— Par Roland Sabra —
C’est un spectacle choral, un récit choral dans lequel 9 jeunes nous invitent à voir le monde à partir du quartier le Val Fourré à Mantes-la-Jolie où on été construits plus de 8000 logements entre 1959 et 1977, pour loger entre autres les travailleurs des usines automobiles de la vallée de la Seine, Renault à Flins, Simca devenu PSA, à Poissy. Le quartier est bâti sans lien véritable avec le centre-ville au bout de la rue des Garennes, sur l’ancien aérodrome de l’ex-village de Gassicourt annexé par ville de Mantes après la guerre. Construit en refusant l’aide de l’État le quartier va manquer d’équipements collectifs et tomber dans une dérive de ségrégation sociale marquée par l’exode des classes moyennes et l’arrivée massive de populations émigrées.
C’est plus d’un demi siècle d’histoire sur trois générations qui est racontée, chantée, dansée dans les rires, les larmes, les souffrances, avec la tendresse, la rage, l’humour et un désir de vivre sans se renier.
Sur le fond de scène des portraits en vidéo d’habitants du quartier. Tout à coup un individu se lève dans le public, apostrophe les comédiens qui aident au placement des spectateurs. « C’est ma photo qu’est dans le film, vous avez pas le droit, enlevez-là : Je veux le responsable ! » Tentative de ceinturer le trublion qui est expulsé, puis qui revient en force devant le premier rang. Bagarre avec les comédiens. Un couteau est sorti. L’individu s’écroule. Le public, saisi d’effroi dans un premier temps comprend peu après que le spectacle est commencé. Il respire. Pas pour longtemps. Une scène de torture par l’armée française d’un résistant algérien pendant ce qu’on appelait hypocritement « les évènements d’Algérie » et qu’on finira tardivement par reconnaître comme une guerre est mimée, narrée dans toute sa cruauté.
La force du spectacle est de ne pas en rester sur le registre de la dénonciation des exactions ou des trahisons coloniales, il y a aussi de la drôlerie, des éclats de rire, des moments émouvants, qui témoignent quoiqu’en disent ceux qui les traitent de francaouis en Algérie, de bougnoules en France, qu’ils sont bien d’ici.
Ces comédiens n’en sont pas et pourtant tirés au cordeau ils portent la représentation avec une justesse et une rigueur millimétrée que bien des professionnels devraient avoir. Le public, fait extrêmement rare en Avignon ou les excessives démonstrations étasuniennes de standing ovation n’ont pas cours, s’est unanimement levé pour des applaudissements qui n’en finissaient pas. Longtemps après, le spectacle travaille encore le spectateur.