a vu la mise en place des confinements et des couvre-feux, nécessitant l’adoption de nouvelles pratiques au sein des entreprises, et le développement de nouveaux comportements des consommateurs, et troisièmement la pandémie a concurru à accentuer la dépendance de la Martinique aux aides financières et transferts publics de l’Etat.
Dans ce contexte délétère de fragilisation économique et de dépendance accrue à la dépense publique des collectivités locales, il convient d’imaginer les modèles futurs de développement de la Martinique. Depuis le début de la crise liée à l’épidémie de coronavirus, l’économie est grippée dans de nombreux pays et la Martinique n’y fait pas exception. La politique à mettre en œuvre ne peut pas être réformiste. Il faut des ruptures, car cette pandémie ébranle nos certitudes, notre économie basée sur une politique keynésienne, notre rapport aux autres et tout notre quotidien.C’est une occasion unique d’opérer une véritable transition économique. Pour mieux s’adapter à l’après, il est temps de changer les critères avec lesquels on lit, formule et projette la réussite économique de la départementalisation. Mais le seul hic : la Martinique souffre d’une crise d’imagination qui l’empêche, pour l’instant, de mettre en place un nouveau modèle économique et social et d’implémenter à petite échelle des chaînes de valeur qui montrent l’exemple au reste de l’outre-mer. Pour cultiver d’autres imaginaires, sans doute faut-il, aussi, interroger notre rapport au monde notamment sur le plan identitaire. Selon moi , il faudrait réfléchir à la manière dont on peut changer les mentalités, et réévaluer l’échelle des comportements de façon à éviter d’emblée les errements idéologiques, les tensions sociales et aussi circonscrire les activités économiques mauvaises pour le climat, la biodiversité et la santé. J’ai remarqué que les consommateurs martiniquais s’intéressaient de plus en plus aux activités locales, mais sans pour autant que cela se traduise par une prise de conscience de la nécessité d’un changement de modèle. Ce mode de fonctionnement pourrait être renforcé pour l’avenir, sans tomber dans un protectionnisme trop fort. La crise semble avoir ouvert un espace de réflexion pour repenser le modèle de développement emprunté jusqu’à aujourd’hui par le pays Martinique. Sans réponse forte pour l’après crise, nous prenons le risque d’une anomie c’est à dire une désintégration des normes qui règlent la conduite de l’humain et assurent l’ordre social. Au fil du temps ,nous allons devoir apprendre à faire porter nos réflexions sur l’aliénation de l’homme Antillais contemporain, la question du travail à l’époque de l’automatisation, la libération de la vie tandis que s’imposeront l’urgence écologique et la nécessaire décroissance, la précarité et le dépassement du salariat avec le revenu universel de base de 1000 euros pour tous.
Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise.... Jean Monnet
Jean marie Nol économiste