Autour de Gérald Bloncourt.
Intervention à la bibliothèque Schoelcher le Jeudi 17 Février 2011.
Monsieur Bloncourt
Je connais votre pays. J’aime votre pays dans ce qu’ il offre de créativité dans une grande diversité, dans ce qu’il offre de résistance dans le temps, dans ce qu’il offre de dignité, et dans ce qu’il dit de l’humanité. Et cela, au delà, de tous les Malgré. Passés et présents.
Mais vous, Monsieur Bloncourt, avec tout le respect que je vous dois, je ne vous connaissais pas.
Jusqu’à ce livre…Jusqu’au hasard amical qui a mis ce livre entre mes mains.
Et je dirais comme Jean Claude Charles, qui a écrit votre préface, mon étonnement.
« A la fin des années 60, en Haïti, je ne connaissais pas l’existence de Gérald Bloncourt.
Au début des années 70, à Montréal, Québec, un ami m’a dit – Je vais te montrer le travail de quelqu’un que tu devrais absolument connaître, à Paris. Il m’a conduit devant une photo accrochée à un mur de la maison, signée par Gérald Bloncourt.
Année 80, je rencontre le photographe. Il parle beaucoup de son itinéraire : en gros l’appareil – photo dans l’appareil du parti communiste Français. Il est vif, drôle, précis. Le genre d’être énergique dont j’aime la présence.
Années 90. Il me semble avoir entendu parler de Gérald Bloncourt en tant qu’écrivain. Années, années, après années, je découvre le photographe qui aura traversé un demi siècle du mouvement social Français. Puis, le peintre. Tiens, il peignait ? Yes my dear. Quant à l’écrivain., vous tenez quelques uns des textes dans vos mains. Ce sont les bonnes nouvelles de la création Haïtienne. Et que ce dialogue au bout des vagues ait lieu sur les décombres d’une longue dictature, fleurs écloses sur le fumier ». Fin de la préface
Ce livre, depuis que je l’ai découvert, Monsieur Bloncourt, il fait partie de mes amours littéraires. C’est un coup de cœur. Je l’ai longuement trituré, fatigué, parfois promené, caressé, malmené, comme il en est quant aux livres que l’on aime. Nous leur donnons un vécu, nous les habillons du nôtre. Comme ce qui appartient au quotidien et accompagne la vie. Hors cathédrale. Dans l’intimité des jours. Dans l’intimité qu’offre la lecture. Dans l’intimité et le silence poétique. Dans la liberté qu’offre la poésie. Dans la musique de vos mots. Dans l’émotion qui s’en dégage et qui m’a touchée. Dans le sens de la vie, au rythme du cœur et de la plume.
Monsieur Bloncourt, j’ai vécu cette lecture au rythme de ce Dialogue au bout des vagues. Avec intensité.
Je tenterai de vous dire, ces pulsations, qui me sont venues, ces images qui m’ont habitée, cette réflexion que j’ai tenté de clarifier. Et vous m’excuserez pour tout ce que je ne saurai dire.
Je commencerai néanmoins par dire :
Que, si la poésie est le partage, dîtes-vous bien que vous avez su transmettre l’essence même de ce dialogue. Car qu’est dialoguer sinon communiquer. Echanger. Ce titre Dialogue au bout des vagues, nous entraîne déjà dans un univers poétique. Faisant appel aux sens. Nous voyons la mer, la humons et l’entendons. D’emblée transportés nous sommes par le mouvement de l’eau. Nous entendons aussi les voix. D’ Elle. Celle qui écrit en italique, dans la typographie proposée. De lui, vous qui écrivez en caractères romains. De ces deux caractères qui parfois se mêlent. La mer pourrait symboliser le flux et le reflux, l’échange de votre correspondance, le mouvement, mais aussi l’éloignement ou encore la référence au pays. « J’imprime toutes les brindilles de ton histoire au bruit lourd des vagues de notre caraïbe-soleil ». La vague est également la femme et le sable vous-même: « Je suis mouette glissant au détour de ta vague »
« Je suis galet roulant sur ta plage de sable ».
Ce titre quand on le découvre, par l’ association insolite, des humains et de la nature est d’emblée une incitation à pénétrer votre univers poétique.
