— Par André Lucrèce —
J’apprends avec émotion la mort de mon ami Guy Alexandre.
Sociologue, professeur, ambassadeur d’Haïti en République dominicaine pendant de nombreuses années, Guy Alexandre était un homme d’une grande richesse humaine et d’une très grande intégrité.
Guy Alexandre avait séjourné en Martinique à la fin des années 1970, et c’est à cette occasion que nous sommes connus. Nous nous sommes ensuite plusieurs fois rencontrés à Paris où nous avons été, avec d’autres intellectuels de la Caraïbe, à l’origine de la création de la revue Archipelago, Revue de la Caraïbe, dont le premier numéro parut en mars 1982. Nous avons eu l’occasion ensuite de travailler ensemble en Haïti à une vaste enquête sur la situation des infrastructures dans le sud du pays et des incidences de cette situation sur la vie sociale des habitants dont nous pouvions voir chaque jour l’extrême misère qu’ils affrontaient avec un courage insoupçonné.
En 1991, Guy Alexandre fut nommé ambassadeur d’Haïti en République dominicaine. Il mit tout son énergie à améliorer le sort des travailleurs haïtiens dans ce pays, en particulier ceux qui travaillaient dans les bateys. Guy n’était pas un ambassadeur distant. Lors de sa mission, même la résidence de l’ambassadeur accueillait les travailleurs haïtiens fraîchement arrivés qu’il hébergeait provisoirement, qu’il assistait et conseillait en compatriote généreux qu’il a toujours été.
Ambassadeur, oui. Mais pas à n’importe quel prix.
En 2003, il adressait une lettre à la présidence, dont il m’avait fait parvenir une copie, annonçant en ces termes sa démission : « En fin de compte, il m’apparaît ainsi que rester à la tête de l’Ambassade d’Haïti en République Dominicaine, serait, de ma part, aujourd’hui, une option simplement incompatible avec les orientations et principes qui me guident, tant dans mes choix d’Haïtien intéressé à la promotion résolue d’une politique de normalisation et d’amélioration des rapports avec la République Dominicaine voisine, que dans mes démarches de citoyen concerné par les problèmes et l’évolution de notre pays.
Je vous prie donc de recevoir ma démission de mes fonctions d’Ambassadeur d’Haïti en République Dominicaine. Cette démission vaut aussi, cela va de soi, pour mon poste d’Ambassadeur non-résident accrédité auprès de l’État et du Gouvernement de Belize. »
Homme incorruptible, il fut grand en sa mission, comme il le fut dans la vie.
Travailleur infatigable, il n’a jamais cessé de tenter d’améliorer le sort de ses compatriotes, très touché par les dernières dispositions prises par les autorités en République dominicaine. Oui, d’aveugles lumières viennent troubler le ciel de notre Caraïbe. A côté de nous, sur l’île d’Hispaniola, en République dominicaine le 26 septembre 2013, la Cour constitutionnelle de Saint-Domingue a arrêté que « les enfants nés dans le pays de parents étrangers n’ont pas la nationalité dominicaine ». Avec des conséquences pour des centaines de milliers de Dominicains d’origine étrangère, dont plus de 250 000 enfants et petits-enfants d’Haïtiens nés dans ce pays. Décision d’autant plus scandaleuse quand on sait ce que les haïtiens ont apporté, dans des conditions tragiques dans les bateys, à l’économie dominicaine.
En fin analyste des relations entre les deux pays, et avec les contacts noués en République dominicaine, Guy Alexandre travaillait jours et nuits, ces derniers temps, à tenter d’annihiler l’inadmissible.
Après la mort de mes amis le romancier Emile Olivier et le linguiste Pierre Vernet, Haïti perd aujourd’hui encore l’un de ses meilleurs fils. Mais, comme les précédents, Guy Alexandre est établi lui aussi dans la plus respectueuse des mémoires.
André LUCRECE