— Par Selim Lander —
Christiane Eda-Pierre, née en 1932 à Fort-de-Fance, décédée le 6 septembre 2020 à Faye-l’Abesse (Deux Sèvres), était issue d’une famille d’artistes. Sa tante, Paulette Nardal, est l’une des fondatrices de la revue l’Etudiant Noir, celle-là même où Césaire introduira le terme « négritude » dans un article. La mère de la future cantatrice, Alice Nardal, était professeur de musique et l’on compte également des musiciens parmi ses grands-parents. Quant à Christiane Eda-Pierre elle-même, après de très brillantes études au Conservatoire, à Paris (premier prix d’opéra, premier prix de chant, premier prix d’opéra comique), elle se fit rapidement connaître comme soprano lyrique virtuose (car à l’aise dans les notes les plus aiguës) et entama une carrière qui prit bientôt une dimension internationale, l’amenant à se produire sur les scènes des plus grands opéras du monde.
La cantatrice s’est illustrée dans un vaste répertoire allant du baroque aux œuvres contemporaines. Elle connut ses premiers succès dans le Pécheur de perles de Georges Bizet, elle a beaucoup fréquenté Mozart, s’est fait remarquer dans les Contes d’Hoffmann mis en scène par Patrice Chéreau, a participé à plusieurs créations dont le Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen, etc.
Suivant l’exemple du festival d’Aix-en-Provence en 2020, la Martinique lui a fait hommage avec le concours des « Voix des Outre-mer » réunies par Fabrice di Falco, contreténor (falsettiste) bien connu, lui-même d’origine martiniquaise. Les morceaux, des extraits d’opéra, discrètement accompagnés au piano par David Zobel, étaient entrecoupés par un maître de cérémonie, Richard Martet, une autorité en matière d’opéra, qui a relaté les diverses étapes de la carrière de Ch. Eda-Pierre, l’histoire d’une ascension, somme toute rapide, vers la gloire.
Depuis combien de temps n’avions-nous pas écouté de la musique dans la grande salle de l’Atrium, ou plus généralement en Martinique, qui ne soit pas amplifiée par une machinerie compliquée. C’était déjà, ce soir-là, un immense plaisir d’entendre des airs d’opéra sans le truchement de ces appareils qui semblent devenus partout indispensables, des cathédrales jusqu’aux plus modestes chapelles, des amphithéâtres jusqu’aux simples salles de réunion, au point qu’on en est à se demander comment les anciens pouvaient bien communiquer ! Je regrette de devoir reprendre cette antienne mais il n’y a rien de pire qu’un micro mal réglé et cela se révèle si fréquent qu’on en vient à douter soit de la compétence, soit de la bonne volonté des personnes aux manettes de ces appareillages peut-être trop sophistiqués. Le fait est que, en l’occurrence, le micro de R. Martet n’était pas parfaitement réglé et avait une fâcheuse tendance à avaler ses fins de phrases. Mais passons, ce n’est pas cela qui pouvait gâcher une soirée qui nous a apporté bien plus de plaisir que de peine.
Nous n’étions pas là, évidemment, pour entendre une cantatrice comme Ch. Eda-Pierre. Nous savions que les chanteuses et chanteurs sur le plateau ne pourrait pas l’égaler. Mais cela n’empêchait pas d’espérer de la bonne musique et, l’un dans l’autre, c’est ce qui nous fut proposé, avec une majorité de morceaux que Ch. Eda-Pierre avait elle-même chantés, souvent adaptés pour des voix différentes. Deux soprano, Angélique Boudeville et Marie-Laure Garnier, étaient chargées d’évoquer directement, à défaut de la restituer, la voix de Ch. Eda-Pierre. La seconde en particulier, Guyanaise, qui après avoir remporté le concours des Voix des Outre-mer en 2019 a remporté celui des Victoires de la musique classique, s’est taillée un succès mérité avec un air de Vitellia dans la Clémence de Titus de Mozart. Quant à F. Di Falco, il a lui aussi repris un air chanté par Ch. Eda-Pierre, la « Ah ! Mio cor » d’Alcina dans Alcina de Haendel. Il a également offert au public martiniquais un air d’Akhnaten (Akhenaton) de Philip Glass dont il interprète en ce moment le rôle titre à l’Opéra de Nice. En tout six chanteurs (dont quatre chanteuses) se sont succédés sur le plateau, seuls ou en duos, parmi lesquels la Martiniquaise Roseline Cyrille, qui fut l’ élève de Ch. Eda-Pierre et qui enseigne désormais le chant lyrique dans notre île.
Tropiques Atrium – scène nationale, 20 novembre 2021.