Le rapport Sauvé montre que dans l’Église, la majorité des victimes d’abus sont des garçons. Pour Guillaume Cuchet, il y aurait une corrélation entre la prévalence du recrutement homosexuel dans le clergé, et la surreprésentation des rapports de même sexe parmi les abus recensés. Ce qui ne veut pas dire, évidemment, un lien de causalité directe.
— Par Guillaume Cuchet —
Le rapport Sauvé a bien montré trois choses : la massivité du phénomène des abus sexuels sur mineurs dans la société, sa prévalence dans l’Église et le fait que, dans cette dernière, 80 % des victimes sont des garçons, souvent âgés de 10 à 13 ans, alors que c’est l’inverse dans le reste de la société (70 % de filles, plutôt de 15 à 17). Or, autant on a commenté abondamment les deux premiers faits, autant le troisième est resté jusqu’à présent dans l’ombre. Ce qui ressort pourtant bien du rapport, c’est la prévalence dans l’Église, parmi les abuseurs, d’une forme d’homosexualité pédophile et éphébophile, qu’on appelait jadis « pédérastie ». Elle était déjà bien repérée, dans les années 1950-1960, par les psychiatres ou les spécialistes du problème dans l’Église. Le rapport vient confirmer le phénomène, mais on a l’impression qu’il hésite un peu à le penser.
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Le problème est sensible parce qu’il attire l’attention sur deux autres faits embarrassants : la prévalence du recrutement homosexuel dans le clergé, d’une part, et la surreprésentation des rapports de même sexe parmi les abus recensés, y compris en population générale, de l’autre. Le rapport ne calcule pas ce dernier taux, mais on peut le faire à sa place : il tourne probablement autour de 30 %. On voit la disproportion par rapport à la part probable additionnée de l’homosexualité et la bisexualité dans la société globale.
À quoi tient cette corrélation
Il y a donc bien une corrélation entre homosexualité et pédophilie, tout particulièrement dans l’Église, ce qui ne veut pas dire, évidemment, un lien de causalité directe.
À quoi peut-elle donc bien tenir ? Si on lit le rapport, on voit apparaître, en ordre dispersé, trois explications possibles du phénomène qui ne sont pas exclusives.
En premier lieu, ce qu’il appelle un effet d’opportunité, c’est-à-dire le fait que, jusqu’à une date récente, les clercs, dans les paroisses, les écoles, les mouvements de jeunesse, étaient surtout au contact d’enfants de sexe masculin. Dans cette hypothèse, c’est l’occasion, c’est-à-dire les possibilités de prédation, qui fixe la pulsion pédophilique sur un sexe plutôt qu’un autre. La chose peut paraître surprenante du point de vue psychologique mais elle est, paraît-il, bien attestée.
En second lieu, un effet de formation lié notamment à la domination, jusque dans les années 1960, de la filière des petits et grands séminaires (ou noviciats pour le clergé régulier). Au début des années 1960 encore, les trois quarts du clergé français étaient issus de vocations d’enfant discernées précocement et entretenues jusqu’à l’ordination par une éducation très enveloppante. On en a souligné les tendances homophiles. La disparition de cette filière, dans les années 1960-1970, contribue sans doute à expliquer pourquoi la prévalence ecclésiale du phénomène, très nette avant cette date, l’est beaucoup moins par la suite.
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En troisième lieu, un biais de recrutement lié à l’obligation du célibat ecclésiastique, problème que, curieusement, le rapport néglige, sous prétexte que la plupart des abus dans la société proviendraient des familles. C’est rater leur spécificité ecclésiale. L’historiographie du sujet a pourtant suggéré depuis longtemps que cette obligation avait objectivement fonctionné dans le temps long comme une prime paradoxale au recrutement homosexuel, et donc aussi, probablement, à ce petit contingent de pédophiles parmi eux qui ont fait beaucoup de dégâts. Ici le rapport Sauvé fait le pont bien malgré lui avec le livre de Frédéric Martel, Sodoma, qui a défrayé la chronique en 2019. On n’a pas de chiffres officiels sur la proportion d’homosexuels dans le clergé, mais ceux qui circulent en voix off sont très élevés.
Quel « système »
On rejoint par là le problème du caractère dit « systémique » des abus sexuels dans l’Église. Le terme est employé à plusieurs reprises dans le rapport sans jamais être défini de façon précise. On voit bien cependant ce qui a pu constituer cette « systémicité ».
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La massivité et la prévalence du phénomène n’y suffisent pas, sans quoi il serait systémique aussi dans les familles. Celle de la couverture des abus est la plus évidente, ainsi que, pendant longtemps, les politiques désastreuses qui ont consisté à déplacer les abuseurs. Mais on peut se demander si le « système » ne vient pas aussi se loger dans certains facteurs d’engendrement des abus, les uns plus extrinsèques, qui facilitent le passage à l’acte, les autres plus intrinsèques, qui expliquent la perversion elle-même. La question de l’obligation du célibat ecclésiastique me paraît, de ce point de vue, faire partie de ces facteurs, avec d’autres que signale le rapport plus volontiers : le cléricalisme, les abus d’autorité et de conscience, certaines formes de spiritualité dévoyées, la domination masculine, la place insuffisante des laïcs, etc.
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Qu’on ne se méprenne pas sur le sens de mon propos. Il ne s’agit en aucun cas de ma part, en attirant l’attention sur cet aspect scabreux du dossier, de faire revenir par la bande les assimilations infamantes de jadis entre homosexualité et pédophilie. Si la plupart des pédophiles dans l’Église sont de type homosexuel, l’inverse n’est évidemment pas vrai. On comprend, de ce point de vue, les raisons qui ont pu inciter les rédacteurs du rapport à être très discrets sur le sujet. Mais elles sont, à mon avis, mal inspirées, parce qu’on n’a jamais intérêt à refouler un problème ou à refuser de le penser, sauf à le voir revenir sous des formes polémiques ou tendancieuses, ce qu’il s’agissait précisément d’éviter.
Guillaume Cuchet
G. Cuchet a écrit Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? (Seuil 2021)
Source : La Croix