Les 28 et 29 septembre 2020 au Festival des Zébrures d’Automne à Limoges
Du 5 au 28 octobre 2020 au Théâtre de l’Épée de Bois à la Cartoucherie de Vincennes, à Paris
— par Janine Bailly —
Les événements historiques
Les émeutes de mai 1967 en Guadeloupe sont des affrontements qui se produisent dans l’île entre gendarmes et manifestants. Tout d’abord en mars, une agression raciste est à l’origine d’émeutes et de grèves à Basse-Terre et Pointe-à-Pitre, si bien que le préfet de l’île, Pierre Bolotte, fait déployer deux escadrons de gendarmerie. Puis le 24 mai, les ouvriers du bâtiment se mettent en grève pour obtenir une augmentation de salaire de 2,5%, et la parité en matière de droits sociaux.(site Wikipédia)
S’ensuivent alors trois journées de répression. Les plus importantes se déroulant à Pointe-à-Pitre, les 26, 27 et 28 mai, entraînent la mort de huit personnes identifiées, un bilan bientôt revu à la hausse ! L’historien Benjamin Stora estime que le massacre a été « ordonné sciemment sur le terrain et approuvé par le gouvernement sous la présidence du général de Gaulle ». En 2017, l’historienne Michelle Zancarini-Fournel revient sur cet épisode oublié de la France post-coloniale, dans un article au journal L’humanité intitulé « Mai 1967 à Pointe-à-Pitre : Un massacre d’État ».
Mai 67 est en effet un mois particulièrement tragique pour les Guadeloupéens. Les forces de l’ordre n’hésitant pas à tirer à balles réelles sur les ouvriers désarmés font des blessés et de nombreuses victimes, dont des étudiants qui s’étaient mobilisés en signe de solidarité. Jacques Nestor, militant indépendantiste de vingt-six ans, sera le premier mort identifié. Son assassinat marquera le début de cette répression particulièrement violente et sanglante… Des évènements qui demeurent encore tabous dans bien des familles !
Le spectacle : « L’impossible procès »
Adaptation et mise en scène de Luc Saint-Eloy, directeur du Théâtre de l’Air Nouveau. Texte de Guy Lafages ( d’après les ouvrages « Le procès des Guadeloupéens » ouvrage anonyme, « Mé 67 », de Raymond Gama et Jean-Pierre Sainton, « Bagatelles avant et après » de Félix Rodes, et d’autres sources).
Production : Théâtre de l’Air Nouveau en partenariat avec les Francophonies – Des écritures à la scène
Acteurs : Pierre Santini a endossé le rôle sur mesure, celui du du Président du tribunal. À ses côtés, Harry Baltus, Boris Balustre, Eric Delor, Alex Donote, Théo Dunoyer, Izabelle Laporte, Marc-Julien Louka, Yohann Pisiou, Caroline Savard, Ruddy Sylaire, Cedric Tuffier
Extraits de Presse
« Le sang a coulé… De nombreuses zones d’ombre demeurent, concernant une période trouble qui a traumatisé la population et marqué la conscience collective… La pièce est un hommage rendu aux victimes des violences gratuites, et à la résistance des hommes qui se sont battus pour leur dignité et leur liberté de penser. L’histoire vraie de dix-huit hommes honnêtes jetés en prison comme des malfaiteurs et qui résisteront jusqu’au bout sans se soumettre, au nom de cette liberté. » (Théâtre de l’Epée de Bois)
« … On doit se féliciter de la réussite d’une entreprise ambitieuse qui a fait le pari d’une adhésion du public à une forme de théâtre pédagogique, au service de l’histoire… » (Scarlet Jesus – L’impossible procès)
« … Cette reconstitution est d’un grand intérêt historique. Elle rassemble la population autour d’une période importante d’une histoire que les archives officielles existantes n’ont jamais permis d’élucider… » (Alvina Ruprecht – Théâtre du blog – L’impossible procès, le devoir d’Histoire en Guadeloupe)
« … Avec son théâtre du réel, le metteur en scène apporte ce qu’un article ou un documentaire ne pourrait exprimer : une dimension humaine de l’émotion. Le message qui en jaillit explose avec d’autant plus de force… » (Jacqueline Brunelle – France Antilles Martinique)
D’après le site Outremers 360 : Quand à Paris le théâtre se met au service de l’histoire contemporaine de la Guadeloupe
C’est l’occasion de revivre une période importante et trouble de l’histoire de la Guadeloupe, longtemps passée sous silence par les autorités, refoulée et encore traumatique dans la mémoire collective des Guadeloupéens.
Ce n’est pas une réécriture de l’histoire, encore moins une uchronie (…) Il s’agit bien d’une reconstitution historique qui se veut la plus fidèle possible. Une pièce en forme de « verbatim », inspirée des interventions authentiques prononcées lors du vrai procès, qui propose de larges extraits d’audiences telles que rapportées dans l’ouvrage de référence intitulé « Le procès des Guadeloupéens ».
Dix-huit militants du GONG (Groupe d’Organisation nationale de Guadeloupe) – mouvement prônant l’indépendance de la Guadeloupe – sont accusés « d’atteinte à l’intégrité du territoire national », le GONG étant supposé avoir fomenté les émeutes, bien qu’un rapport policier remis en juin 1967 aux autorités ait clairement écarté cette hypothèse. Dix-huit Guadeloupéens sont traduits devant les tribunaux pour un crime qu’ils n’ont pas commis, sinon celui de dénoncer la politique d’un système colonial.
Ce procès politique, retentissant à l’époque, a vu des personnalités de renom citées comme témoins défiler à la barre, l’illustre poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire, ou encore Jean-Paul Sartre et Paul Vergès. Un procès qui fait aujourd’hui l’objet d’une reconstitution théâtrale, avec en toile de fond les émeutes de mai 1967, que d’autres ont appelées “insurrection”.
Si le bilan officiel fait état de 8 morts, ce chiffre est largement contesté par tous les historiens et les témoins de l’époque. Aujourd’hui, plus de cinquante ans après cette tragédie, on parle d’une centaine de morts. Un chiffre qui semble correspondre avec celui de quatre-vingt-huit avancé par le rapport de la Commission d’information et de recherche historique présidée par l’historien Benjamin Stora, remis en 2016 à Ericka Bareigts, alors Ministre des Outre-mer. Un rapport qui semble reconnaître qu’il y a bien eu massacre : c’est donc aussi ce massacre qu’exhume la pièce à travers la reconstitution de cet « impossible procès »… Une reconstitution historique en forme de rappel ou de devoir de mémoire.
Car si ce procès a été à court terme une victoire politique – les accusés ayant tous été acquittés ou ayant récolté une peine avec sursis – il n’aura pas cependant réussi à faire la lumière sur la véritable ampleur des événements ni sur la responsabilité de l’État en ce qui concerne les massacres perpétrés en mai 67. Cette reconstitution théâtrale sur une période importante de l’histoire de la Guadeloupe passée sous silence par les autorités contribue à lever le voile, à soulever cette chape de plomb mise sur des événements tragiques… Après tout, l’oeuvre, théâtrale ou autre, n’est-elle pas « l’exorcisme de l’impuissance ? »
Fort-de-France, le 27 septembre 2020