— Par Gilbert Pago —
Cette année 2022 est celle du centenaire de Georges Éleuthère Mauvois. Sa bien connue comédie « Arrivé d’Paris », a été reprise par une mise en scène d’Hervé Deluge pour fêter cet anniversaire autour de la date du 28 janvier, date de naissance de l’écrivain (1922).
La rédaction de « Arrivé d’Paris » n’a ni le clinquant idéologico-politique d’ « Agénor Cacoul », (production flamboyante des années 60 qui révéla le talent de cet être à la fois littérateur discret et dirigeant communiste actif) ni le charme achevé de « Le Merisier », écrit en 2015 et véritable joyau faisant fulgurance dans la collection de nos textes littéraires à recommander.
« Arrivé d’Paris » a un ton plus léger ; il se donne (croit-on !) pour but de faire rire, y compris avec l’utilisation des traditionnelles bouffonneries du théâtre dit populaire. Pourtant, l’oubli de ce qui se niche dans cet écrit est à proscrire. N’oublions pas qu’on y découvre une langue créole se démontrant ambitieuse en ces années 90 du vingtième siècle. Un créole retravaillé par nos linguistes et nos artistes devenant un outil linguistique enrichissant le corpus de notre parler.
Les années 70, 80 et 90 ont été celles où de nombreuses initiatives furent prises culturellement, pédagogiquement, puis aussi dans le domaine journalistique et sur le plan universitaire pour rehausser et revigorer le créole. Georges Mauvois prit sa part dans la cohorte qui combattit sur ce terrain.
Il reste enfin avec cette pièce à ne pas s’éloigner du surgissement d’une réflexion inquiète sur ce nouveau rapport avec le mirage de « notre bonne mère France », après l’organisation dans le cadre des « Trente glorieuses », d’une émigration programmée (certains parlent de nouvelle déportation). Les protagonistes du Plan Némo prédisaient non seulement de réduire le chômage chez nous, mais aussi d’empêcher les émeutes du type décembre 59, puis d’éviter par leur BU.MI.DOM. Toute contagion cubaine castriste ou tout O.J.A.M. proclamant « La Martinique aux Martiniquais ».
On réalise donc que cette pièce n’a pas une place de simple distraction rigolote dans la production dramaturgique de Georges Mauvois. Celui-ci aborde le thème de cette forme de brisure qui naît et se diffuse entre les natifs restés dans l’île et les exilés dont certains comportements les décalent peu à peu du milieu local. Se créaient malheureusement alors les affreuses caricatures des « Négropolitains », dont on se moquait méchamment des nouvelles manies et manières. Mauvois n’a pas cherché à aller dans la profondeur de la réflexion psychologique, il n’en avait certainement pas l’intention. Il a préféré mettre sous le feu des rires critiques, les comportements excessifs et défauts qu’il fallait
sabrer. Notre retour, y compris par le biais du théâtre, du cinéma, de la peinture ou de la littérature sur le drame et certains effets collatéraux de ce qu’a été la migration en France, n’a rien d’un clin d’œil démodé. Le public venu au théâtre municipal l’a démontré.
Hervé Deluge s’est plu dans la tirade mauvoisienne ; il a su en rendre toute la richesse. Pour faire rire et ravir le public, il a excellemment utilisé de bons atouts. Le metteur en scène a tout d’abord sélectionné un groupe de huit comédien-e-s aguerri-e-s qui ont tous et toutes tenu leurs rôles avec brio. Il s’est ensuite adjoint pour son bruitage, les talents du musicien Jeff Baillard qui fait un retour remarquable à la terre de son enfance. Il a enfin récolté le bon travail des techniciens des espaces théâtraux qui ont monté un plateau agréable, avec un décor bien plus riche et moins dépouillé de ce qu’aujourd’hui les troupes européennes utilisent.
C’est aussi un choix des troupes antillaises de faire jouer des groupes d’acteurs et d’actrices plus nombreux que ce que nous voyons dans les productions de France et autres pays européens. Rita Ravier, Christian Charles-Denis, Jean-Claude Duverger ne sont plus à présenter, elle et eux qui ont généré une kyrielle de fans. Il faut dire qu’ils et elles ont été étincelants. Mais les cinq autres, avec maestria, Anne-Alex Psyché, Appoline Steward, Marc-Julien Louka, Émile Pelti (l’acteur central de la pièce), Alexandre Thobor, ont aussi mis le public en émoi.
Hervé Deluge a réussi un grand coup. Salut !