— Par Pierre Pastel —
Pierre Pastel, sociologue et psychothérapeute propose un texte publié en 2008 (dans la revue Alizés) et qui a pour titre : Le BEAU1.
A partir de quelques exemples délicats, j’invite, subtilement, à être attentifs à ce qui nous ramène à nos profondeurs, à ce qui nous étonne agréablement, nous édifie intérieurement et qui nous pousse, parfois à notre insu, à soigner nos relations à nous- mêmes, aux choses et aux autres.
En filigrane, et à l’occasion du cent quarantième anniversaire du Couvent Notre Dame De La Délivrande du Morne Rouge en Martinique 2, il mettait en lumière la genèse de (et) l’œuvre de picturale de Sœur Eulalie Roseaulin qui vient de nous quitter ce dimanche 25 mars 2018 à l’âge de 97 ans.
LE BEAU
Le BEAU. Il est partout au rendez-vous de notre vie, il est souvent là où on ne l’attend pas. Il nous surprend, nous émeut ! Mais le voyons-nous, le reconnaissons-nous toujours ?
Nos interprétations quant à sa manifestation, ici ou là, dans notre présent, sont comme nos goûts et nos couleurs. Cela nous regarde.
Les « goûts » et les « couleurs » relèvent de notre expérience de notre danse sur la chaîne de notre vie.
Nous ne savons pas pourquoi, ni comment, encore moins à quel moment et sur quels maillons de cette chaîne le BEAU viendra nous saisir. Nous ne savons pas non plus qui nous le révélera en nous ou qui le mettra face à nous.
Du haut de notre « intelligence », de notre « maturité », c’est la candeur, celle des autres mais souvent la nôtre qui nous invitera à la rencontre du BEAU :
« Pourquoi pleures-tu lorsque tu me regardes » dit l’enfant à sa maman ? « Parce que je t’aime
tellement » .
« Regarde ! Tu vois ce que je vois ? Tu n’as rien vu ? J’aimerais rester encore un peu »
« Ce serpent a une si belle peau, j’aimerais le toucher ».
« Je suis inquiète de voir ma maman trop s’inquiéter pour moi. Monsieur, pourrais-tu lui dire
que je l’aime ?
Continuons…
« Tati, peux-tu me faire un dessin s’il te plait ? »
Voilà une demande faite à une dame de 86 ans par un enfant de plus de 80 ans son cadet.
J’avais honte, je n’avais jamais touché à un pinceau pour ces choses-là. J’ai beaucoup hésité. Puis, j’ai essayé. J’avais peur mais j’ai essayé. C’est comme ça que j’ai commencé, confie-telle.
PURGATOIRE, c’est le titre de son premier « gribouillis. » Pourquoi gribouillis ? Parce que, pour elle, c’était juste pour faire plaisir à un innocent.
Cependant, de retour à sa « cellule », cette dame, une religieuse, « est tellement plongée dans ses dessins qu’elle oublie les offices. Nous sommes obligées d’aller la chercher », fait observer la Sœur Supérieure de son Couvent.
Quinze, trente, jusqu’à plus de cent vingt « gribouillis » en moins de six mois. Une oreille attentive à qui elle demande de jeter ces papiers et toiles coloriés va en faire des dessins et des peintures, des tableaux, puis l’exposition3 d’une œuvre laissée à l’interprétation de chacun et de la multitude « C’est moi qui ai fait ça ? Haaa, je suis contente si ça vous fait plaisir ! Et bien, je ne voyais même pas que je faisais tout ça » 4, s’écrie notre « pauvrette » devant ses propres petits « riens ».
Qu’est-ce qui m’inspire ?
« La beauté de la création, je la vois partout. Alors je rassemble tout ce que j’ai sous la main : papier, crayon, gouache, stylo, feutre, règle, ils se mettent à converser entre eux et mes mains dessinent pour Jésus et Marie. Souvent, j’ai mal aux bras, mais je peux difficilement m’arrêter. Maintenant, j’ai toujours mon matériel dans mon sac et quel que soit l’endroit où je suis, dès que j’ai un petit moment, j’entre en contemplation devant chaque couleur, chaque trait qui s’invite sur ma feuille. » Sœur Marie Eulalie (Notre Dame de la Délivrande au Morne Rouge en Martinique).
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Sachons donc être attentif aux mille et un petits riens que nous avons autour de nous et en nous,
ces « riens » qui illuminent notre vie et qui nous élèvent. Sachons aussi prendre le temps de reconnaître chez l’autre ses TRESORS. Ayons plus souvent l’audace de l’aider à découvrir ses rubis.
Osons accueillir un don sans chercher à dépasser, ni à jalouser « le maître ». Un don reste tout simplement un don. On ne peut dépasser un don. Le BEAU se niche aussi ici.
Pierre PASTEL, Sociologue, Psychothérapeute.
Directeur de l’Institut de Psychologie Transpersonnelle
1 Seules les annotations en bas de page sont rajoutées à cette nouvelle publication.
2 En cette année 2018, le Couvent Notre Dame De La Délivrande fête ses 150 ans.
3 Aujourd’hui, en 2018, plus de trois cents tableaux sont à l’actif de Sœur Eulalie Roseaulin. Des fleurs, rien que des fleurs. Des fleurs, compagnes de route pendant près de 20 ans. Des fleurs qu’elle a croisées sur son chemin et avec lesquelles elle a longuement conversé, prié, pour briser sa solitude et apprécier la joie d’avoir été choisie (elle qui savait à peine lire et écrire) pour apporter un peu d’apaisement, de paix à des pauvres du Morne Rouge à Ajoupa Bouillon. « A pied, très tôt le matin, mais aussi à la nuit tombante, traversant, champs, rivières, mornes, roches, des fleurs, vous savez, j’en ai vu. Elles sont toutes restées en moi pendant des années et des années » Sœur Marie Eulalie Roseaulin.
4 Des Fleurs Pour Mon Epoux (l’Epoux c’est Jésus) est le titre de cette exposition itinérante qui peut être présentée à la demande. S’adresser à sa nièce Marie-Louise CITTEE ROSEAULIN. m.cittee@gmail.com
photos : Nadiège Pastel (Journaliste et Animatrice à Radio Saint-Louis en Martinique).