— Par Jean Samblé —
La crise politique haïtienne a pris un tournant inattendu avec le limogeage du Premier ministre Garry Conille, nommé seulement cinq mois plus tôt. Cette décision, attendue pour être officialisée lundi dans le journal officiel, s’inscrit dans un contexte de violences de plus en plus incontrôlables, notamment celles des gangs qui contrôlent désormais 80 % de la capitale, Port-au-Prince. En dépit de son arrivée en juin dernier avec la mission de stabiliser un pays en plein chaos, Garry Conille n’a pas réussi à juguler la violence et l’instabilité qui frappent le pays.
Un Premier ministre en butte à l’impuissance et à la discorde
Le limogeage de Garry Conille intervient après plusieurs semaines de tensions avec le Conseil présidentiel de transition. Selon des sources proches du dossier, ce dernier cherchait à modifier la direction de ministères clés, tels que ceux de la Justice, des Finances, de la Défense et de la Santé, une décision que le Premier ministre a contestée, la qualifiant d’illégale. Un email confidentiel obtenu par l’AFP révèle que Garry Conille n’a pas accepté ce changement de cap et a dénoncé un manque de légitimité dans cette démarche.
La situation, marquée par des désaccords internes, semble illustrer l’impuissance d’un gouvernement déjà affaibli face à une crise politique de longue date. Haïti, un pays en proie à une instabilité chronique, a connu des révolutions, des coups d’État et des changements de gouvernements incessants. L’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021 n’a fait qu’aggraver cette situation, plongeant le pays dans un tourbillon de violences et d’incertitude.
La violence des gangs : un fléau grandissant
Lors de sa nomination, Garry Conille avait pour mission de rétablir l’ordre et d’organiser des élections, mais la violence des gangs, qui ont pris le contrôle d’une large portion du pays, a largement compromis ses efforts. En juillet, la situation s’était intensifiée au point où le Premier ministre avait dû être évacué d’un quartier de Port-au-Prince où des tirs nourris éclataient. Ce climat d’insécurité, aggravé par des affrontements entre bandes rivales, a contraint plus de 700.000 personnes, dont une moitié d’enfants, à fuir leurs foyers.
Le pays se retrouve ainsi à la croisée des chemins, confronté à une crise sécuritaire majeure alors que la mission multinationale de soutien à la police, lancée en 2023 par les Nations unies et les États-Unis, peine à inverser la tendance. Malgré l’arrivée de près de 400 policiers kenyans, la violence n’a cessé d’augmenter, et la situation humanitaire s’est détériorée. Selon l’ONU, les niveaux de faim sont désormais alarmants, et une grande partie de la population haïtienne vit dans un état de précarité extrême.
Des élections sans perspective claire
Les élections, prévues depuis longtemps, continuent d’être repoussées. Le gouvernement de transition, mis en place après la démission de l’ancien Premier ministre Ariel Henry, est censé organiser des scrutins pour redonner une légitimité au système politique du pays. Mais ces élections se font attendre. Les autorités haïtiennes ont du mal à répondre aux attentes de la communauté internationale, qui a multiplié les appels à la mise en place rapide d’un processus électoral. Mais à mesure que la violence des gangs et l’instabilité institutionnelle persistent, les chances d’organiser des élections semblent de plus en plus minces.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken, lors de sa visite en septembre, avait insisté sur l’urgence de tenir ces élections pour rétablir une gouvernance stable en Haïti. Cependant, la mise en œuvre d’un processus électoral semble de plus en plus incertaine après ce nouveau coup de théâtre.
Une situation humanitaire catastrophique et une communauté internationale inquiète
Les conséquences humaines de la crise sont dramatiques. Plus de 700 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, et la situation sanitaire et alimentaire est catastrophique. L’ONU a exprimé son inquiétude face à une détérioration rapide des conditions de vie et de santé, et a averti que les Haïtiens pourraient bientôt être confrontés à une famine généralisée si la situation ne s’améliore pas rapidement.
Malgré les appels à l’aide, la communauté internationale semble se heurter à un mur. Les pays donateurs, souvent réticents à intervenir dans un pays aussi instable, hésitent à s’engager pleinement. La situation politique instable, la corruption généralisée et les luttes internes rendent difficile l’efficacité de l’aide internationale. Si la situation ne se stabilise pas rapidement, Haïti risque de sombrer dans une crise humanitaire encore plus profonde, avec des répercussions dramatiques pour sa population.
Un avenir incertain pour Haïti
Le limogeage de Garry Conille marque une nouvelle étape dans l’effritement des institutions haïtiennes. La transition politique est à nouveau en péril, et le pays semble pris dans un cercle vicieux d’instabilité et de violence. Dans ce contexte, le Conseil présidentiel de transition devra rapidement désigner un nouveau Premier ministre. Cependant, au-delà de la question des personnalités politiques, c’est un véritable changement de système qui s’impose si Haïti souhaite sortir de cette spirale infernale. La corruption endémique, les divisions politiques et l’incapacité à restaurer l’ordre devront être affrontées de front pour que le pays puisse espérer retrouver un semblant de stabilité.
Les semaines à venir seront déterminantes pour l’avenir d’Haïti. Mais, sans un sursaut national et un soutien massif et coordonné de la communauté internationale, la situation risque de continuer à se dégrader, laissant le peuple haïtien dans une profonde incertitude quant à son avenir.