Le 27 avril 1994, à minuit, l’hymne afrikaner Die Stem van Suid-Afrika est joué dans tout le pays. Partout, le drapeau sud-africain qui flottait sur le pays depuis 1928 est déployé puis amené. À minuit une, un autre drapeau, arc-en-ciel aux couleurs noir, jaune, vert, rouge, blanc, bleu, est levé alors que retentit le nouvel hymne officiel symbole des africains, Nkosi Sikelel’ iAfrika (« Dieu sauve l’Afrique »), suivi immédiatement de Die Stem. L’Afrique du Sud avait dû choisir un nouveau drapeau pour symboliser le changement de régime et un nouvel hymne national, en l’occurrence deux hymnes pour la période de transition, les Blancs acceptant l’hymne des Noirs et ces derniers acceptant de conserver celui des Blancs pour manifester la réconciliation.
À partir du 27 avril 1994 et pendant trois jours, les Sud-Africains votent pour élire leurs représentants au parlement et dans les conseils provinciaux. À cette fin, neuf nouvelles provinces avaient été constituées à la place des quatre anciennes, réintégrant tous les bantoustans indépendants ou autonomes. Seuls cinq partis étaient assurés d’une audience nationale sur la vingtaine qui se présentait, alors que le Parti conservateur d’Afrique du Sud (CP) et le Parti national reconstitué (HNP) refusaient de participer.
Le Congrès national africain (National African Congress, ANC) remporte 63 % des voix, soit un peu moins des deux tiers nécessaires pour élaborer et voter seul la future constitution, et sept des neuf nouvelles provinces.
Le Parti national (National Party, NP) arrive second avec 23 % des voix, essentiellement celles des Blancs, des métis et des indiens. Grâce aux métis, le NP remporte la province du Cap occidental avec 59 % des voix et échoue de justesse dans la province du Cap du Nord.
Le Parti Inkatha de la liberté (Inkatha Freedom Party, IFP) obtient 10 % des voix et une représentation provinciale presque uniquement au KwaZulu-Natal.
Le Front de la liberté de Viljoen suit avec 2,8 %.
Le Parti démocratique, représentant les libéraux, arrive en quatrième position avec 1,8 % des voix essentiellement au Cap et à Johannesburg.
L’extrême-gauche est laminée.
Un gouvernement d’union nationale est formé début mai, réunissant les représentants des partis ayant obtenu plus de 5 % des voix, c’est-à-dire le Congrès national africain (National African Congress, ANC), le Parti national (National Party, NP) et le Parti Inkatha de la liberté (Inkatha Freedom Party, IFP).
Le 10 mai, Mandela est élu Président de la République par le parlement. Son intronisation a lieu à Pretoria, en présence de représentants du monde entier dont le vice-président américain, Al Gore et Fidel Castro.
Le premier président noir nomme Thabo Mbeki comme premier vice-président et Frederik De Klerk comme second vice-président. L’un représente l’ANC, l’autre la minorité blanche qui domine encore le monde des affaires. Le premier gouvernement multiracial à majorité ANC comprend plusieurs ministres NP dont l’inamovible Pik Botha, qui passe des affaires étrangères au ministère des ressources et de l’énergie, et quelques ministres de l’IFP, dont Mangosuthu Buthelezi, le chef de l’Inkhata, nommé aux affaires intérieurs.
La présidence de Nelson Mandela (1994-1999)
Nelson Mandela glissant pour la première fois son bulletin de vote dans l’urne le 27 avril 1994.
L’Afrique du Sud a désormais un gouvernement issu de la majorité noire mais les traces d’apartheid ne sont pas pour autant effacées. Le nouveau gouvernement s’engage dans le libéralisme économique (programme de privatisations) et dans l’économie de marché, abandonnant ses vieilles rhétoriques marxistes, au grand dam de son allié communiste et des syndicats noirs. Le programme de redéveloppement mis en place, censé fournir en peu de temps des centaines de milliers de logements, est lui aussi revu et corrigé pour faire face à la réalité. La mise sur pied de la discrimination positive (affirmative action) devant promouvoir l’embauche des Noirs aux postes autrefois réservés aux Blancs, prometteur au départ, se heurte rapidement à la réalité sociologique et au faible niveau de compétence des intéressés. Les forces de sécurité sont réformées, la SADF (l’armée sud africaine), devient la SANDF (l’armée nationale sud africaine) en intégrant les anciens membres des cellules combattantes de l’ANC.
Des scandales et des accusations de corruption impliquent rapidement des dignitaires du nouveau régime, notamment Winnie Madikizela-Mandela, l’ex-femme du président.
Toutefois, dans les premiers temps, les relations sont bonnes entre les anciens oppresseurs et les anciens opprimés, en grande partie grâce à Nelson Mandela, et on parle alors de « Nation arc-en-ciel ».
Lors des premières tournées d’équipes de rugby à XV étrangères en 1994, les spectateurs blancs déployaient encore l’ancien drapeau sud-africain et entonnaient fièrement le Die Stem, second hymne national, après avoir écouté, souvent dans une relative indifférence, le Nkosi sikhelele’i Afrika. Leur comportement change lors de la coupe du monde de rugby en juin 1995, qui se déroule en Afrique du Sud. Le nouveau drapeau sud-africain commence à être vraiment adopté par les nationalistes blancs même si des rixes entre partisans de l’ancien et du nouvel emblème ont lieu en plein stade de l’Ellis Park à Johannesburg.
