— Par Jocelyn Jaubert, CSTM-Education & Patrick Jean-Baptiste, UGTM-Education —
Madame la Ministre,
Vos déclarations, « l’origine sociale, l’environnement culturel et le niveau de vie des parents pèsent sur la réalité scolaire des enfants » – « …j’ai voulu que les critères sociaux et territoriaux soient désormais pris en compte l’attribution des moyens… » , soulignant l’impact des inégalités sociales sur les inégalités scolaires, comme nos syndicats l’affirment depuis plusieurs années, nous ont fait espérer un changement réel dans les moyens alloués à notre académie de Martinique.
Malheureusement, l’annonce de la suppression de 27 postes d’enseignant dans le 1er degré et de 44 dans le secondaire, sous le prétexte éculé de diminution des effectifs, portant ainsi à un millier le nombre total de suppressions de postes sur ces dix dernières années, vient contredire vos discours.
S’il est vrai que nous avons perdu de nombreux élèves ces dernières années, pour des raisons historiques sur lesquelles nous reviendrons, il n’est pas moins vrai que notre situation économique, sociale et éducative est catastrophique et aurait dû au moins entraîner l’arrêt de ces suppressions, voire même l’augmentation du nombre de postes pour faire face aux besoins réels et urgents de notre pays la Martinique (…).
S’il est vrai que les taux de réussite au bac ont augmenté ces dernières années, néan-moins les taux d’échec en première année d’université sont faramineux, près de 67% à l’UAG et un pourcentage important parmi les trois quarts de nos bacheliers qui partent faire leurs études en France.
Ces réalités, très éloignées de celles des académies françaises, ne sont pas véritablement prises en compte. Nos effectifs scolaires diminuent, et, au lieu d’en profiter pour renforcer les moyens et accroître réellement les compétences de nos élèves, des postes sont supprimés encore et encore.
Ces suppressions ont des conséquences désastreuses pour le personnel et pour la Martinique :
– multiplication des Blocs de moyens provisoires (BMP), dont de nombreux à 18 h,
– classes à effectifs de plus en plus pléthoriques, alors que les difficultés des élèves vont croissant (niveau, comportement…)
– titulaires, victimes de cartes scolaires, subissant la dégradation de leurs conditions de travail (poste sur plusieurs établissements, TZR…)
– néo-titulaires et stagiaires affectés contre leur volonté dans des académies de France devenues, ô miracle de l’administration, « extensions » de l’académie de Martinique, sous prétexte de manque de postes. Cet exil forcé est vécu par beaucoup de nos compatriotes, n’en déplaise à certains, comme une déportation (triste souvenir d’une histoire de Martinique qu’on pensait révolue).
Les 7 000 km qui nous séparent de la France ne permettent nullement la « continuité territoriale » , et le retour au pays est toujours incertain, même avec la bonification pour le « centre des intérêts matériels et moraux » (CIMM), qui a remplacé la notion d’originaire arrachée de haute lutte par nos aînés et dont nous revendiquons le maintien.
Vieillissement : un politique délibérée
Ces affectations massives contribuent, de plus, au dépeuplement de la Martinique. En 5 ans (2007 – 2012, chiffres de l’Insee) notre population a baissé de près de 9 500 habitants du fait de l’émigration des jeunes, accélérant ainsi la baisse de la population scolaire, et aggravant le phénomène du vieillissement de la population.
Autre conséquence, alors que nos forces vives qualifiées servent de facteur d’ajustement pour les académies de l’Hexagone, le manque d’enseignants dans plusieurs disciplines se fait criant et des remplacements sont impossibles dans le primaire comme dans le secondaire. De plus, nombre d’entre eux partent et partiront à la retraite au cours de cette décennie car plus de 30% du personnel a plus de 50 ans (bilan social 2011 de l’académie de Martinique).
Le vieillissement de notre population, comme vous le savez, est le fruit d’une politique délibérée et continue destinée à vider notre pays de ses forces vives, de la création du Bureau des migrations d’Outre-mer (Bumidom) consécutive à l’explosion insurrectionnelle de décembre 1959, à son prolongement par une politique de « mobilité » vers l’extérieur.
Madame la Ministre, vous n’êtes pas sans savoir que, devant les risques d’explosion sociale générés par la situation ci-dessus évoquée, le député réunionnais Patrick Lebreton a été chargé par l’ancien premier ministre Jean Marc Ayrault d’un rapport préconisant la priorité d’emploi chez eux aux originaires d’Outre-mer.
Madame la Ministre, la Martinique, en déficit de jeunes adultes, a besoin de ses jeunes formés et désireux de se mettre au service des enfants de leur pays, et notre légitime combat pour vivre et travailler au pays est plus que jamais à l’ordre du jour. Il est donc temps que vous mettiez fin à ces suppressions de postes et aux nominations non demandées en France.
Jocelyn Jaubert, CSTM-Education
Patrick Jean-Baptiste, UGTM-Education