— Par Selim Lander —
Mourir, est-ce enfin le moment pour l’âme de se libérer des tracas de l’existence ? Pour l’Occidental qui ne croit plus à dieu ni à diable, la croyance des hindous apparaît infiniment naïve, et même quelque peu contradictoire puisque l’âme est amenée à se réincarner dans une autre créature qui aura également son lot de tracas. Mais comment ce même Occidental ne serait-il pas envieux d’une culture qui apprivoise la mort à ce point-là ? Telle est certainement l’impression dominante qu’on retirera d’un film qui aborde ce sujet délicat entre tous avec une infinie délicatesse, gommant tous les aspects les moins ragoutants de la mort à Bénarès, la puanteur des bûchers, l’eau souillée du Gange dans laquelle les fidèles n’hésitent pas à s’immerger complètement, et même, réduits à la dernière extrémité, d’en boire l’eau réputée sacrée. Comment oserions-nous, au demeurant, critiquer ces mœurs ? Question pollution, nous n’avons rien à apprendre de personne. Les Parisiens en savent quelque chose qui boivent certes de l’eau potable mais respirent une atmosphère qui les rend malades. Quant aux Martiniquais qui boivent, avalent des produits chlordéconés et battent des records en matière de cancer, ils seront bien les derniers à se moquer des Indiens.
Ce n’est pas à nous de dire comment le film est reçu en Inde. Pour ce qui nous concerne, il délivre un message essentiel : la mort n’est rien que l’on doive redouter. Les sages de l’Antiquité le savaient déjà mais le christianisme, avec sa hantise du péché et la menace de l’enfer, puis l’individualisme égocentrique nous ont appris à penser autrement. Essayons donc, humblement, de recevoir ce message : non la mort n’est pas le drame qu’on croit (elle est même mélodrame pour les futures veuves joyeuses et les enfants impatiens de recevoir leur part d’héritage !).
Shubhashish Bhutiani nous épargne les scènes les plus horribles. Le scénario est centré sur un vieil homme qui, pressentant sa mort prochaine, décide de partir à Bénarès, et son fils qui l’accompagne par devoir, alors qu’il en veut à un père qui n’a pas su lui manifester son amour, et qu’il risque, en s’absentant, de perdre son emploi. Le fils est marié, sa femme et sa fille jouent également un rôle important, de même que le propriétaire de l’Hôtel du Salut, à Bénarès, et l’une des pensionnaires qui attend depuis plusieurs années que la mort veuille bien la prendre…
Sans jamais jouer dans le registre comique, le film fait souvent sourire : la mort n’est pas nécessairement présente au rendez-vous qu’on lui a donné… S’ajoute, pour ceux d’entre nous qui sont peu ou pas familiers de l’Inde une dimension documentaire : spectacle fascinant que celui des rues encombrées de marchands de toutes sortes ou des improbables véhicules qui circulent sur les routes. Bhutiani sait prendre son temps, par exemple pour filmer une mare où frétille une foule de petits canards, l’image d’une vie innocente et joyeuse mais éphémère. A l’exception du fils, les personnages principaux, hommes et femmes, sont habillés à l’indienne (sari pour les femmes, pantalon et tunique blanches pour les hommes). Force est de constater combien ces vêtements pourtant modestes – on n’est pas chez les riches – paraissent élégants par comparaison avec notre propre manière de s’habiller.
On sort d’Hôtel Salvation convaincu que les Indiens, tout pauvres et superstitieux qu’ils sont, auraient bien des choses à nous apprendre.
Tropiques Atrium à Madiana, 14 juin 2018.