Guillaume Gallienne joue la Lucrèce Borgia de Victor Hugo au Français, dans une mise en scène de Denis Podalydès. Un travestissement convaincant.
— Par Gilles Costaz —
Dans l’œuvre de Victor Hugo, y a-t-il mélo plus mélodramatique que Lucrèce Borgia ? Peut-être pas, tant les personnages y sont spectaculairement criminels. Mais sans être tout à fait odieux. C’est l’un des génies de l’auteur que d’avancer sans gêne sur la ligne vertigineuse des antithèses et d’accoler sans artifice le blanc et le noir, le pur et l’impur, le ciel et l’enfer.
Cette pièce est dans l’air et les goûts de notre temps, en témoigne le nombre de mises en scène de Lucrèce Borgia. Il y eut celles de Lucie Berelowitsch (avec Marina Hands) et de Jean-Louis Benoit (avec Nathalie Richard) ; il y aura celle de David Bobée (avec Béatrice Dalle) qui sera donnée aux Fêtes nocturnes de Grignan dès la fin juin. Et il y a celle de Denis Podalydès pour la Comédie-Française. Salle Richelieu, on a choisi la difficulté et le paradoxe : le rôle de Lucrèce est tenu par un acteur de sexe masculin, Guillaume Gallienne, et le rôle de Gennaro (un amant, un fils de Lucrèce ? C’est toute l’incertitude de l’aventure) est interprété par une comédienne, Suliane Brahim. Deux travestis en tête de distribution !
De Borgia à Orgia.
L’action commence à Venise. Au décor, Eric Ruf a imaginé une immense gondole où l’on s’installe comme sur une place publique. C’est là que Lucrèce Borgia s’éprend du jeune Gennaro, qui ne se laisse pas séduire et se maintient à la tête de ses opposants. Il faut dire que la réputation de la hautaine Lucrèce n’est pas celle d’un ange : elle a tué ses trois maris, elle a eu un fils né de ses étreintes avec son frère et elle continue à faire régner sa terreur.
La voilà remariée à Ferrare avec le seigneur don Alphonse d’Este. C’est là, devant la façade d’un palais où est inscrit en lettres énormes le mot Borgia et dans les salons aux lourds rideaux que vont se jouer la vie et la lutte passionnelle de Lucrèce. Gennaro a transformé le mot Borgia en Orgia ! Une telle insulte mène les principaux personnages à un affrontement féroce à coups d’arguments retors et de poison infernal. Le luxe d’un dîner mondain ne sera que le cadre d’une explication finale où la vérité tombera en même temps que le couperet de la mort.
Le pathétisme du mélodrame
Voilà, résumé, ce roman scénique échevelé. Que faire avec une histoire aussi précipitée et un tant soit peu grandiloquente ? L’épurer et chercher la noblesse derrière l’abjection comme l’avait naguère Antoine Vitez, dirigeant dans le rôle-titre Nada Strancar au festival d’Avignon ? Ce n’est pas tout à fait l’option prise par Denis Podalydès qui, pour le plaisir de l’oeil, fait donner aux décors de Ruf leur plein apparat et chorégraphie les mouvements de groupe afin que tout soit rapide mais ordonné, saisissant mais élégant.
Avant tout, il met en branle le pathétisme du mélodrame : pas d’alanguissement, mais plutôt l’accélération des changements de scène et des effets de surprise, l’enchaînement progressif du malheur et de la vilenie. C’est implacable, mais en gardant le coeur sur la main. Le destin est méchant, les personnages sont cruels, mais, si le spectateur repart avec tant de tristesse, c’est qu’il eût suffi d’un rien pour que l’amour triomphe. Les êtres humains auraient été meilleurs s’ils n’avaient pas été pris au piège d’une machine infernale ! Au XIXe siècle, on pleurait sans doute, mais, à présent, nous avons les yeux plus secs. La langue de Hugo, qui est là en prose, est ,mais les sentiments sont à deux sous. Un vrai mélo, oui, vraiment.
Gallienne en Lucrèce mélancolique
Podalydès, dont les mises en scène sont parfois trop recherchées et rendent sophistiqué ce qui est simple, actionne cette fois parfaitement le mécanisme de l’oeuvre.
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Le Point.fr – Publié le 31/05/2014 à 10:46