Nous sommes donc en 1986. C’est la chute de la dictature haïtienne. Après 40 ans d’exil, vous rentrez au pays natal : Haïti. Vous arrivez d’Europe. Vous l’exilé du dehors. Elle, de son côté, avait , pour reprendre vos termes « Vécu ses 30 ans dans la nuit sanglante de la dictature ». C’est l’exilée du dedans. La rencontre a donc lieu, à ce moment précis. Moment historique où tous les espoirs sont permis. L’espoir de la liberté, de la reconstruction du pays, et aussi l’espoir des promesses qu’offre l’amour.
L’espace spatio-temporel de cet échange amoureux, est donc Haïti, mais également la France et cela durant les années 86-87-88 dans l’ouvrage. Au delà selon vos propres mots, dans l’introduction. « Ce dialogue, nous l’avons tenu en Haïti, nous l’avons poursuivi entre Haïti et la France, nous le continuons. Nous avons eu la chance un jour de comprendre le monde pour ne plus l’oublier, de cerner l’espoir, la tendresse, l’amour. Nous devons les transmettre. C’est là notre dignité et notre combat ».
Ces textes sont donc restés enfouis 20 ans. Votre livre paraît en 2008.. Aux éditions Mémoire d’encrier. Pour notre bonheur
Cette relation épistolaire entre vous poète révolutionnaire et elle, poétesse anonyme, nous offre un échange amoureux sur fond historique. Un dialogue d’amour sur fond de révolte, de désespoir, de revendication, en une reconquête du pays, pour que soient espoir, dignité, justice. Idéal qui dépasse les frontières d’Haïti vers l’universel.
A vous lire, elle et vous, vous et elle, j’ai vu, j’ai entendu, j’ai senti, j’ai vibré. J’ai appris. Je me suis vue au cœur du pays : le vôtre. J’ai éprouvé le bonheur que l’on éprouve à découvrir un chant d’amour. Un vaste chant d’amour. Le chant de l’exil. Où s’entremêlent le chant amoureux du couple et l’amour du pays.
Si j’aime ce dialogue au bout des vagues, Monsieur Bloncourt, c’est que j’aime cette énergie fluide, cet amour qui circule de votre plume à la sienne, de votre cœur au sien, d’Haïti à la France. Avec douceur, étonnement, sincérité, désir. Cet amour qui coule, clame, réclame, se proclame, crie l’absence, le manque, la fidélité. « Je crève de ton absence, je crève de ces dimanches, camouflés, assoupis » Cela, dans la simplicité , avec spontanéité, fraîcheur , sensualité. « Je te veux dans la carcasse de mes désirs inéclos ». Ou encore : « Homme des 17 lunes que la brise saigna, je t’ai gardé toute la pureté de mon amour ordurier et maladroit. Je t’ai porté ce soir mon soleil. Ce soleil insolent ». Amour sans tabous. En écho, en reprises. En écoute , en réponse . Amour qu’entretiennent les mots. La correspondance devient alors résistance à l’usure du temps, l’usure de la géographie. « Paris, il est 1h 30 du matin. Dans tes yeux, je lis 19h30. 6 heures entre nous à course de soleil ».
Amours épistolaires jamais narcissiques, toujours dans le don. « Je te dédie » est récurrent.
Dialogue intemporel. Je m’y suis retrouvée comme tout lecteur ici, le pourrait.
Vos lettres respectives, je me les suis offertes avec jubilation. J’étais vous, j’étais elle. J’étais moi. J’y ai trouvé l’écho d’âmes sœurs. Dans l’intemporel.
Ames assez semblables et assez différentes. Pour avoir à inventer ensemble.
En effet, Monsieur Bloncourt, Que serait cet amour, pour nous lecteurs, pour moi, s’il n’était aussi la mélodie offerte à deux voix, de deux écritures très différentes, complémentaires. Des mots qui balancent, se précipitent, parfois claquent ou crépitent, hurlent, s’emportent, se posent, s’observent, s’étirent en langueur, en volupté, montent en extase et s’apaisent d’eux mêmes. Comme la sensualité offerte, comme la douleur d’un peuple, comme la violence de la dictature, comme la haine, comme le désir de justice et de fraternité. Votre correspondance est tantôt aérienne, flottante, mais aussi fulgurante, nerveuse, revendicatrice, déterminée, colérique, pour redevenir calme. Dans l’amour.
