— Par Michèle Bigot —
C’est un monologue, une charge contre l’identité que Delphine Horvilleur publie en 2022. Il est plus que jamais d’actualité aujourd’hui alors que les « identitaires » menacent de prendre le pouvoir. Identitaires que l’on ne trouve pas seulement à l’extrême droite, quoique ce soit leur terreau naturel. « Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part » font florès aujourd’hui, comme ceux qui croient dur comme fer être quelqu’un, un seul et unique quelqu’un, que les thérapies douces et la spiritualité new age californienne nous inviteraenit à retrouver, à cultiver. Que ces idéologies soient funestes autant que risibles, ça ne fait aucun doute.
Delphine Horvilleur appuie sa démonstration sur l’exemple de caméléon qu’a fourni Romain Gary avant de disparaître. Fiction littéraire, double de papier savamment entretenu, supercherie d’écriture, autant de figure de la multiplicité de l’être et Emile Ajar est là pour nosu le rappeler. Delphine horvilleur en rajoute une couche en imaginant un fils pour Emile Ajar, Abraham Ajar, fils d’un père ficitf , enfant d’un livre. elle va chercher dans les textes de la tradition juive l’aliment de cette philosophie du manque et de la pluralité: on reconnaît ici la philosophie de Marc-Alain Ouaknin, précieuse pour les temps qui nous attendent.
Le montage est ingénieux, le texte est beau, profond, ô combien juste et souvent drôle. On aurait eu grand plaisir à en entendre une lecture, une mise en espace musicale. Pourtant sur la scène, ça ne fonctionne pas, mais alors pas du tout. La comédienne a beau en faire des tonnes, user de toutes les métamorphoses, jouer de l’androgynie, revêtir tous les déguisements, faire muter sa voix, quelque chose résiste et la comédienne le sent mieux que personne, ce qui occasionne chez elle quelque chose de désespéré dans son jeu. Une acrobatie au bord du vide. Rien n’y fait, ce texte ne fait pas théâtre. Ce qui n’enlève rien à ses qualités propres ni à sa pertinence, simplement il n’est pas fait pour les planches. Aucune structure dramaturgique, aucun rythme, aucune incarnation de personne, il reste théorique, philosophique en dépit de ses tentatives vaillantes pour accrocher le public.
Le plus étonnant c’est que la grande majorité du public approuve, à quelques exceptions près (certains sortent assez vite, dès qu’ils comprennent que ça ne prend pas) au grand étonnement de la comédienne, qui visiblement s’attendait au pire; ça fend le coeur, car les meilleures et les plus louables intentions commandaient à l’entreprise, mais le miracle de la scène ne fonctionne pas toujours: on a beau convoquer toutes les ficèles du métier, quand ça ne prend pas, ça ne prend pas. Et du coup, on s’ennuie ferme.
Michèle Bigot
Il n’y a pas de Ajar – Monologue contre l’identité
De Delphine Horvilleur
Mise en scène Johanna Nizard et Arnaud Aldigé
Avec Johanna Nizard
Collaboratrice artistique à la mise en scène Frédéric Arp
Conseil dramaturgique Stéphane Habib
Regard extérieur Audrey Bonnet
Création maquillage et perruque Cécile Kretschmar en collaboration avec Jean Ritz
Création costumes Marie-Frédérique Fillion
Création sonore Xavier Jacquot
Scénographie et création lumières François Menou
Création décor Les Mécanos de la Générale
Crédit photographie Almaïm
Production En Votre Compagnie
Coproduction Théâtre du Montansier – Versailles, Théâtre Romain Rolland de Villejuif, Les Plateaux Sauvages, Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel – Normandie, Comédie Picardie
Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages et du 909, espace de transmission et de production artistique
Avec le soutien du Fonds SACD Théâtre
Projet soutenu par le Ministère de la Culture, la DRAC Île-de-France et la Région Île-de-France
Spectacle soutenu par l’ADAMI et le dispositif ADAMI Déclencheur