— Par Marie Ottavi —
A 20 ans, ces jumelles françaises, de mère vénézuélienne et de père cubain, livrent Ibeyi un premier album syncrétique et habité. Rencontre à Paris
A l’heure où la fusion d’effets et l’hybridation de genres sont plus qu’à la mode, l’apparition d’Ibeyi a des allures de mirage sonore : une soul à deux voix posée sur un piano, des percussions afro-cubaines, quelques samples de hip-hop, et une électro presque délicate dans la production. Rien qui ne vienne prendre le dessus sur cette sensation de dénuement vocal salvateur. Lisa-Kainde (les cheveux en bataille) et Naomi Diaz (les couettes en chignons), 20 ans à peine, sont jumelles, d’où leur nom de scène (« ibeyi » signifie jumeau en yoruba).
Nées à Paris, elles sont vénézuéliennes par leur mère et cubaines par leur père, le percussionniste Anga Diaz. Disparu en 2006, il a laissé un héritage que le premier album de ses filles révèle en filigrane. Elles chantent en anglais et en yoruba, cette langue majeure sur l’île de Cuba, où les esclaves venus du Nigeria et du Bénin l’implantèrent ainsi que leur religion et leur musique.
Voix et percussions
L’une (Lisa) s’impose en leader naturel. Elle écrit et compose. Son instrument, ce fut d’abord cette voix douce qui sur scène déploie toute son envergure. L’autre (Naomi) a fréquenté, comme sa sœur, les chorales yoruba de Paris mais s’est longtemps concentrée sur les percussions classiques, étudiées au conservatoire, avant de jouer du cajón, caisse péruvienne, et du batá, tambour traditionnel yoruba. « On a baigné dans la culture cubaine. Elle s’est retrouvée naturellement dans notre musique. Notre mère chantait en yoruba avant même de rencontrer notre père. Notre histoire est liée à ces chants », explique Lisa.
Elle a toujours écouté de la soul et du jazz, voue un culte à Nina Simone quand sa sœur baigne dans le hip-hop de Kendrick Lamar, Jonwayne, Wiz Khalifa. L’électro dont elles se sont inspirées penche du côté de James Blake. Les jumelles sont complices par essence, et inséparables ces temps-ci. Mais lorsqu’on les rencontre chez elles, près du cimetière Montparnasse, dans le petit appartement qu’elles partagent avec leur mère, leurs singularités apparaissent évidentes.
Lisa a une pointe de maturité supplémentaire qui la ferait passer pour l’aînée, et un calme qui cache « une inquiétude permanente », dit-elle. Naomi serait moins casanière. Son phrasé est saccadé, sa voix plus grave, cassée par quelques cigarettes. L’une doute (Lisa), l’autre (Naomi) « dit souvent non » même si elle s’en défend.
Signé XL
Un homme a cimenté leurs natures : Richard Russell. Le producteur anglais, à la tête du label indépendant XL, n’aurait accordé qu’un seul entretien à de jeunes artistes ces derniers mois et ce fut à ces deux jeunes femmes. à la faveur d’une vidéo (Mama says), le Londonien à qui l’on doit la production d’Everyday Robots de Damon Albarn et, en 2010, de l’excellent I’m New Here de Gil Scott-Heron, a voulu rencontrer les sœurs Diaz. Lisa : « Richard ne parle jamais pour ne rien dire. Il a le mot juste. On a tout de suite su qu’on voulait travailler avec lui. On a signé avec XL en mars, puis on est entrées en studio. ça a duré trois mois. »
Naomi : « Ce furent les plus beaux de ma vie. » Russell n’a rien imposé, mais suggéré. Les sœurs voulaient tout faire elles-mêmes, jouer de chaque instrument présent sur le disque. Naomi a appris à travailler, à séquencer, sampler, échantillonner. « Avant cet album, nous avions enregistré un EP avec beaucoup de musiciens, expliquent-elles. Il n’est jamais sorti. Et c’est très bien comme ça. Benjamin Constant [producteur et arrangeur, ndlr], nous avait vues sur scène et nous avait conseillé de ne pas sortir cet EP car il ne correspondait plus à ce que nous faisions sur scène. Il a été le premier à nous prendre au sérieux dans le milieu, sans nous parler comme à des gamines. »
Ibeyi, leur premier album éponyme,…
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