Han Kang, figure incontournable de la littérature coréenne contemporaine, a su conquérir le monde littéraire avec une œuvre profondément marquée par la douleur, la violence et la résilience. À 53 ans, elle devient la première femme coréenne à recevoir le Prix Nobel de littérature en 2024, une reconnaissance qui couronne une carrière déjà impressionnante, façonnée par des récits à la croisée du fantastique, de l’histoire et de l’introspection psychologique.
Fille de l’écrivain Han Seung-won, Han Kang est née en 1970 à Gwangju, une ville tristement célèbre pour le massacre de mai 1980, lorsque l’armée sud-coréenne réprima brutalement une révolte démocratique. Ces événements tragiques marquèrent son enfance, laissant une empreinte indélébile sur son imaginaire et nourrissant son exploration littéraire de la cruauté humaine. Adolescente, elle découvre par hasard des images de ces atrocités, des visages mutilés et des corps meurtris, qui l’amèneront plus tard à s’interroger sans relâche sur les forces contradictoires de la nature humaine : le courage de sauver autrui et l’horreur de massacrer en masse.
Après avoir étudié la littérature coréenne à l’université Yonsei à Séoul, elle débute sa carrière en publiant des poèmes et nouvelles. Mais c’est en 1995, avec la parution de son recueil Un amour de Yeosu, que sa voix singulière commence à se faire entendre. Son style, mêlant une prose élégante et précise à une poésie délicate mais pénétrante, se déploie dans ses œuvres majeures, telles que La Végétarienne (2007), qui explore la désintégration d’une femme à travers le prisme d’une transformation végétale. Ce roman lui vaudra le prestigieux Man Booker Prize en 2016 et la fera découvrir au-delà des frontières coréennes.
En 2023, Han Kang reçoit également le prix Médicis étranger pour Impossibles adieux, une œuvre où elle continue d’explorer les thèmes de la mémoire, de la souffrance et de la violence collective. Son style onirique, teinté de fantastique, est une fenêtre sur l’inconscient collectif, tout en restant ancré dans les réalités douloureuses de l’histoire coréenne. C’est ainsi que la répression militaire de l’île de Jeju en 1948, un épisode longtemps tabou en Corée, trouve écho dans son œuvre, inspiré par ses propres découvertes lors d’un séjour sur cette île.
En tant que professeure d’écriture créative à l’Institut des Arts de Séoul, Han Kang continue de transmettre son savoir tout en poursuivant une carrière littéraire prolifique. À travers ses récits, elle montre que la souffrance humaine peut aussi être le point de départ d’une quête de sens, d’une exploration de la ténacité et de l’amour. Elle prouve que même dans les moments les plus sombres de l’histoire, il est possible de trouver une lumière, une échappée vers la renaissance.
Han Kang, par son écriture marquée par la barbarie, la résilience et la beauté de l’âme humaine, incarne cette génération d’écrivains coréens qui, tout en s’ancrant dans les tragédies de leur histoire, tendent vers une conscience universelle. Son œuvre, souvent intime et pourtant universelle, invite à réfléchir sur les traces indélébiles de la violence et la quête d’une rédemption à travers la littérature.
Hélène Lemoine