Le temps de la déradicalisation des consciences*
— Par Pierre PASTEL, sociologue, psychothérapeute, président du CEGOM —
*Ce texte a été, en grande partie, prononcé le dimanche 6 mai 2018 à Montceau les Mines au moment du dépôt de gerbe au Monument aux Morts en hommage aux victimes de l’esclavage et de la traite négrière dans le cadre du 9ième Festival Outre-Mer en Bourgogne. Il aborde le thème de la déradicalisation des consciences.
Clin d’œil aux époux Meghan Markle1, Duchesse de Sussex et Henry Charles Albert David Duc de Sussex (Prince Harry – Angleterre) 2
Rendre hommage aux victimes de l’esclavage et de la traite des personnes noires3
C’est un devoir pour chacun d’entre nous d’être présent, aujourd’hui, là où l’on rend hommage aux victimes de la traite négrière et de l’esclavage. Nous allons employer, dans cette « brève », le vocabulaire de notre époque pour faciliter la pleine compréhension de ce qui nous préoccupe. Il paraît que la compréhension libère.
1848- 2018
En cette année 2018, nous commémorons le 170ième anniversaire de l’arrêt officiel, en France, d’une pratique mise en œuvre pendant 400 ans par toute une « civilisation ».
Une « civilisation » alors :
– radicalisée au pillage de tout un continent (l’Afrique noire), au vol des richesses,
– radicalisée au rapt des hommes, des femmes, des enfants
– radicalisée au viol de femmes, d’enfants ;
– radicalisée à la commercialisation, entendons radicalisée à l’achat, à la vente de ces êtres humains,
-une « civilisation » radicalisée au mépris de la dignité humaine de ces personnes.
La « civilisation » a appelé cela : traite négrière, esclavage, commerce triangulaire.
Une « civilisation » occidentale radicalisée à travers :
-Sa philosophie,
-Ses religions4 détournées ou non, instrumentalisées (y compris l’Eglise Catholique Apostolique Romaine, partie prenante- à quelque échelle qu’elle veuille bien l’admettre- de cette pratique démoniaque) 5,
-Sa littérature,
-Son système éducatif,
-Son système politique,
-Son mode de relation entretenu avec l’autre.
400 ans !!!
Nous n’oublions pas des notes discordantes venues de cette société et d’ailleurs : telles Alphonse de Lamartine, Etienne Lavaux, Pierre Moreau, Anne-Marie Javouhey s’associant aux voix de Toussaint Louverture, Louis Delgrès, François Makandal, La Mulâtresse Solitude (Guadeloupe), Sanite Bélaire (Haïti), Anne Zinga (Angola), Dandara (Brésil), Héva (La Réunion) pour faire taire la barbarie.
Notre société a attendu 150 ans, l’année 1998, sous la pression ferme et déterminée des filles et des fils de ces personnes victimes de ce conditionnement civilisationnel, pour commencer officiellement la psychothérapie collective nécessaire tendant à déradicaliser les consciences.
Etre radicalisé
Etre radicalisé, c’est agir, au milieu des autres, de manière routinière dans la société tout en étant travaillé par un idéal foudroyant chargé d’une certaine dose de croyance à soubassement démoniaque qui nous vide de notre raison et de toute morale.
Cette posture nous laisse croire et laisse croire aux autres que l’on est dans un fonctionnement naturel, normal. Nous croyons même que nous sommes dans l’ordre des choses nécessaires, souhaitées par Dieu. En réalité nous sommes tout entier baignés dans un être-soi illusionnel, mortifère, qui ne peut qu’entraîner, irrémédiablement, la perte de soi et l’anéantissement des autres. C’est un état de conditionnement individuel et collectif qui produit des êtres froids, programmés pour détruire l’autre, sans état d’âme, l’autre et paradoxalement soi-même et ceux que l’on aime.
De la psychothérapie collective
Oui, c’est un devoir pour chacun d’entre-nous d’être présent, aujourd’hui, là où l’on rend hommage aux victimes de la traite négrière et de l’esclavage pour participer à cette psychothérapie collective en dépit des résistances et des réticences de toutes parts.
Oui, c’est un devoir pour chacun d’entre-nous d’être là, aujourd’hui, pour faire triompher la concorde citoyenne, l’amour fraternel inconditionnel.
Faire échec à la discrimination, faire échec au racisme congénital, faire échec à la citoyenneté réduite aux acquêts assignée à bon nombre, faire échec au réflexe du partage inégal, à l’irrespect de la dignité humaine, faire échec, oui, faire échec au complexe de supériorité tout autant qu’à celui d’infériorité, faire échec au négationnisme et au révisionnisme, (sous quelque subtilité ou de quelque chapelle que ces derniers osent s’afficher)
mérite au moins 400 ans de travail sans relâche, de déconditionnement, de déradicalisation individuelle et sociétale.
Nous n’en sommes qu’au début…
Pierre PASTEL
Sociologue/Psychothérapeute
Président du CEGOM
1Métisse Américaine descendante de personnes d’Afrique noire mises en esclavage aux Etats Unis
2Petit fils de la Reine d’Angleterre, prince du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
3Ce texte a été, en grande partie, prononcé le dimanche 6 mai 2018 à Montceau les Mines au moment du dépôt de gerbe au Monument aux Morts en hommage aux victimes de l’esclavage et de la traite négrière dans le cadre du 9ième Festival
Outre-Mer en Bourgogne en présence, notamment de Madame Marie-Claude Jarrot, Maire de la ville et du Père Marcel Crépin, Aumônier National des Antillais et Guyanais en France.
4Consulter, notamment :*Les Négriers en Terres d’Islam, Jacques HEERS, Ed Perrin, 2007.
* L’Esclavage aux Antilles Françaises (XVIIème –XIXème siècle), Père Antoine GISLERS, C.S.SP. Editions Universitaires
Fribourg Suisse, 1965
*Nègres et Juifs au XVIII ème siècle, Pierre Pluchon, Ed. Tallandiers, 1984
5Les Dominicains ont eu une sucrerie en Martinique et jusqu’à cinq cents esclaves, au moins 2 sucreries à Saint Domingue, et plus de deux cents esclaves. Les Jésuites en Guyane possédaient deux sucreries, une cacaotière, une ménagerie avec plus de huit cents noirs (chiffres de E. Petit en 1771 cité par Père Antoine Gislers sus-nommé). Nous n’oublions pas le Père Labat en Martinique avec ses esclaves, ses récits.
Quel chrétien, aujourd’hui, peut nier l’importance de l’évangile dans sa propre vie ? Pour autant, évitons d’ajouter du révisionnisme ou du négationnisme dans le révisionnisme et le négationnisme encore ambiants. Qui (avant qu’elle ne soit au fil des siècles évincée de ce statut) était à l’époque l’Autorité morale suprême dans la civilisation, autorité sans qui le consentement implicite ou explicite, rien ne pouvait « légalement, divinement » donc « normalement se faire sur l’étendue de la planète ?