— Par Hélène Harter —
Le 4 avril 1968, les Américains apprennent avec stupéfaction que Martin Luther King vient d’être assassiné. Alors qu’il discutait avec quelques proches sur le balcon du motel Lorraine dans le quartier noir de Memphis (Tennessee), il a été abattu par un tireur embusqué. Il n’avait que 39 ans. L’émotion est immense aux Etats-Unis, mais également dans le reste du monde. Les Américains pleurent l’homme qui incarne la lutte pour les droits civiques. Ils sont bouleversés par cet assassinat politique qui intervient moins de cinq ans après la mort du président Kennedy.[…]
De la lutte pour les droits civiques au combat pour l’égalité économique
En à peine quelques années, Martin Luther King Jr est devenu le leader du combat des Noirs américains pour les droits civiques. C’est en 1955 qu’il est devenu une figure nationale. Jeune pasteur à Montgomery (Alabama), il s’investit dans la campagne de boycottage des bus organisée par les associations locales de lutte pour les droits civiques. M. L. King a bien compris qu’à l’heure de la télévision il fallait mener des opérations spectaculaires pour attirer l’attention des médias et de l’opinion et faire évoluer les choses. Homme d’église – les églises jouent un rôle de premier plan dans la société américaine, et en particulier dans la communauté noire1 –, orateur inspiré – il suffit de songer à son discours I Have a Dream prononcé le 28 août 1963 pour le 100e anniversaire de l’abolition de l’esclavage –, organisateur de talent, homme de courage – son militantisme le conduit 29 fois en prison –, il choisit de recourir à la désobéissance civile et à la non-violence pour faire progresser la condition des Noirs américains.
L’arrêt Brown de la Cour suprême a rendu la ségrégation illégale dans les écoles primaires publiques en 1954. Les lois sur les droits civiques de juillet 1964 et août 1965 ont donné la pleine égalité civique à tous les Américains. Mais dans le Sud la déségrégation est lente. A Memphis, les éboueurs, en majorité noire, sont en grève depuis le début de l’année 1968 pour réclamer de meilleures conditions de travail et surtout la fin des discriminations raciales. En vain. C’est pourquoi les organisations de défense des droits civiques de la ville demandent au révérend King de leur apporter son aide2. Elles espèrent que sa notoriété donnera une résonance nationale à leur combat et leur permettra d’obtenir satisfaction. Martin Luther King accepte. Deux fois, il se rend à Memphis. Mais sa présence ne brise pas la détermination des autorités blanches qui gouvernent la ville. Il accomplit alors un troisième déplacement le 3 avril. Ce soir là, lors d’un grand discours devant 20 000 personnes, il annonce son intention de manifester en dépit de l’interdiction des tribunaux. Il explique : « […] Nous sommes déterminés à obtenir notre juste place dans ce monde du Bon Dieu. Et c’est là, tout ce dont il s’agit. Nous ne sommes engagés dans une aucune protestation négative, dans aucune discussion négative vis-à-vis de personne. Nous disons que nous sommes déterminés à être des hommes. Nous sommes déterminés à être des personnes. Nous affirmons, nous affirmons que nous sommes des enfants du Bon Dieu. Et si nous sommes des enfants du Bon Dieu, nous n’avons pas à vivre comme on veut nous forcer à vivre »3. L’égalité civique a été obtenue en 1964 et 1965. Désormais, le révérend King fait de la lutte contre la pauvreté son cheval de bataille. Celle-ci touche 60 % des Noirs. C’est trois fois plus que les Blancs. La manifestation prévue à Memphis le 5 avril doit d’ailleurs être une répétition grandeur nature avant la grande marche des pauvres prévue quelques jours plus tard à Washington.
Martin Luther King est une figure respectée des militants des droits civiques de Memphis mais en ce printemps 1968 il est loin de faire l’unanimité aux États-Unis4. A l’hostilité traditionnelle des Blancs du Sud, vient s’ajouter celle de certains de ses soutiens démocrates traditionnels qui ne lui pardonnent pas ses prises de positions contre la guerre du Vietnam. La lenteur des réformes est source d’impatience chez les Noirs de la jeune génération qui ne se reconnaissent pas dans la lutte non-violente. En 1965 et 1967, les ghettos sont d’ailleurs secoués par des émeutes. En outre, alors que le révérend King milite pour que les Noirs soient des membres à part entière de la communauté nationale, le Black Power de Stokely Carmichael glorifie une identité noire séparée et fait de plus en plus d’émules. La manifestation qui a lieu le 28 mars 1968 à Memphis témoigne bien de cette évolution. Infiltrée par de jeunes extrémistes noirs, elle finit dans la violence malgré la présence de Martin Luther King.
Une mort à l’origine de nouvelles violence
Le révérend King est un homme en perte d’influence au printemps 1968 mais son assassinat en fait un martyr et un mythe. A l’annonce de sa disparition, les ghettos d’une centaine de villes s’embrasent. Des troubles éclatent à Chicago et Baltimore. Même la capitale fédérale, Washington, n’est pas épargnée. Voulant venger sa mort, de jeunes Noirs descendent dans les rues de leur quartier et pillent les commerces tenus par les Blancs. Les émeutes sont spontanées mais elles sont rapidement entretenues par les mouvements noirs extrémistes qui en appellent à la lutte « contre l’Amérique blanche ». L’émotion dépasse cependant la communauté noire. Le président Johnson déclare un deuil national. Des obsèques publiques sont organisées à Atlanta, la ville natale du révérend. Cent mille personnes s’y pressent dont de nombreuses personnalités blanches comme le vice-président Humphrey et la veuve de John Kennedy. Ils sont cent fois plus nombreux à suivre l’événement devant leur télévision. Cinq ans après l’assassinat du président Kennedy, alors que les Etats-Unis sont engagés dans une campagne présidentielle très disputée sous fond de contestation dans les campus et de manifestations anti-guerre, les Américains s’inquiètent de ce nouvel acte de violence politique5. Les rumeurs de complot s’intensifient alors qu’on ne sait toujours pas qui a tiré sur M. L. King…
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