Les mots vous mêlent, vous emmêlent, vous unissent, à l’espace Haitien.
Elle, lui, vous, êtes Haïti, en une identification à la terre natale. A la mer. « Je suis goémond vert aux pulsations d’écume ». A la terre : « Toi mon sol, ma glèbe, ma fertilité ».
Dans vos aveux, dans vos confidences, la nature haïtienne occupe l’espace de vos mots, devient métaphore de l’homme , de la femme et la fusion se fait ainsi.. La mer, la terre, les villes, la campagne, la pluie, tout cela envahit notre imaginaire et nous sommes nous aussi du voyage. Votre univers humain, géographique nous est proche. Aussi fait-il caisse de résonance. La mer Haïtienne, je l’ai vue. La pluie Haïtienne m’a envahie de son déluge et de son chant « la pluie toutes ces larmes de pluie, milliers de gouttent qui claquent, éclatent sur les pierres chantent sur les feuilles … tapent sur les tôles » « La pluie de mon enfance, rêveuse de mes yeux étonnés croisant le désespoir des rues ».
Cette écriture, est à l’alphabet du pays. Vous en êtes tous deux pétris. Aux empreintes d’Haïti : de la géographie, de l’histoire, de la culture, du peuple.
Vos caractères romains se posent, poétiques, pétris de l’entre-deux, la France et Haïti. Dans une effervescence amoureuse certes, mais aussi dans l’engagement politique calme : celui de la maturité, de la détermination. Celui de la mise à distance pour l’affirmation. Vos mots naviguent, se déposent clairement sur la page, à la façon des caractères romains. Les siens chantent , en penchés italiques, poétisent, puis s’exaspèrent en photographies du pays, en descriptions haletantes, en état des lieux défectueux, en douleur récurrente, en souvenirs toujours là. En jeunesse massacrée : « J’interroge tous les témoins occultes de ce passé mutilé, ce passé syncopé, ce passé inscrit dans nos entrailles, ce passé lourd de trente longues années ».
J’ai navigué sur l’élégance du mot, la densité du propos, sa fibre révolutionnaire, sa véhémence parfois , sa douceur souvent, l’intensité du vécu surtout. Cette richesse de la langue, tout en images qui donnent à voir, à sentir, à crier, à se révolter, à aimer. Jusqu’au bout des vagues. Cette correspondance est d’une grande beauté. La langue en est riche, travaillée, délicate, sans apparats, parfois brute. Authentique.
Ce dialogue est la redécouverte d’un pays dont vous vous souveniez. Jamais oublié. Pays dont la réappropriation est immédiate certes. Mais il y a eu l’absence. Et elle, par la plume, vous redonne ce qui vous a été volé. Elle vous offre le témoignage de l’intérieur. Le cœur du pays.
Un cœur à aimer.
Mais si le thème amoureux et l’écriture, m’ont plu, ma découverte s’est enrichie de la dimension politique, de l’engagement de ce dialogue. L’état amoureux se nourrit de l’amour commun de la plume poétique, de l’amour commun du pays et d’in idéal très fort de justice et de fraternité. Pour Haïti et au delà des frontières Haïtiennes.
Pas une lettre d’amour, d’elle ou de vous, n’est en dehors de cette référence. Comme un ciment, de souffrance subie, de devenir espéré, de jalons à poser, de pays à bâtir.
Oui, J’aime ce dialogue car j’y ai humé ces fleurs écloses sur le fumier dont a parlé Jean Claude Charles dans la préface qu’il vous a faite. J’ai humé ces fleurs écloses sur les décombres d’une longue dictature. Cette correspondance dans la résistance à l’immonde.. Cette correspondance en état des lieux « Tu es la rescapée des fibres de l’horreur ». En révolution « Ton amour révolutionnaire » écrit-elle. Correspondance – Mémoire du temps, mémoire d’ événements. Voyage de l’âme. Dans le temps. Temps violent de cruauté. Inoubliable. « Ne me parlez pas d’oublier que ma poésie a un goût de sang un arrière goût de fiel et de cadavres. Ne me parlez pas d’oublier. Ma mémoire ne peut pas oublier. Ne me parlez pas d’oublier mes bourreaux criminels et voraces ».
