La Mairie de Paris salue la mémoire de la « Mulâtresse Solitude », figure guadeloupéenne de la résistance des esclaves noirs.
Un hommage parisien, d’après le site ActuParis et Le Monde
Samedi 26 septembre 2020, Anne Hidalgo, maire de Paris, et l’acteur Jacques Martial, son adjoint chargé des Outre-mer, inaugureront le « Jardin de la Mulâtresse Solitude » (aux pelouses Nord de la place du Général Catroux, dans le 17e arrondissement).
Il s’agit, pour Paris, de rendre un hommage public à cette héroïne de l’histoire, comme l’ont fait précédemment Les Abymes, en Guadeloupe, où l’on recense une rue de la Mulâtresse Solitude, une école du même nom, et une statue de l’héroïne. Anne Hidalgo ne s’en tiendra pas là : selon le site LCI, la ville prévoit d’ériger aussi, dans le futur une statue à l’effigie de Solitude, presque à la place d’une autre fondue sous l’occupation nazie, celle du général Dumas, premier général français ayant des origines afro-antillaises, et père de l’écrivain Alexandre Dumas. Une décision hautement symbolique : « Ce sera la première statue de femme noire à Paris », se félicite l’acteur guadeloupéen Jacques Martial, nouvel adjoint chargé des Outre-mer.
Des statues, Paris en compte environ un millier. Une écrasante majorité d’hommes, y compris de colonisateurs plus ou moins violents, comme Joseph Gallieni, responsable du massacre des Menalamba à Madagascar. Très peu de femmes : parmi elles, cinq Jeanne d’Arc, deux Sainte-Geneviève, mais aussi George Sand, Sarah Bernhardt, Edith Piaf et Dalida. Aucune femme noire ne figure jusqu’à présent à ce Panthéon !
Solitude et l’histoire de la Guadeloupe, d’après le site de l’UNESCO :
Mulâtresse Solitude… Mulâtre et mulâtresse, ce sont les vocables par lesquels on désignait, au temps de la colonisation, les personnes nées d’un parent noir et d’un parent blanc. Celle que les colons avaient baptisée Rosalie échangea son prénom pour celui de Solitude. Figure féminine des Insurgés de 1802 en Guadeloupe, Solitude incarne toutes les femmes et les mères des Caraïbes qui se sont battues pour la liberté et l’égalité dans le contexte du système esclavagiste. Née vers 1772, ou 1780, la date reste floue, elle était la fille d’une esclave africaine, violée par un marin sur le bateau qui la déportait aux Antilles. Elle fut séparée de sa mère lorsque le maître de l’habitation remarqua ses yeux clairs. Il en fit une domestique, esclave de maison, une catégorie supérieure dans la hiérarchie des esclaves. Mais elle était consciente de l’oppression qui pesait sur elle et ses semblables. À la première abolition de l’esclavage, annoncée sur place en juin 1794, elle rejoignit une communauté de « nègres marrons » – ainsi nommait-on les esclaves en fuite – installée à Goyave. On l’accepte en dépit de sa couleur de peau : elle partage l’esprit de courage et de révolte des rebelles. Le peu que l’on sait d’elle provient de l’ouvrage Histoire de la Guadeloupe d’Auguste Lacour (1805-1869).
La Mulâtresse Solitude est l’une des grandes figures des rébellions de 1802 contre le rétablissement de l’autorité de Lacrosse, capitaine-général de la Guadeloupe nommé par Napoléon Bonaparte, qui avait été expulsé en octobre 1801 à la suite d’un putsch des officiers de couleur de l’armée. En 1802, huit ans après la première abolition de l’esclavage, Napoléon Bonaparte envoie le général Antoine Richepance en Guadeloupe. À la tête de 3 500 hommes, celui-ci a reçu pour mission de rétablir Lacrosse dans sa fonction de capitaine-général, de désarmer tous les soldats de couleur, de déporter les officiers rebelles et de rétablir la discipline chez les anciens esclaves. Dès son arrivée, il ordonne le désarmement des soldats de couleur et les conduit à bord de ses navires.
Dès lors, une rébellion orchestrée par le chef de bataillon, commandant, Joseph Ignace et les capitaines Palerme et Massoteau, s’organise. Leur compagnon de lutte, Louis Delgrès, natif de Saint-Pierre en Martinique, chef de bataillon et commandant l’arrondissement de Basse-Terre, lance l’appel du 10 mai 1802 intitulé : « À l’univers entier, Le dernier cri de l’innocence et du désespoir ».
