– par Janine Bailly –
Disparition de Romain Bouteille, ce 31 mai 2021
C’était une autre époque, et ceux que l’on connaissait, comédiens ou faiseurs de spectacles engagés, disparaissent peu à peu, emportant avec eux un certain esprit de résistance. Et qu’importe si tout n’était pas toujours du meilleur goût… leur voix qui s’éteint s’éloigne, contestataire, nous manque mais continue de résonner – raisonner ? – en nous… Romain Bouteille est décédé à l’hôpital d’une insuffisance respiratoire, à l’âge de 84 ans, lui qui déclarait à un ami : « Si tu n’as pas de colère, tu ne montes pas sur scène », lui dont la scène hors-norme du Café de la Gare avait pris pour devise provocatrice : « C’est moche, c’est sale et c’est dans le vent ». Né en 1937, Romain Bouteille était une figure des débuts du café-théâtre en France. De son métier, il avait dit un jour : « Ma vocation artistique s’est dessinée vers 1955 sous l’angle : trouver un job qui permette de se lever à n’importe quelle heure et ne suppose ni diplôme, ni réel travail, ni obéissance. »
Touche-à-tout inventif, il jongle tout au long de sa carrière entre différentes disciplines. Le chant, la comédie et l’écriture de pièces rythment son temps. Hérault du théâtre libertaire et anarchiste, auteur prolifique, il a écrit et mis en scène une trentaine de pièces et des dizaines de sketches, joués en troupe ou en solo. Par l’humour, la satire et la dérision, il réussit à formuler une virulente critique de notre société et de ses dérives : composée de tableaux humoristiques et loufoques, usant de différents procédés comiques, Une pitoyable mascarade dénonce par exemple le massacre des autochtones nord-américains ; dans Les Semelles de la nuit, en 1970, il dessine le monde qu’il imagine voir en 1991, où l’être humain aurait disparu de la Terre. Comédien, sur le petit écran Romain Bouteille s’illustre dans de nombreuses séries et dans différents registres, de la série comique Les Saintes chéries de Jean Becker avec Micheline Presle, en passant par la populaire série policière Julie Lescaut, sans oublier l’acide et dérangeante émission Les Raisins verts, de Jean-Christophe Averty. Pour le grand écran, il a tourné une trentaine de longs-métrages sous la direction de Jean Girault, Michel Audiard, Jules Dassin… On le voit aussi dans Le Feu follet de Louis Malle, ou encore dans le Peau d’âne de Jacques Demy, aux côtés de Catherine Deneuve. Mais c’est dans Les Galettes de Pont-Aven qu’il trouve l’un de ses rôles les plus marquants. Affublé d’une soutane, Romain Bouteille offre de grands moments comiques dans le rôle du curé. Enfin, au théâtre, il était en 2011 à l’affiche pour la reprise de Tout est bien qui finit bien, de Shakespeare, dans une mise en scène de Pierre Beffeyte, un spectacle créé en 2003 et dans lequel il incarnait le bouffon. On le retrouvait en 2015 pour Les Droits des hommes courbes, un seul en scène où il parlait, à sa façon bien à lui, de notre société…
Au début des années 1990, il s’était éloigné du Café, et s’était installé dans l’Essonne, où en 2014 il créerait avec son épouse Saïda Churchill, comédienne et programmatrice, un théâtre de cinquante places à Étampes, une sorte de cabaret rive gauche, baptisé Les Grands solistes.
Le Café de la Gare, « premier et dernier théâtre en anarchie réelle», initialement ouvert en juin 1969 dans les locaux d’une ancienne fabrique sise impasse d’Odessa, près de la gare Montparnasse à Paris, rassemble autour de Romain Bouteille et du jeune Michel Colucci – qui accèdera à la gloire sous le nom de Coluche –, une bande d’aspirants comédiens en herbe. En 1972, parce qu’il connaît le succès et que la salle est devenue trop petite, le théâtre déménage dans un local plus vaste, rue du Temple, dans le quartier du Marais, tout en conservant son nom. Coluche quitte alors le Café de la Gare, et dira de son collègue et ami : « Ce qu’il ne m’a pas appris, je le lui ai piqué ». De la création de ce théâtre particulier, Romain Bouteille confiera plus tard : « Je préfère penser que le Café de la Gare est une sorte d’accident. On a mélangé quelques gaz qui, ensemble, sont devenus explosifs ». Issus de cette scène singulière, qui se fait tremplin pour les nouveaux talents, bon nombre de jeunes comédiens rencontreront ensuite le succès, à l’image de Miou-Miou ou de Patrick Dewaere – que l’on a pu revoir cette semaine aux côtés de Marie Trintignant et Myriam Boyer, dans son éblouissante performance, anti-héros du film Série Noire, d’Alain Corneau. Le théâtre accueille aussi les premiers pas sur les planches d’autres figures du spectacle : Gérard Lanvin – à l’affiche ce mois du film populaire Envole-moi, de Christophe Barratier –, Renaud, Anémone, Josiane Balasko ou encore Michel Blanc…
Ils tirent leur révérence, quittent tour à tour la scène, vaincus par le temps, le désespoir, la violence des choses, ou la maladie, Patrick Dewaere, Marie Trintignant, Coluche… Romain Bouteille… Sur eux le rideau retombe, mais puissent-ils ne pas s’effacer trop vite de nos trop ingrates et oublieuses mémoires !
De nombreux articles paraissent ce jour. On peut lire notamment ceux parus dans Le Monde et FranceTvInfos
Fort-de-France, le premier juin 2021