— Par Michel Herland —
Comment essayer de gagner sa vie contre des concurrents meilleurs que vous sur le plan de la qualité, offrant pour le même prix que vous des prestations incomparablement supérieures, ou inversement capables de fournir à leurs passagers des prestations basiques pour un prix bien inférieur au vôtre ? On connaît la stratégie officielle d’Air France : préserver une image de luxe en serrant autant que possible les coûts afin de ne pas perdre d’argent. Une stratégie doublement vouée à l’échec, parce que le luxe coûte cher par définition et en raison des exigences démesurées d’un personnel naviguant qui vit encore avec les habitudes d’antan, lorsque la concurrence n’était pas ce qu’elle est devenue, et se comporte en enfant gâté. On ne sait que trop l’attitude déraisonnable des pilotes qui se considèrent propriétaires de la compagnie, leurs grèves à répétition qui plombent autant l’image d’Air France que ses finances[i].
C’est ainsi que les clients ont vu peu à peu se dégrader la qualité du service. Exit donc l’image de luxe de la compagnie sauf pour les passagers de l’avant. Quant aux autres, ils sont traités non comme des hôtes mais comme des consommateurs qui ne méritent aucun égard particulier. Le mépris des clients n’est certes pas nouveau sur les lignes de l’outremer, où la compagnie, longtemps abritée derrière un monopole, entasse ses passagers dans des avions justement dénommés « bétaillères » par la clientèle. Las, même sur ces lignes qui furent longtemps les vaches à lait d’Air France, la concurrence s’est installée. Certaines compagnies offrent aux passagers de la classe inférieure – pour un prix moindre ou équivalent – de meilleures prestations en termes de confort (ne serait-ce que la taille de l’écran individuel et le fonctionnement de la vidéo : pourquoi faut-il régulièrement réinitialiser le système en plein vol sur AF ?) et de service (des repas plus appétissants précédés d’un vrai apéritif au lieu de l’infâme « planteur » présenté dans une « mignonette »).
Grâce à son réseau intérieur, Air France conserve certes un réel avantage pour les voyageurs qui combinent un vol long-courrier et un vol de ou vers la province (un avantage moins évident lorsque la correspondance exige de passer de Roissy à Orly ou vice versa). Mais si les vols long-courrier ne sont plus que des appendices commodes des vols intérieurs, si toute la clientèle qui ne se montre pas intéressée par ces vols combinés préfère voyager sur d’autres compagnies internationales, on ne donne pas cher de l’avenir d’Air France. Non que ça importe, en réalité : Air France a déjà coûté si cher aux contribuables français que le lien affectif qu’ils pouvaient avoir avec elle s’est rompu.
Tout cela est connu depuis longtemps (sauf apparemment par la majorité du personnel d’Air France accrochée à des privilèges qui ne sont plus de saison). Ce billet n’aurait pas lieu d’être sans une dernière ruse de la compagnie frisant la malhonnêteté, et nous ne sommes pas le seul à nous être fait attraper. Il s’agit de l’introduction d’un nouveau tarif légèrement inférieur pour des vols non modifiables – ce qui n’est pas nouveau – et sans bagage en soute – ce qui est nouveau mais n’est pas affiché de façon suffisamment claire pour que des passagers ne s’y laissent pas prendre et ne se retrouvent, au moment de l’embarquement, obligés de verser un supplément et de payer finalement plus cher que s’ils avaient choisi le tarif plus élevé ! Il était difficile de prévoir, en effet, qu’Air France allait adopter cette pratique jusqu’ici réservée aux compagnies étiquetées low cost. Et de pénaliser ainsi sa clientèle la plus populaire. Si les frequent flyers, qui empruntent plusieurs fois la ligne dans l’année et ne payent le plus souvent pas eux-mêmes leur billet, n’ont en effet pas besoin de bagage en soute, il n’en va pas de même pour ceux qui voyagent une fois l’an pour visiter la famille ou pour des vacances.
[i] On a récemment appris par la presse que la rémunération annuelle brute de chacun des 99 pilotes les mieux payés dépassait 300.000 €. Il fut un temps où la rémunération de certains pilotes dépassait celle du président de la compagnie ! Cette ère est révolue depuis l’avènement des « super managers » et le contrat du nouveau patron, le Canadien Ben Smith, lui permettra, en cas de succès, d’encaisser jusqu’à 4,25 millions € annuels. A titre de comparaison, les traders new-yorkais se sont partagés 31,4 milliards $ de bonus au titre de l’année 2017, soit, en moyenne, « seulement » 184.220 $. Il y a environ 3500 pilotes à Air France qui gagneraient en moyenne 12.000 € par mois pour un co-pilote, 18.000 € pour un pilote et 20.000 € pour un instructeur.