— Par Frantz Succab —
Au moment où un énième Congrès des élus guadeloupéens va avoir droit aux actualités dans la presse et l’opinion résiduelle encore attentive à la chose politique ; au moment où la désespérance latente se shootera au lespwa-a-malpapay, on peut se demander comme de coutume s’il s’agit en vérité d’un moment de respiration démocratique.
Hélas, que pour que la démocratie respire dans nos parages, il faut lui ôter toute la charge qui lui pèse sur la gorge. Cette charge ne vient pas seulement d’un seul ou de plusieurs élus ou d’un quelconque parti politique, mais de la Guadeloupe entière telle qu’elle fonctionne. C’est le poids des mentalités, celles qui ont conduit à la municipalisation des esprits, à l’électoralisme forcené pervertissant le sens profond du libre choix citoyen. En somme, le poids du clocher sur l’esprit public et la liberté.
Interrogeons-nous honnêtement, du fond du cœur ? Les guadeloupéens ont-ils jamais exercé sans peur de leur ombre leur pouvoir de tout changer, tel qu’on l’entend bougonner dans les foules toute la sainte journée ? Il ne s’agit pas que de changer de maire, mais surtout de société et, partant, de vision de l’avenir : le mode de production et les rapports sociaux, les modes de délibération collective et de gestion des affaires de la Cité. Qui s’en préoccupe vraiment au-delà de l’événement électoral de quelques semaines tous les cinq ou six ans ?
L’heure politique sans chrono
C’est l’heure où les prétendants voraces se rêvent ouvertement petits-chefs à la place du précédent. Ils déballent en catastrophe leurs petites recettes, qui ne font même pas rêver le « client », mais suggèrent tout juste de changer de tête… pour voir. De relooker le « déjà-là ». De cette loterie sortent des gagnants et des perdants. Ce qui est gagné ou perdu c’est le poste. Pas plus que ça. Que devient l’opposition ? La culture démocratique de notre peuple, telle qu’inculquée ou assimilée, n’intègre pas l’opposition comme une réalité tangible : ou pa pran, ou mò. Ou pa « adan sa »... Dedans quoi ? Tu n’es joueur que le jour du match, après, tu vaques. Adan on komin pa ni dé mè… lalé lalé lala.
Rien n’est fait dans le fonctionnement des institutions municipales, lieu de base où cela devrait commencer à s’exercer, pour cultiver la permanence du débat public autour d’idées politiques. Il y a le maire, sa majorité obéissante et une poignée de « fètchyé » minoritaires pour la galerie, dont les sièges restent plus ou moins vides. Une fois les élections passées, on tourne le dos et on attend tranquillement que ça change tout seul ou que ça se casse la gueule.
Entre deux échéances, il y a une vraie vacance du pouvoir, moins celui des élus que celui des électeurs eux-mêmes. L’électeur ne sait pas devenir citoyen, donc ne mesure ni combien il a laissé faire ni sa coresponsabilité dans ce qu’il sera prêt à dénoncer plus tard, souvent trop tard. Le poids de la « lutte de masse » est dépolitisé pour être cantonné dans l’action revendicative. Exit les acteurs politiques, place aux syndicalistes !
A l’approche des échéances suivantes, élections sénatoriales, législatives, territoriales ou municipales, le soudain regain d’un débat public, évanoui tout au long d’une mandature, s’inscrit forcément dans l’urgence. La démocratie raplapla se rue sur les rares respirateurs. Sauve qui peut ! Besoin d’air.
Mais voici le drame : ce qui sauve le personnel politique soigne-t-il la commune ou le pays sur le long terme de sa longue léthargie? Quand on a respiré l’air confiné de l’administration coloniale, soit au sein d’une majorité trop longtemps exercée à travailler en apnée, dans un entre-soi sécuritaire, soit parmi une opposition ne sachant plus à quelle boutique se procurer le bon oxygène, on finit par perdre de vue et la commune et le pays pour ce qu’ils sont : non pas comme simples pourvoyeurs de postes et de notoriétés, mais avant tout comme territoires de travail et de vie, où le plus grand nombre ( qui n’a pas de parti unique) devrait aspirer à vivre ensemble là où il vit, et mieux, et libre. Tout simplement.
Honneur au moins pire
Le propos n’est pas neutre. Il n’est pas de renvoyer dos à dos les candidats aux postes électoraux, entrants ou sortants. On a presque envie de dire à ce stade « Que le meilleur gagne ! » Cependant, c’est la notion du « Meilleur » au regard de la situation profonde de la Guadeloupe, qui pose problème. Est-ce « le moins pire » ou ce qui annonce une vraie métamorphose ? Il s’agit donc de cerner les limites de la société politique telle qu’en elle-même.
Ce n’est pas la société politique, quelles que soient ses modifications internes, les départs ou les remplacements, qui à elle seule fait respirer la démocratie. C’est surtout la société civile, l’ensemble des citoyens non candidats et non élus. Leur vigilance constante, leurs initiatives collectives : économiques, culturelles, sociétales en général, l’exercice à tout instant de leur droit d’interpellation.
En somme, c’est l’exercice permanent de la souveraineté populaire. Là est le poumon naturel. S’il est constamment en panne, la démocratie respire mal. Dès lors, au lieu du rôle toujours attendu de stimulant, les équipes municipales, intercommunales, départementales ou régionales jouent celui de grand d’étouffoir, se confinant dans leur air déjà respiré. Arroseurs arrosés. Étouffeurs étouffés.
L’avenir de la démocratie dépend de sa mise en œuvre, laquelle peut conduire un peuple jusqu’à l’extraordinaire, jamais rêvé par chacun dans son coin. C’est tellement évident que le taire conduit à l’étouffement. Allons, respirons un bon coup !