— Par Roland Sabra —
Le travail présenté à Fond Saint-Jacques est le fruit d’une résidence de création du « Collectif de l’Âtre » à partir du roman de Fabienne Kanor « Humus ». La romancière a souvent expliqué l’origine de son opus. « C’est à Gorée, en visitant une exposition consacrée aux révoltes d’esclave dans la maison des esclaves que le thème s’est imposé à moi. En fait, une phrase a retenu mon attention : « Il se serait jeté de dessus la dunette quatorze femmes toutes ensemble dans un même mouvement ». Cette « anecdote » m’a profondément bouleversée. Par quel mystère des femmes, qui pour certaines n’avaient jamais pris la mer et qui peut-être ne se connaissaient pas, avaient-elles pris le parti de sauter, de préférer la mort plutôt que l’esclavage ? » Au delà d’un énième retour sur le thème de la blesse Fabienne Kanor fait le choix de donner parole à cette souffrance inapaisable à travers des dialogues imaginés entre les femmes qui vont bientôt se jeter à la mer. Elle le fait dans un style très écrit et tiré vers l’oraliture. A tel point qu’une mise en bouche, un passage vers la mise en scène lui semble aller de soi, aussi répond-elle favorablement aux demandes de lectures publiques et de mises en espace. C’est ce passage, cette transition, cette conception de l’oraliture comme un entre-deux de l’écriture romancée et de l’écriture théâtrale que questionne, involontairement, la mise en scène d’Ilène Grange.
Lors de la représentation d’ « Histoire d’eaux », titre pas très heureux, une question occupe sans cesse l’esprit du spectateur:qu’est-ce que la théâtralité ? A quoi tient-elle ? Est-ce à une forme d’écriture si particulière que bien des romanciers, des philosophes s’y sont cassés les dents ? Pas sûr ! Claude Régy captive le public quand il reprend l’Ecclésiaste, dont on peut penser que le roi Salomon à qui l’on attribue l’oeuvre était à mille lieux d’écrire pour le théâtre ! La théâtralité d’un texte ne dépend pas, uniquement, toujours d’une forme d’écriture particulière et il a bien fallu réécrire toute une partie du texte pour qu’il puisse être joué. Mais si le questionnement insiste c’est qu’Ilène Grange semble hésiter entre évocation distanciée et représentation, pour ne pas dire incarnation, du propos. L’évocation est assez bien illustrée par le personnage de la Volante, sorte de conteuse immatérielle, debout derrière un micro, entre chant et dire. Belle comédienne au réel talent que l’on retrouve dans l’interprétation d’autres rôles. La douleur des corps meurtris est jouée et souvent surjouée, en empruntant au registre du pathos ce qu’il faut pour émouvoir le public. Un autre entre-deux parcourt la mise en scène et qui la fait balancer entre cinéma et théâtre. Relèvent du cinéma des dialogues ou des monologues adressés à un interlocuteur hors scène, sur mode de la voix off au cinéma. Une découpe de la scénographie, du décor plus précisément, renvoie au procédé de fractionnement de l’image sur l’écran. Des tirades faites par les comédiens dos au public empruntent au plan trois quart arrière tout en présupposant un son en dolby stéréo ! Cela étant la force du texte de Fabienne Kanor est telle qu’elle résiste à ces hésitations de parti-pris ou à ce parti-pris d’entre-deux.
L’épilogue est lui d’une réussite sans conteste. Dans un lieu de mémoire, un musée, un conservatoire, un chercheur, travaille, fait des recherches sur le destin de deux des femmes qui se sont jetées à l’eau ou qui devaient s’y jeter. Elles étaient jumelles. L’une, l’aînée, a sauté. L’autre pas alors que les éléments retrouvés attestent en d’autres circonstances nombreuses et variées de comportements en tous points identiques. Le chercheur s’interroge sur le pourquoi et le comment de ce fait, tandis que les fantômes des deux sœurs apparaissent et reprennent à leur compte ce questionnement. Une explication est proposée. Résume-t-elle la situation ? Résout-elle l’énigme ? Peu importe le chercheur est content : il a une réponse. En filigrane sont posées des questions bien plus importantes celle de la tentative d’objectivation du comportement et de la douleur d’autrui et celle du chercheur qui en fait son miel, pour ne pas dire, en la ciconstance, son sucre…
Fort-de-France, le 28/09/2014
Roland Sabra
A la Purgerie de Fonds Saint-Jacques
Compagnie de l’Âtre
Marie Audrey Simmeau
Guillaume Védn
Joelle Beli Tïti
Pauline Hercule
MUSICIENS
Louise Bouedov: viole de Gambe
Guillaume Védn : percussions – composition
Mise en scène
llène Grange
Assistee d’Alke Minie – Scénographe du projet Alice Minier