La Mulâtresse Solitude, enceinte de quelques mois, se joint à la lutte contre les troupes de Richepance. Après dix-huit jours d’un combat inégal – on compte plus de quatre mille soldats du côté de Richepance et seulement mille soldats réguliers environ du côté des rebelles –, c’est la défaite. Joseph Ignace, sur le point d’être fait prisonnier, se donne la mort. Les forces coloniales acculent trois cents résistants dans l’habitation d’Anglemont, fortifiée, à Matouba. Tout espoir perdu, le 28 mai, Delgrès et ses compagnons font exploser la maison dans laquelle ils s’étaient retranchés. Les survivants seront exécutés. Faite prisonnière vers le 23 mai 1802, lors de la prise du camp de Palerme à Dolé, Solitude est condamnée à mort et suppliciée le 29 novembre de la même année, le lendemain de son accouchement : elle mourra par pendaison. « Être supplicié » signifiait alors recevoir un traitement qui pouvait aller du fouet au carcan, et jusqu’à la mort. « Cette femme s’est engagée politiquement, a pris les armes pour défendre les valeurs de la République, et l’a payé de sa vie », résume Jacques Martial.
En littérature : L’héroïne Solitude est tirée de l’oubli par un livre d’André Schwarz-Bart paru en 1972.
Présentation du roman La Mulâtresse Solitude par l’éditeur (Seuil) : De mère africaine – arrachée à son village de brousse par les trafiquants d’esclaves – et de père inconnu, quelque marin du bateau négrier voguant vers la Guadeloupe, le jeune femme n’est ni noire ni blanche, et même ses deux yeux sont de nuances différentes. Enfant, on la surnommera « Deux-âmes ». Et finalement, c’est sous le nom de « Solitude » qu’elle vivra à la Guadeloupe dans les familles de Blancs qui l’ont achetée, puis parmi les troupes de Noirs révoltés qu’elle rejoindra à grand-peine dans leurs refuges des forêts de la Soufrière.
L’histoire se passe de 1760 à 1802, environ. L’abolition de l’esclavage décrétée par la Convention n’aura duré que le temps d’un rêve. Et Solitude, près de l’Africain Maïmouni qu’elle a découvert dans la forêt et dont elle partage la vie, a senti en elle-même « battre un coeur de négresse ». C’est elle, enceinte et soutenue par ses compagnons, qui anime le dernier combat. Capturée, elle est pendue après avoir donné naissance à son enfant.
Tel fut le destin tragique d’un personnage bien réel, sous les couleurs de la légende. L’auteur du Dernier des Justes a rendu perceptibles « le bruit et la fureur » de ces événements tragiques.
Plusieurs adaptations pour le théâtre :
Présente entre autres au festival Off d’Avignon en juillet 2017, la pièce également nommée La mulâtresse Solitude est une belle adaptation du roman dénonciateur d’André Schwarz-Bart. Fani Carenco qui a voulu « porter au théâtre une période inconnue, honteuse » de notre histoire, a mis en théâtre et en scène le roman, dans une atmosphère baignée des croyances antillaises. Le spectacle nous avait été présenté à Tropiques Atrium Scène Nationale, en mai 2017. Deux adaptations précédentes sont à signaler, celle de Patrick Chamoiseau, vue au Festival d’Avignon en 1977, et celle de Guila Clara Kessous, en 2013, à Marseille.
Et en bande dessinée : La Mulâtresse Solitude : Illustrations : Yann Degruel. Scénario et texte : Sylvia Serbin
La Série UNESCO « Femmes dans l’histoire de l’Afrique », produite par la Division des sociétés du savoir du Secteur de la communication et de l’information de l’UNESCO, a été réalisée dans le cadre de la plateforme intersectorielle Priorité Afrique, avec le soutien de la Division pour l’égalité des genres. Cette initiative a été financée par le gouvernement de la République de Bulgarie.
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Avant-propos des auteurs :
« Le peu que l’on sait de la Mulâtresse Solitude provient de quelques lignes de l’ouvrage Histoire de la Guadeloupe, rédigé par Auguste Lacour au milieu du 19e siècle. La bande dessinée qui va suivre propose une interprétation de son histoire. Elle est inspirée de l’ouvrage d’Auguste Lacour, du roman La Mulâtresse Solitude d’André Schwarz-Bart et du contexte historique de la fin du 18e siècle en Guadeloupe. Les illustrations sont basées sur un travail de recherche historique et iconographique portant sur la Guadeloupe et l’esclavage. Elles ne prétendent aucunement représenter avec exactitude les faits, les personnages, l’architecture, les coiffures et les parures de l’époque. »
Delgrès aussi … en musique :
Le nom de Delgrès est remis en mémoire par un trio français de hard blues créole, fondé par Pascal Danaë. Ce nom de Delgrès est choisi par le groupe en hommage au héros guadeloupéen anti-esclavagiste antillais, Louis Delgrès (1766-1802). Pour son album de Blues, le groupe a reçu en 2018 le prix de l’Académie Charles-Cros. Il a été nommé la même année aux Victoires de la Musique. À la Martinique, nous avons eu la chance de le découvrir en live lors du festival de jazz, après l’avoir souvent entendu sur les ondes de France Inter.
Fort-de-France, le 25 septembre 2020