— Par Lohania Aruca Alonso*—
L´étude biographique des personnalités de notre histoire la plus récente, publiée dans divers médias, à mon avis possède une double importance. D’abord pour révéler les multiples facettes d´un processus révolutionnaire caribéen, singulier et très complexe, caractérisé par le changement radical dans tous les sphères de la vie nationale, avec ses énormes défis et risques, et puis pour confronter la diversité de ses protagonistes, identifiés en tant que tels, principalement à cause de l´importance vitale des tâches qu´ils accomplissent et la qualité humaine qui caractérise leur service à la nation et au peuple de Cuba.
Il est indéniable et évidente la signification sociale et culturelle qu´ils représentent, la convergence de leurs profils dans les essences politiques, en dépit de leurs différentes origines ethniques, leurs croyances, professions, métiers … Ils apportent leurs traits spécifiques à la Révolution cubaine, ils deviennent des véritables symboles qui honorent et émergent dans le plan de notre culture nationale lorsqu’ils accomplissent la phrase de Martí: «La patrie est pierre d’autel et pas piédestal».
En ce sens, il me semble juste de partager avec les lecteurs, en plus de mon point de vue sur les documentaires Pastorita et Papá Ordaz, l’entretien au vidéaste et photographe Héctor Ramón Fernández Ferrer (Camagüey, Juillet 30, 1959), l’auteur des œuvres mentionnées.
En tant que chercheuse historique, j’admire le choix du difficile thème biographique abordé dans les documentaires mentionnés auparavant, en plus de la qualité et la synthèse des informations, compilées rigoureusement et analysées à partir d´un sage concept du processus révolutionnaire qui se déroule à Cuba depuis 1959. En tant que spectatrice assidue des audiovisuels cubains, consacrés à ceux à contenu historique, les matériels d’Hector m´ont captivé pour leur clarté et l’entrain du scénario, en correspondance avec les objectifs fixés par l´auteur et son équipe, pour l´utilisation dramatique des entretiens précis, pour une esthétique développée élégamment qui coule à travers le montage, et les éléments photographiques et musicales.
Héctor a créé en 2012 son équipe « San Miguel » par la nécessité de transmettre au large public ses expériences, ses idées et réflexions, ces dernières concentrées sur des grandes personnalités révolutionnaires qui traversent avec un remarquable travail les différentes étapes de l´histoire cubaine du XXe siècle et le début du XXIe, dès la lutte insurgée jusqu’aux avatars de la construction du socialisme.
Ils nous offrent dès l´écran la grandeur spirituelle de Pastorita Núñez et Bernabé Ordaz, sans cacher les circonstances historiques qui les entouraient, les difficultés, les limites et les contradictions humaines qui les touchaient, sans jamais dévaloriser leur travail, bien au contraire, tout en exaltant la sincérité profonde de ces personnalités.
Nous espérons que les deux documentaires soient bien accueillis, qu’ils soient bientôt passés dans certaines des émissions de la Télévision cubaine pour le plaisir du public, et aussi, que ce commentaire bref et modeste soit surpassé par les spécialistes qui d´habitude nous accompagnent et nous guident dans le domaine de l´audiovisuel. Pour l´instant, je vous présente l’entretien de l´auteur de ces lignes à Héctor Fernández.
Pourquoi dans vos documentaires avez-vous abordé des personnalités révolutionnaires aussi singulières que Pastorita Núñez ou le Dr. Ordaz? Lesquels de leurs traits vous touchent le plus ?
Pastorita Núñez et le Dr Bernabé Ordaz sont des exemples, des paradigmes dans l´histoire de notre pays, et ils ont un rapport très important : ils ont consacré leur vie et leur travail à la Patrie et à la Révolution cubaine. Leur altruisme a été l´arme utilisée pour atteindre tous les objectifs fixés. Tous les deux sont issus de familles pauvres et ils ont été dans le besoin, qu’ils ont su surmonter, et ils sont parvenus à faire et à être ce qu’ils ont rêvé. En réalité tous les deux m’ont touché dès très jeune.
Les travaux de construction, pour lesquels Pastorita est connue, ont laissés une profonde empreinte sur le peuple de Cuba et restent un symbole d´excellence. Pastorita a milité dans l´avant-garde révolutionnaire de son temps et a toujours arboré sa foi martiana et son affiliation politique orthodoxe (Parti orthodoxe).
