—-par Guy Gabriel —
Raoul Peck nous fait entrer dans un univers socio-politique et historique d’une exceptionnelle authenticité qui souligne avec une redoutable efficacité toute la violence qu’a pu vivre et que vit encore la population noire aux Etats-Unis. Partant des écrits de l’auteur afro-américain James Baldwin, il ausculte et décortique la situation dans laquelle les Blancs, en général, n’ont pas évolué, persuadés qu’ils sont, que le sentiment de suprématie qu’ils ont intégré dans leur intellect, est toujours là, intouchable, immuable.
Il utilise pour cela un montage pointilleux, voire pointilliste, qui navigue entre archives passées et documents récents, une manière de faire coïncider les époques et nous dire que rien n’a changé, fondamentalement ; pour appuyer la forme, il laisse parler Baldwin avec ses textes fluides (avec la voix de Samuel. L. Jackson en V.O. et celle de Joey Starr en V.F.), Baldwin qui a dû s’exiler en France pour tenter de connaître le goût de la liberté.
Dans ce documentaire qui a trusté des prix, et des nominations , on découvre un homme brillant, élégant, intelligent, mais aussi le portrait d’une époque pas révolue du tout, l’ensemble s’imbriquant dans une mise en scène, elle aussi très élégante, tout comme s’imbriquent harmonieusement la pensée de l’auteur et celle du réalisateur. On trouve alors, à la fois, l’illustration d’une jeunesse américaine tiraillée et aliénée parce que réduite à une citoyenneté de seconde zone ; et là, c’est l’occasion pour Peck de montrer l’influence négative du cinéma vecteur d’un héroïsme blanc qui passe par le génocide indien, sans oublier la bonne conscience blanche de films comme Devine qui vient dîner de Stanley Kramer (ce qui ne met pas en cause les qualités intrinsèques des films en question ; un cinéma qui cantonnait l’autre (l’Indien, le Noir) dans son rôle de subalterne, interdisant toute velléité de révolte, aboutissant à l’assassinat des figures de proue de cette révolte, Martin Luther King, Malcolm X et Medgar Evers, 3 personnages clefs du documentaire, un documentaire qui n’oublie pas les frères Kennedy, également assassinés, à cause de leurs idées progressistes sur la place de Noirs dans la société américaine. On aura compris que le film véhicule toute la complexité du rapport blanc-noir dans la société américaine, mais qui n’exclut pas pour autant l’optimisme, puisque Robert Kennedy prévoyait la possibilité de l’élection d’un président noir dans un délai de 40 ans ; optimisme que Baldwin confirmait face au journaliste qui l’interviewait en disant :
« Je ne peux pas être pessimiste car je suis en vie. Je ne peux être qu’optimiste ».
I’m not your negro est un document qui parle plus généralement de l’histoire des Etats-Unis et qu’il faut avoir vu absolument, à la fois pour le propos qui nous parle, mais aussi extrêmement réussi sur le plan cinématographique.
Guy Gabriel