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Par Sylvie Faure-Pragier, auteur des « Bébés de l’inconscient : le psychanalyste face aux stérilités féminines aujourd’hui » (PUF, 2003)
Depuis que se profile le vote de la loi sur le mariage pour tous, une efflorescence d’articles psychanalytiques envahit les médias. Au coeur du débat : l’homoparentalité. Ces articles font-ils état d’une expérience clinique des problèmes rencontrés par les enfants des couples homosexuels ?
Aucunement. Les données publiées dans les pays où cette possibilité existe depuis suffisamment de temps pour que ces enfants soient devenus adultes sont superbement ignorées. Les informations et les études pourtant précieuses des auteurs américains, australiens, israéliens, belges et autres sont disqualifiées.
BIEN DES A PRIORI
En France, ces articles s’appuient essentiellement sur les théories issues de l’analyse de sujets dont les parents sont hétérosexuels. Avoir deux parents de sexes différents serait indispensable à la reconnaissance des sexes.
L’identification d’un garçon à un homme serait empêchée s’il n’avait pas de père. Du coup, certains psychanalystes en ont déduit bien des a priori sur l’homoparentalité. Selon eux, la conception hors différence des sexes abolirait le fantasme d’engendrement en réalisant le rêve d’autoreproduction qui serait au coeur de la psychose…
Pour ces psychanalystes, le symbolique est tributaire de la réalité. Le passé représenterait alors « le bien et le vrai ». L’homoparentalité serait une transgression.
Ces critiques me ramènent vingt ans en arrière, lors des premières fécondations in vitro dans les couples hétérosexuels. Il y eut alors un vaste regroupement de psychanalystes pour critiquer ces procréations médicalement assistées (PMA).
Selon eux, elles allaient aboutir à créer des enfants dont l’inconscient serait altéré. Ils prédisaient, comme aujourd’hui avec l’homoparentalité, que des catastrophes allaient s’abattre sur ces enfants « artificiels ».
Ils pensaient que, privés à l’origine de l’abri de l’utérus maternel, ces enfants ne pourraient accéder à la scène primitive puisque celle-ci n’était pas à l’origine de leur conception dans la réalité !Ces enfants « artificiels » seraient alors menacés de devenir psychotiques.
La réalité de l’évolution normale de ces enfants fit bientôt taire les terrifiants oracles de ceux qui se sont déconsidérés par l’excès de confiance en leurs constructions théoriques.
LES MÊMES FANTASMES
Or voici que ce débat reprend vingt ans plus tard, sous-tendu par les mêmes fantasmes :
1. La menace du chaos exprime la crainte de l’ébranlement d’un ordre du monde. Alors, ce serait l’analité toute-puissante que libérerait la transgression. Le fantasme impliqué serait celui d’une régression à la toute-puissance infantile puisque le garant de la loi symbolique, le père, aurait été éliminé.
2. L’angoisse rejoint le fantasme de l’apprenti sorcier. La puissance de la science se projette sur son objet. Dépassé, le médecin deviendrait l’esclave d’une créature qui échapperait à son contrôle tel le Golem ou Frankenstein. Nous fabriquerions des êtres déshumanisés : ils viendraient se venger en détruisant l’humanité.
3. Mère idéalisée : le progrès abîmerait la Nature. L’attaque de celle-ci entamerait l’intégrité de ses fruits. Les enfants de l’homoparentalité seraient pathologiques.
Ces prévisions catastrophistes dénient toute vie psychique autonome ! Que savons-nous sur les effets de la parenté homosexuelle ? Je ne peux que résumer les connaissances actuelles en disant que les résultats de procréations homosexuelles pratiquées à l’étranger sont rassurants.
On doit dire que, si ces enfants ainsi conçus, nombreux aux Etats-Unis, devenaient psychotiques, cette situation n’aurait pas manqué d’alerter, là-bas, les experts hostiles à ces pratiques.
La méthode freudienne se fonde sur l’écoute. Jusqu’à aujourd’hui, le coït procréateur, nommé aussi scène originaire, a été un des fantasmes organisateurs de la psyché. Cependant, n’est-il pas lui-même une représentation privilégiée d’un complexe enchevêtrement de désirs parentaux ? D’autres représentations ne pourraient-elles avoir la même fonction ?
La symbolisation me paraît être une capacité de notre psychisme et non une conséquence de l’organisation familiale réelle.
Pourquoi les efforts considérables faits par des parents pour faire naître leur enfant ne pourraient-ils pas induire un effet structurant ? Ce serait l’ébauche d’un nouveau fantasme originaire qu’être ainsi un « enfant du désir d’enfant », adopté ou procréé médicalement.
ÉTHIQUE DU BIEN
L’identité se réfère aux désirs parentaux et non à l’usage qui est fait des cellules germinales. C’est l’expérience psychanalytique qui nous dira un jour comment se seront agencés les fantasmes des enfants de nos patients après la victoire sur le destin anatomique que la médecine a offerte à leurs parents.
Si je me sens apte à étudier cette situation, sans doute est-ce lié à ma connaissance des choix éthiques des autres nations européennes. Si la France prône une éthique du bien, c’est une éthique de la liberté qui s’applique dans de nombreux pays.
Là, chacun dispose librement de son corps tandis que chez nous l’indisponibilité du corps est décidée par la loi.
La liberté est un modèle qui laisse les parents responsables de leurs choix procréatifs. Le psychanalyste n’a pas à imposer un point de vue devant le désir de la société de s’adapter à la situation existante.
Il n’a pas à s’opposer à la volonté de donner aux enfants des homosexuels la reconnaissance de leur filiation, même si celle-ci est contradictoire avec la biologie. Sans une expérience clinique réelle, les psychanalystes ne peuvent se substituer ni à l’opinion publique ni au législateur. D’ici là, « taisons-nous ! »
Sylvie Faure-Pragier, auteur des « Bébés de l’inconscient : le psychanalyste face aux stérilités féminines aujourd’hui » (PUF, 2003)
Sylvie Faure-Pragier est l’auteur des « Bébés de l’inconscient : le psychanalyste face aux stérilités féminines aujourd’hui » (PUF, 2003)
LE MONDE | 25.12.2012 à 13h36 • Mis à jour le 25.12.2012 à 20h35