Au moment du triomphe de la Révolution, le commandant en chef Fidel Castro lui a confié la tâche de diriger le jeune Institut national d´Épargne et du Logement (INAV en espagnol) et elle a su concrétiser l´idée qu´il avait proposé: construire des maisons pour le peuple avec l´argent de la Loterie nationale, une institution encore existant à ce moment-là. Ainsi on a démontré que, avec de l´argent propre, exempt de vol et /ou de corruption, obtenu par ce jeu de hasard, on pouvait résoudre les besoins du peuple.
Pour sa part, le Dr Ordaz a consacré sa vie à l´Hôpital psychiatrique. Il a été à la tête de ce centre dès le 9 Janvier, 1959 jusqu’à 2003, quand il a été relevé de ses fonctions ; il est mort deux ans plus tard. Il a changé les concepts et les méthodes dans le domaine de la psychiatrie, non seulement au niveau national mais aussi international. Il a rendu digne cette spécialité et a rendu célèbre l’hôpital cubain où l’on utilisait des méthodes avancées dans le traitement de troubles psychiatriques et où les patients recevaient une attention soignée.
J´ai toujours admiré le Dr Ordaz parce qu’il possédait le sens d´appartenance à son pays et à son travail, une qualité dont malheureusement manquent certains de nos concitoyens. J’éprouve toujours un grand respect pour lui, car il n´a jamais abandonné son attitude révolutionnaire, ni sa grande foi catholique.
Qu´est-ce que signifie pour vous, au début du XXIe siècle, la Révolution cubaine ? Quelle est le rapport de Pastorita et Ordaz avec ces significations ?
Au XXIe siècle, nous voyons des changements et des transformations dans la Révolution cubaine, au bénéfice du peuple, on essaie de la diriger vers l’équilibre de tous les facteurs. Pastorita est considérée comme un exemple des femmes révolutionnaires et a été comparée à une Mariana Grajales du XXe siècle. Si on prenait l´expérience et l´exemple que Pastorita nous a offert de l´héroïsme, l´austérité, la discipline, la bonne administration de l´économie, beaucoup de choses pourraient donc être réalisées et réussir de façon aussi parfaite que celles qu’elle a réalisé. Pour moi, Pastorita est un symbole de la perfection. En ce moment de changements, je pense qu’on devrait garder à l´esprit les exemples de Pastora Núñez et du Dr Ordaz en ce qui concerne leur dévouement au travail et leur sentiment d´appartenance.
Pensez-vous que chez les créateurs, dans ce cas les vidéastes et cinéastes, existe le besoin matériel et spirituel d´un plus grand engagement à la société cubaine, son histoire, identité, aspirations ?
Oui, et je pense c’est très nécessaire. C´est comme dire que nous avons « cette matière à repasser », car l´histoire de Cuba a encore beaucoup à dire. Dans mon cas, je me suis consacré à faire des recherches sur des sujets historiques qui ne sont pas bien connus du peuple de Cuba.
Actuellement les audiovisuels sont bien accueillis, mais la plupart du temps ils sont consacrés à d´autres thèmes de la culture ; en réalité ils conduisent à des chemins plus faciles quand on aspire à obtenir le revenu que lorsqu’on communique des thèmes historiques. Nous devons reconnaître que nous vivons des moments où notre économie est limitée et on a besoin de trouver une solvabilité immédiate.
Cependant, nous voyons souvent que des équipes prestigieuses réalisent des matériels utilisant les derniers équipements, et qui font des travaux grossiers et vulgaires. Ils ne tiennent pas compte du fait que ces matériels déforment la nouvelle génération, sans apporter même la moindre connaissance. La chose la plus triste c’est que, parfois, ces matériels sont parrainés par des institutions officielles.
Quelque chose de bon que pourrait se passer dans un proche avenir, serait de donner aux créateurs de l´audiovisuel plus de liberté lors de la présentation de leur travail aux producteurs ou aux médias y intéressés, et que ce processus ne soit pas seulement à travers une maison de production ; celle-ci, tout simplement pour faire office d’intermédiaire, enlève de l’argent aux réalisateurs. Je pense que cette idée peut s´accorder avec certains des linéaments fixés par l’État cubain, avec l´objectif d’ouvrir des nouvelles voies pour assurer la prospérité générale. Il suffit que les réalisateurs prennent en compte leurs responsabilités et leur honnêteté en ce qui concerne la déclaration de leurs impôts.
Quelle est votre expérience en tant que scénariste et réalisateur de vidéos ? Quelles sont les influences idéologiques et artistiques qui permettent de comprendre votre recherche de personnages révolutionnaires avec une profonde conscience de l´idéal révolutionnaire ?