George Meiring, le dernier chef de la South African Defence Force, devient le premier chef de la SANDF, regroupant les soldats de l’ancienne armée sud-africaine, les gardes nationales des bantoustans et les membres des branches militaires des mouvements anti-apartheid.
En marque de volonté de réconciliation nationale de Nelson Mandela, celui-ci invite toutes les anciennes premières dames sud-africaines pour un déjeuner à la résidence présidentielle de Pretoria en compagnie d’épouses de dignitaires de l’ANC. Aucune, hormis Mme Hendrik Verwoerd en raison de son grand âge, ne déclina l’invitation, et on voit Mmes Vorster et Botha converser amicalement avec Mmes Sisulu et Tambo, épouses ou veuves de militants ANC emprisonnés autrefois par la police de l’apartheid. Nelson Mandela va même rendre visite à la veuve d’Hendrik Verwoerd, le grand architecte de l’apartheid, Betsie Verwoerd, quasi centenaire, résidente d’Orania, l’embryon de Volkstaat. Fidèle à son engagement préélectoral, Mandela institue une commission chargée d’étudier la faisabilité du projet de Volkstaat. Cette commission rend un avis positif, plongeant dans l’embarras le gouvernement et le NP, hostiles au projet. Viljoen accepte que ce Volkstaat soit une province sud-africaine basée sur la seule langue afrikaans. Les détracteurs du projet y voient cependant la reconstitution de l’apartheid et le projet reste en l’état.
Les tensions sont plus vives dans l’enseignement, avec l’arrivée d’élèves noirs dans les écoles jusque-là réservées aux Blancs. Ces derniers craignent une baisse du niveau scolaire devant l’afflux d’enfants sous-instruits. Les élèves noirs veulent, de plus, bénéficier d’un enseignement en anglais et non en afrikaans comme c’était le cas dans la majorité des écoles du Transvaal et de l’Orange notamment. À Potgietersrus, dans le nord du Transvaal, des parents afrikaners entrent en conflit avec la nouvelle mairie ANC qui veut imposer l’anglais comme langue d’enseignement à l’ancienne école afrikaner. Des bagarres éclatent dans les universités, notamment à Pretoria, entre étudiants noirs exigeant l’enseignement en anglais et les étudiants blancs, tenants de l’afrikaans.
Une commission vérité et réconciliation présidée par l’Archevêque du Cap, Desmond Tutu, est chargée d’enquêter dans le pays pour faire la lumière sur les crimes passés, commis au nom de l’apartheid par le gouvernement et sur les exactions des mouvements de libération. Tous sont invités à venir raconter leur vérité et demander le pardon. Pendant cinq ans, elle entend des milliers de témoignages et en fait une synthèse à partir de laquelle elle compte faire des propositions. Aucun ancien dirigeant, hormis quelques ministres subalternes comme Piet Koornhof, ne demande le pardon pour les crimes commis. Parallèlement, les grands procès contre certains ministres, comme Magnus Malan, ou contre des représentants des forces de sécurité, comme Wouter Basson, « le docteur la mort », se soldent par des acquittements prononcés par des juges formés sous l’ancien régime.
Aux élections municipales du 1er novembre 1995, les grandes villes passent sous le contrôle de l’ANC (66 % au niveau national). Le NP se maintient dans le « vieux » Pretoria, mais perd des voix au niveau national, alors que le Front de la liberté (Freedom Front, FF) triple son score de 1994 aux dépens du CP et du HNP complètement laminés.
Certaines communautés d’Afrikaners, encouragées à recommencer le Grand Trek, partent s’installer en Tanzanie, au Congo ou au Mozambique à la suite d’appels d’offre à leurs intentions par les gouvernements locaux.
En 1996, la constitution est adoptée malgré les réserves des partis minoritaires, mécontents du fait que les droits des minorités n’aient pas été assez protégés. En mai 1996, la coalition gouvernementale, fragilisée, éclate avec le départ du gouvernement des ministres du NP, à partir du 30 juin 1996. Frédérik De Klerk laisse Thabo Mbeki seul vice-président de Nelson Mandela.
Le pays entre dans une nouvelle phase où, pour la première fois depuis 344 ans, les Afrikaners et autres représentants de la communauté blanche sont exclus du pouvoir exécutif en tant que communauté.
Peu de temps après, Frédérik De Klerk renonce à la politique et quitte la présidence du Parti National. Il est remplacé par un jeune quadragénaire ambitieux, Marthinus van Schalkwyk. Progressivement, tous les anciens membres des gouvernements d’apartheid se retirent de la vie politique. Certains quittent le NP pour créer un nouveau parti multiracial, comme l’UDM[Quoi ?]. D’autres, comme Pik Botha, enjoignent les membres de leur communauté à rallier le seul parti d’avenir, l’ANC.
Eugène Terre’Blanche, le leader extrémiste de l’AWB, est arrêté au début des années 2000 pour violence envers un garçon de ferme noir. Purgeant une peine de prison, il est libéré en 2004. Il sera assassiné en 2010.
Nelson Mandela ayant annoncé qu’il n’effectuerait qu’un seul mandat, son vice-président est appelé à lui succéder. Ayant écarté les rivaux potentiels comme Cyril Ramaphosa, Mbeki prend la présidence de l’ANC et s’impose comme le dauphin de Nelson Mandela pour les élections générales de 1999.
Source : Wikipedia