Hamlet décapant !

— par Roland Sabra —

La saison 2011-2012 du Théâtre Aimé Césaire de Fort-de-France s’est ouverte avec « Hamlet » dans une mise-en-scène décapante du jeune Igor Mendjisky. Décapante en effet d’abord par les costumes, sans âge, modernes, vaguement destroy des comédiens, par la superbe bande son, très jazz, très blues, très seventies, les lumières très sombres, par le jeu très électrique, très survolté même du personnage principal et aussi par la lecture que nous propose le metteur en scène. Igor Mendjisky part du principe que la pièce de Shakespeare pose des milliers de questions et qu’il serait réducteur de vouloir y répondre. Il faudrait rester dans le doute, l’incertitude. Parti pris de mise en scène qui n’est pas un évitement de lecture mais un refus de choisir. Position par excellence de l’hystérique elle (lui) qui refuse de se voir assigner une identité sexuée et qui se complait dans l’entre-deux sexes. C’est dans le jeu de Hamlet que Romain Cottard excelle à cet exercice, déplacement métaphorique de la célèbre interrogation shakespearienne de la pièce « Être ou ne pas être ». En l’occurrence être ou ne pas être homme, être ou ne pas être femme ? Telle est la question. De ce point de vue le pari de Mendjisky est gagné, puisque la marge qui sépare de l’hystérique de l’histrion, est d’autant plus infime que la pièce contient non seulement son inévitable moment de théâtre dans le théâtre, mais présente le prince du Danemark comme un simulateur. La pratique du théâtre, du jeu de rôle comme comme maïeutique nécessaire au surgissement de la vérité. La lecture décentrée, échappant à l’oedipianisation freudienne mille fois rabâchée du personnage central est à la fois fidèle à l’auteur et cohérente dans l’ensemble. Il n’y a que la fin de la scène 3 de l’acte III, celle où Hamlet est en capacité d’assassiner le roi agenouillé et en prière, qui semble un peu mince. Dans cette scène Hamlet est dans l’entre deux morts, comme le disait Lacan, il souhaite non seulement tuer Claudius ( le Roi) – première mort- mais surtout l’envoyer en enfer -deuxième mort. Entre deux qui dans la famille des Labdacides, renvoie davantage à Antigone, enfermée dans l’entre deux murs d’un tombeau avant de se pendre, qu’à Oedipe.   Tout à coup l’argument évoqué pour étayer si ce n’est justifier le renoncement, et  cependant tout à fait fidèle au texte, alors même que le metteur en scène se permet des audaces dans l’adaptation et la traduction, comme l’incongru et déplacé tout autant qu’anachronique « slibard », ne semble plus coller au personnage. Sans doute le décalage est-il accentué par le contenu de la scène précédente au cours de laquelle Hamlet-Cottard en fait tant sur le mode de la pitrerie qu’il finit par dire sa fatigue. Le brusque changement de registre, accentué par le parti pris de mise en scène, vide de contenu et d’épaisseur, ce moment de renoncement à l’accomplissement du meurtre de l’assassin du père. Renoncement motivé par l’apparition d’un autre désir concurrentiel et paralysant, celui d’une vengeance inutile. Il y avait là une belle occasion de magnifier un peu plus Hamlet comme prince de l’entre-deux et du non-vouloir.

Une autre scène peu réussie est celle du duel. Le metteur en scène n’ayant pas les moyens de faire suivre des cours d’escrime à ses deux comédiens, dans les rôles de Laerte et de Hamlet, et ayant par ailleurs un goût prononcé pour les jeux d’eaux sur scène, nous propose un combat confus peu clair, peu lisible qui se résume à demander au duellistes de plonger de façon synchrone la tète dans une bassine d’eau. L’échange entre les protagonistes de rapières dont une est empoisonnée,  dans cette situation est assez difficile, on le comprendra. Il faut donc que cela soit dit en ajoutant une réplique pour que le spectateur puisse espérer y entendre quelque chose. La parole comme soutien à ce que le théâtre ne peut montrer semble  illustrer dans ce cas précis la reconnaissance d’un échec. Enfin on regrettera que le personnage du Roi, Claudius, n’ait pas fait l’objet d’un travail plus en nuancé. Le présenter comme un voyou un peu cynique, sans réelle motivation autre que celle d’être « vizir à la place du vizir » apparaît comme un peu court.

A part ces quelques réserves, le travail présenté était de qualité. Le refus du metteur en scène d’imposer une lecture clé en main de la pièce est justement restitué sur le plateau par le travail  et le jeu des comédiens.  Ce spectacle d’ouverture laisse augurer d’une saison 2011-2012 intéressante et en partie consacrée à Shakespeare comme l’a annoncé Michèle Césaire.

 
 
Hamlet les mardi 04/ mercredi 05 jeudi 06 vendredi 07 et samedi 08 Octobre 2011 au Théâtre Aimé Césaire de Fort-de-France