En fait, je me suis formé dans le domaine de la photographie, et pendant ma carrière comme photographe je compte plusieurs expositions individuelles et collectives1. Je me suis intéressé à l´audiovisuel quand je me suis rendu compte que pour traiter des sujets historiques la photographie ne suffisait pas, et donc j’ai dû m’appuyer sur la vidéo et créer ainsi quelque chose de plus vivant, ce qui constitue un véhicule plus efficace pour ma communication avec le spectateur.
Le thème des personnages historiques, par lesquelles j´ai commencé, a été constamment mon intérêt de les montrer, de rendre visible leurs vies, en plus de leurs œuvres. On connaissait certains attributs de Pastorita et Ordaz, mais on avait laissé de côté d´autres choses qui me semblaient remarquables.
J´ai toujours essayé de trouver des sujets discutables, parce que de mon point de vue le fait de montrer des histoires, aussi complètes que possible, est un engagement sérieux avec les jeunes générations en ce qui concerne l´éducation et la culture.
Cuba possède une histoire immensément riche. Nous devons essayer de mieux connaître les personnes impliquées dans certains des processus de formation et de consolidation de notre Patrie et de notre nationalité, parmi les nombreuses existantes tout au long des XIXe, XXe et l’actuel XXIe siècle. Je crois aussi que nous devons nous débarrasser de l´égoïsme, de la haine et des préjugés pour raconter notre histoire dans toute son ampleur, sans effacer quelqu’un tout simplement à cause d’une attitude contradictoire à l´égard des courants révolutionnaires dans un moment donné. Nous devons garder à l´esprit l´idée derrière le vieux dicton « rendez donc à César ce qui est à César ». Cela vaut la peine de rappeler que ce qui hier a été un tabou, maintenant est accepté et de notoriété publique.
Quels sont vos projets les plus immédiats ?
Je m’écarterai momentanément des personnalités historiques, sans cesser mon intérêt à les porter à l´écran. Pour des situations conjoncturelles, je redirige mon travail vers des thèmes historiques plus dilatés et qui n´ont pas été abordés en plénitude. Je pense à plusieurs parmi eux, mais je n´ai pas encore décidé par lequel commencer. Par exemple : les sept merveilles du génie civil cubain, l´histoire des cimetières à Cuba, l´histoire de la radio à Cuba, et d´autres. La plupart de ces idées comptent des recherches déjà faites ou sur le point d’être achevées. Ce qui me freine toujours est le financement de projets. Il faut préciser que le documentaire Papá Ordaz a été entièrement financé par moi, parce que je n´ai trouvé personne pour m´aider.
Quelque chose de semblable s´est passée dans d´autres cas, mais j’espère toujours des nouveaux financements. Si ces matériels se réalisent, ils serviraient de référence audiovisuelle pour les historiens ainsi que de base d’informations pour les générations futures. Au contraire, si je ne réalise pas mes projets, je suis sûr qu’on va manquer de beaucoup matériels historiques testimoniaux.
J’ai obtenu une grande partie de mon équipement grâce à l´aide de mes amis. Néanmoins, j´ai réussi à rassembler et à fonder une excellente équipe de travail. Je ne veux pas oublier de mentionner les cinq personnes qui l’intègrent : Mónica Fernández Salinas (assistante de direction), Jorge Luis Laserna Durán (monteur et cameraman), Jorge Luis Cañibano Ercilla (photographe et cameraman), et Miguel Albelo Cuba (sonoriste et accessoires). Ce groupe a reçu le nom de «Audiovisuales San Miguel », parce que quatre des intégrants habitent dans la municipalité havanaise de San Miguel del Padrón.
NOTES :
1 Expositions personnelles et collectives:
-1988. Musée municipal de San Miguel del Padrón, Galerie Galiano. Exposition Instantes sur le Festival Boleros de Oro.
-1989. Exposition dans le hall du Théâtre Mella, Galerie Blanche de la Maison de la Culture de la municipalité de Plaza, exposition collective Festival Jazz/89.
-1991. Travail photographique du Dîner de Clôture des XIe Jeux panaméricains.
-1992. Centre provincial des Arts plastiques et du Dessin. Exposition sur un témoignage graphique, cette exposition s´est rendue à Rio de Janeiro et à Brasilia.
Exposition XXe Anniversaire des Studios Révolution, exposition collective au siège des studios.
D’autres travaux photographiques remarquables : le travail photographique pour le livre de 300 Boleros de Oro, écrit par le prestigieux musicologue Helio Orovio. Des photos pour le livre Cien Años de Bolero, écrit par le Colombien Jaime Rico Salazar. Travail graphique pour le Centre hippique du Parc Lénine.