Martyr pour la paix et le socialisme
— Par Hélène Lemoine —
Le 31 juillet 1914, à 21 h 40, Jean Jaurès, directeur du journal L’Humanité et figure emblématique du socialisme français, est assassiné au Café du Croissant à Paris, à proximité du siège de son journal. Ce drame survient alors que Jaurès s’apprêtait à rédiger un article décisif pour la paix, dans un contexte international de plus en plus tendu. Gilles Candar, président de la Société d’études jaurésiennes, revient sur cet événement historique.
Jaurès, âgé de 54 ans, était un ardent défenseur de la paix et luttait depuis des années contre la perspective d’une guerre européenne. Sa mort, à la veille du déclenchement de la Première Guerre mondiale, marque la fin de ses efforts pour empêcher le conflit armé. Son assassin, Raoul Villain, un étudiant nationaliste de 29 ans, l’abat de deux coups de feu, mettant un terme à une vie dédiée à la cause socialiste et pacifiste.
Depuis des années, Jaurès avait fait de la lutte contre la guerre sa priorité, intervenant dans les congrès, à la Chambre des députés et dans la presse. Il prônait une action coordonnée de l’Internationale socialiste pour imposer le recours à l’arbitrage et éviter le conflit. Quinze jours avant son assassinat, il avait réussi à faire adopter une motion en ce sens par les socialistes réunis en congrès. Il envisageait même une grève générale simultanée pour faire pression sur les gouvernements.
La crise internationale, exacerbée par l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche à Sarajevo le 28 juin 1914, place l’Europe au bord du chaos. Jaurès croyait en une solution pacifique, espérant que la France modère la Russie, comme elle l’avait fait en 1908. Cependant, la mobilisation générale décidée par la Russie le 30 juillet 1914 met fin à ses espoirs. Le lendemain, il exprime sa colère devant le ministre Abel Ferry, dénonçant l’irresponsabilité des dirigeants.
Lors de son dernier repas avec des rédacteurs de L’Humanité, Jaurès discute de la possibilité d’une démarche franco-britannique et d’un appel à Woodrow Wilson, le président des États-Unis, tout en attendant l’arrivée de Hermann Müller, leader de la social-démocratie allemande. Son assassinat met fin à ces initiatives et plonge la France dans la guerre.
Le procès de Raoul Villain, qui se tient en 1919 après la fin de la guerre, se solde par son acquittement, une décision qui choque l’opinion publique et les partisans de Jaurès. Ce verdict, dans un contexte de patriotisme exacerbé, est perçu comme une injustice flagrante. Anatole France, dans L’Humanité, exprime l’indignation de la classe ouvrière face à ce jugement, exhortant les travailleurs à rester vigilants.
L’assassinat de Jaurès a des répercussions politiques majeures. Il précipite le ralliement de la gauche française à l’Union sacrée, un pacte d’unité nationale pour soutenir l’effort de guerre. En 1924, les cendres de Jaurès sont transférées au Panthéon, reconnaissant son rôle crucial dans l’histoire de la France. Cependant, ce geste symbolique ne parvient pas à effacer les divisions politiques persistantes entre les différentes factions de la gauche.
Jaurès est commémoré comme un martyr de la cause pacifiste et socialiste, son héritage influençant durablement la politique française. Sa vision d’une paix rapide et juste, même en cas de guerre, reste un idéal pour beaucoup. Raoul Villain, quant à lui, trouve une fin violente en 1936, tué en Espagne pendant la guerre civile.
Jean Jaurès demeure une figure centrale de l’histoire française, symbole de la lutte pour la paix et de l’engagement socialiste. Son assassinat, à la veille d’une guerre dévastatrice, illustre tragiquement les profondes divisions idéologiques de l’époque et les défis de la quête pour un monde plus juste et pacifique.