Édouard Glissant propose une réflexion profonde sur la mise en contact des cultures. À travers HDN, il défend une dynamique de la diversité contre l’idéologie de l’Un et de l’unique, en célébrant une poétique des humanités et du vivant. L’auteur s’oppose à une vision linéaire et unique de l’histoire, préférant une approche plurielle et relationnelle qui reflète la complexité des expériences humaines. Reliée aux différentes réalités du monde, sa pensée invite à percevoir autrement les beautés infimes de la planète, abordant des thèmes comme l’identité, l’écologie, le racisme, et la mondialisation. Transformé en conteur, il nous fait vivre l’histoire de la colonisation et de l’esclavage, une histoire faite de sang, de chaînes, de domination, mais aussi de luttes pour la liberté et la justice. Il célèbre les héros de la résistance et de l’indépendance, engageant le spectateur dans une marche épique depuis la terre mère africaine jusqu’aux Amériques en passant par l’Europe.
Ce spectacle incarne un patchwork à l’image des Antilles, relatant des événements et figures marquantes de l’histoire, de Patrice Lumumba à Malcolm X, en passant par le Roi Léopold II, Luther King, Sankara, Aliker, les kalinagos, les arawaks, les premiers colons, et les grèves réprimées. Le récit se clôt sur « Le Gouverneur de la Rosée », en écho à la crise de l’eau en Martinique.
Avec sur le plateau deux rangs de spectateurs disposés en trois-quarts de cercle ouvert sur la salle le disposititf rappelle le « pitt », le nom local du gallodrome, avec le conteur antillais au centre du cercle. Cette disposition immersive plonge le public dans l’action, renforcée par les moments où une comédienne lance les inévitables « Yécrik! » et « Est-ce que la cour dort? », auxquels l’assistance répond « Non, la cour ne dort pas, Yécrak! ». Ces interactions rythment le spectacle, ancrant les spectateurs dans la tradition orale antillaise.
La mise en scène de Gilbert Laumord, héritier de la pensée de Glissant, puise dans les contes créoles et le rituel guadeloupéen du Léwòz, pour créer un spectacle transversal qui parle à tous les publics. En combinant la tradition caribéenne ancestrale avec une ouverture sur le monde contemporain, Laumord illustre l’identité-relation prônée par Glissant, opposée à l’identité-racine fermée.
Les comédiens offrent de beaux moments chantés, ajoutant une dimension musicale riche à cette représentation rythmée. Les prestations de Lucile Kancel, Varenthia Antoine, et Harry Baltus sont très appréciables. Leurs voix émouvantes, accompagnées par les groupes Groupe Voukoum et Mouvman Kiltirèl Gwadloup, sur des partitions musicales de Kklod Kiavué, apportent profondeur et intensité à la mise en scène. Ces prestations chantées charpentent le spectacle, créant une atmosphère qui à laquelle le public est loin d’être indifférent..
La portée de « Histoire de nègre » s’étend bien au-delà de la Martinique. Traduit en anglais et représenté aux États-Unis, cette pièce résonne puissamment dans des contextes contemporains, soulevant des questions d’inégalité, de violence et d’exploitation. En revisitant et représentant cette pièce aujourd’hui, Gilbert Laumord honore l’héritage de Glissant et de l’IME, rappelant l’importance de la mémoire coloniale et de la transmission culturelle.
En célébrant cette œuvre, la scène nationale souligne l’importance de raconter les luttes du peuple noir contre l’oppression et pour la dignité humaine, une histoire qui reste d’une actualité brûlante.
Si la cour ne dort pas, réveillez-vous dans le sommeil dont vous ne dormez pas et trouvez en vous la force de vous lever pour raconter votre propre histoire ! Voici une histoire qui gagne aujourd’hui encore à être racontée.
M’A