La mémoire engrange, la mémoire écrit, la mémoire dit. L’horreur de la dictature, l’horreur de l’après dictature. L’horreur qui fait payer aux bourreaux le temps de l’insupportable vie.
« Je vois ces mains d’hommes de femmes d’enfants de tout mon peuple détruisant, bannissant partout les supports existentiels de la dictature…Ces hommes enragés d’espoir fou mordre ces carcasses putréfiées ce vendredi de l’insupportable mort, de l’insupportable condamnation de tout un peuple à vivre l’horreur » Se pose alors la question de la légitimité. De l’horreur « L’horreur, écrit-on, non ce n’est pas l’horreur mais le droit à la vie, à la justice, le droit même à l’horreur, pour une part de soleil. »
Si l’engagement, le vôtre fut l’exil, l’engagement, le vôtre fut aussi la tentative de retour. Pour prendre l’espoir à bras le corps.
Haïti renaît. Haïti espère, Haïti se lève. Haïti, demain, a besoin qu’on y croie. « Je crois en toi, je crois en ce pays ».
L’espoir vient et se matérialise par la grande orgie du nettoyage. Nettoyage humain, mais aussi nettoyage visuel de Port au prince, qu’il faut parer, de « sa liberté retrouvée. » « Port au prince bruissait de balais fébrilement empoignés, pour enlever la boue, pour enlever la haine, pour enlever la pourriture accumulée ». L’effervescence joyeuse du peuple se manifeste dans une fraternité émouvante. La jeunesse Haïtienne s’octroie sa part d’espérance et de soleil au monde. Elle, de vivre avec intensité, à leurs côtés la liberté attendue et surgie. Enfin là.
Vous nous racontez tous deux Haïti en images choc. Images reportage. Parfois violentes.
A l’encre de la terre haïtienne.
A L’encre de la résistance
A l’encre de l’espoir. Aussi.
« Je te dédie l’ardeur des foules en marche, les lendemains possibles, nos rêves de changements, de liberté et de démocratie ».
L’éveil Haïtien trouve écho car il est aussi « Des peuples solidaires ».
Le rêve Haïtien, celui dont vous parlez, dans la fraternité, grandit au fil du texte, vers un désir de justice universelle. Pour les opprimés, tous.
Pour finir, Monsieur Bloncourt, je dirais que votre ouvrage illustre ce qu’est pour moi la poésie : Désordre – liberté – Immortalité- Transcendance – Ce désordre intérieur qui s’interroge, observe, dérange, interpelle le monde. Ce désordre qui tord le coup aux convenances, à l’insoutenable, qui démolit pour reconstruire, qui hurle et donne l’espoir. Ce désordre qui donne à voir ce que l’on refuse de voir. Ce désordre à la quête de l’absolu.
Cette liberté qui va de pair avec le désordre. Dire pour être. Pour être vrai. Dire pour soi. Dire aux autres. Parfois ce qui ne peut se dire. Ce désordre et cette liberté qui font la poésie du quotidien dans la perception que l’on en a, pose aussi la question de l’immortalité qu’offre la poésie aux êtres, et aux temps. Et au delà, de l’universel et de la transcendance.
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Nous nous souviendrons de :.
De cette poétesse qui, un temps, fut votre muse.
Nous nous souviendrons aussi de :
Péralte, Roumain, Jacques Stéphen Alexis
Les millions de morts, les disparus, anonymes et fidèles.
Nous avons ce soir une pensée pour eux Monsieur Bloncourt.
Pour votre pays aujourd’hui encore A la recherche de sa trace.
Monsieur Bloncourt, merci de ce partage, qui m’a nourrie et grandie. Merci.
Widad Amra
Autour de Gérald Bloncourt.
Intervention à la bibliothèque Schoelcher le Jeudi 17 Février.
Maître-Bellemare.
Widad Amra: Lecture de Dialogue au bout des vagues de Gérald Bloncourt. Critique littéraire.