— Par Max Pierre-Fanfan, journaliste/réalisateur/écrivain —
Il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube(1)… L’heure la plus sombre a sonné; cependant, elle précède une aube splendide à venir…En attendant ce moment tant espéré, Paris, ville des lumières, a vécu, vendredi 13 novembre 2105, une nuit d’horreur.
Des attentats perpétrés par des kamikazes, se réclamant de l’islam, ont jeté la stupeur, l’effroi, la sidération, et la colère. Ce qui s’est produit a été qualifié par le chef de l’Etat français, « d’abomination », « de barbarie absolue », « d’acte de guerre ».
Une salle de spectacle, le » Bataclan », des restaurants, symboles d’un certain art de vivre à la française ont été pris pour cibles par des assassins dont cinq de nationalité française. Bilan de cette tuerie 130 morts et 418 blessés. L’Etat islamique a revendiqué ces attaques et menacé d’en perpétrer de nouvelles sur le territoire français. L’objectif de Daech (selon son acronyme arabe), instiller la peur en montrant que tout le monde, indistinctement, peut être visé. Jusqu’ici, il se concentrait sur la consolidation en Irak et en Syrie d’un califat appliquant une version de l’Islam en vigueur au VII ème siècle.
Balkaniser la société
La France fait figure d’ennemi privilégié. L’Etat islamique tente, entre autres, de faire voler en éclats tout l’édifice érigé sur les accords Sykes-Picot conclus le 16 mai 1916 entre la France et le Royaume-Uni prévoyant, à la fin de la Première Guerre mondiale, le découpage et le partage des provinces arabes de l’Empire ottoman, entre ces deux grandes puissances coloniales.
A cela s’ajoute, un ensemble de valeurs, notamment la laïcité qui heurte de front le credo des extrémistes islamistes. Daech n’a de cesse de vouloir « balkaniser » la société française en tentant de monter les communautés les unes contre les autres; et tirer profit de la frustration d’une fraction de jeunes français en déshérence.
Les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de Vincennes avaient déjà ouvert un débat sur la société française. Quelle conception de la laïcité? Comment lutter contre « l’apartheid » selon le propre mot de Manuel Valls? Comment accroître la mixité sociale à l’école et dans certains quartiers?..
L’insécurité
Après la séquence de l’unité nationale suite aux attentats; la vie politique a repris ses droits. Nicolas Sarkozy a réclamé, en autres, « une inflexion majeure de la politique étrangère ». Marine Le Pen a, quant à elle, déclaré que « la France et les Français ne sont plus en sécurité ». Le gouvernement,quant à lui,a proposé toute une série de mesures, notamment en prolongeant de trois mois et musclant l’état d’urgence; 600 millions d’euros vont être débloqués en plus en 2016 pour renforcer les moyens consacrés à la sécurité; les policiers pourront porter leur arme en dehors de leurs de service pendant l’état d’urgence. Par ailleurs, la France devrait obtenir des contrôles accrus aux frontières de l’Union et un fichier européen des passagers » De toutes les forces politiques, et à l’approche des élections régionales, c’est le Front national qui utilise le plus le sentiment d’insécurité. « Ces attentats servent de catalyseur à ce parti », analyse Jérôme Fourquet, directeur du département opinion à l’IFOP.
Il ne s’agit plus seulement de brandir la menace économique sur le travail mais aussi de brandir la menace sur les modes de vie. « A l’hostilité à une immigration de travail s’est ajoutée la mise en cause de la religion musulmane comme acteur de transfomation de la société française », nous explique le géographe Christophe Guilluy dans son ouvrage « Fractures françaises »; qualifiant ce phénomène, « d’insécurité culturelle ». Samuel P. Huntington emploie lui le terme de « choc de civilisations » mettant en scène l’Islam comme principal point de fixation des problèmes du monde contemporain.
La soif du mal
Cela dit, n’en déplaise à certains contempteurs, la très grande majorité des musulmans en France vit sa foi avec tolérance et dans le respect des valeurs de la République. Mais il faut prendre aussi en compte et au sérieux cette forme régressive de l’islam radical dont les causes sont à la fois idéologiques et bassement mercantiles. L’Etat islamique affirme être le groupe terroriste le plus riche du monde. Vente de pétrole, trafic d’antiquités racket constituent ses principales ressources. Il serait également actif dans le trafic d’organes humains prélevés sur le corps de captifs, de soldats morts ou de prisonniers blessés.
La prétendue volonté de puissance qu’affiche l’Etat islamique n’est plus qu’un vouloir dominer un être, pour la mort.. Et, qui a soif de sa propre mort, à condition de passer par celle des autres. On trouve dans certains films d’Orson Well, des personnages comme » Bannister », dans la « Dame de Shanghaï », ou « Hank Quinlan » dans « la Soif du Mal », des expressions physiques d’une certaine impuissance.
Une nouvelle fraternité ne cesse de croître à l’horizon
Certains personnages savent comment détruire ou tuer, avant de se détruire eux-mêmes, à l’instar, par exemple, des kamikazes du 13 novembre à Paris. C’est le mode d’existence du ressentiment qui caractérise les hommes de vengeance. Ces personnages sont épuisés incapables de transformation. Nietzsche appelant les stades du nihilisme, l’esprit de vengeance à travers diverses figures. La volonté de puissance inférieure et le devenir dégénéré d’une vie épuisée avec sa volonté destructrice et dominatrice.
Comment redonner la croyance dans un monde où le pessimisme est devenu universel?… Qu’elle est la subtile issue?…Comment croire au lien de l’homme au monde, à la vie, à l’amour, y croire comme à l’impossible?… « Du possible sinon j’étouffe ».
En ces moments obscurs, nous devons plus que jamais faire preuve de résistance, d’espérance, de dignité. La dignité de fermer les yeux de nos morts…Freud raconte le rêve fait pendant la nuit qui a suivi l’enterrement de son père, où se lisait l’inscription suivante: « on est prié de fermer les yeux ». Elle signifie qu’il faut faire son devoir envers les morts. Il s’agit dans un même geste de fermer leurs yeux et de garder nos yeux ouverts sur leur mort, afin qu’elle ne reste pas vaine.
Nous devons aussi et surtout garder nos yeux ouverts pour s’apercevoir qu’une nouvelle fraternité ne cesse de croître à l’horizon.
(1)Aimé Césaire, « Cadastre » suivi de « Moi Laminaire »: « Une nouvelle bonté », éditions du Seuil.
Max Pierre-Fanfan
Journaliste/Réalisateur
Ecrivain