Haïti : la corruption au Fonds national de l’éducation… 

… ce que nous enseigne le saint-Évangile de la transparence politique de Joseph Jouthe, ex-Premier ministre d’Haïti

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

 « La dénonciation régulière des « affaires » et des « scandales » laisse croire que les élites économiques et politiques ne sont plus à l’abri des mises en cause et des procès. Ces événements masquent pourtant une tout autre réalité. Les déviances et délinquances des élites restent en effet perçues comme ayant une moindre gravité que celles portant atteinte aux personnes et aux biens. Et elles sont loin de susciter la même réaction sociale. S’intéresser aux élites délinquantes permet alors de poser des questions qui ne sont jamais soulevées dans les cas d’atteintes aux biens et personnes. » (Pierre Lascoumes & Carla Nagels, « Sociologie des élites délinquantes / De la criminalité en col blanc à la corruption politique », Éditions Armand Colin, 2018)

Il est extrêmement rare, dans l’actuel pré-carré des hommes d’État haïtiens, qu’un ancien Premier ministre –ayant de surcroît, auparavant, été ministre des Finances, ministre de la Planification et ministre de l’Environnement–, avoue que « la corruption en Haïti est un défi majeur et persistant ». Il est inaccoutumé qu’un ancien Premier ministre, en une exceptionnelle profession de foi, confesse avec autant de ferveur catéchétique vouloir lutter contre « la corruption en Haïti [qui] est un défi majeur et persistant »… Cette profession de foi caracole sur les décombres d’un État de droit assauté de toutes parts et en quête de repères : elle a été proférée par un homme d’État haïtien de premier plan, Joseph Jouthe. Afin d’apprécier adéquatement la singulière et haute pensée de cet homme d’État, une piqûre de rappel est nécessaire à ceux-là qui, arc-boutés à la déferlante des réseaux sociaux, « consomment » l’information en « kits » préfabriqués, à l’aune du bouillon de culture Tik Tok et de l’amnésie politique à géométrie variable. Joseph Jouthe est un important sinon un imposant homme d’État multitâche, il a occupé le poste ô combien envié de Premier ministre du 4 mars 2020 au 14 avril 2021 : il a été nommé à la Primature par Jovenel Moïse, le Président-homme de paille du PHTK néo-duvaliériste. Pour mémoire, il y a lieu de rappeler que « Jovenel Moïse a été « accusé d’être au cœur d’un « stratagème de détournement de fonds » par la Cour supérieure des comptes qui a rendu (…) un rapport de plus de 600 pages sur la mauvaise gestion de l’aide reçue du Venezuela » (voir l’article « Le président haïtien accusé de détournement de fonds », Radio-Canada, 31 mai 2019). Nous reviendrons à la fin du présent article sur cette obscure affaire… La nomination de Joseph Jouthe à la Primature n’a pas été ratifiée par le Parlement haïtien placé en coma artificiel par le PHTK néo-duvaliériste puis rendu caduc faute d’élections législatives. Sur plusieurs registres, Joseph Jouthe est « l’homme du sérail », un brillant « Sherpa » haut placé du… cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste au pouvoir en Haïti depuis plus de onze ans. Par ailleurs en tant que Premier ministre, Joseph Jouthe a été président du Conseil supérieur de la Police nationale (CSPN). À divers titres donc, il est un acteur-témoin précieux, codétenteur de la mémoire du pouvoir politique tel qu’il a été exercé par ceux-là qui se sont publiquement auto-proclamés « bandits légaux » –Michel Martelly, Laurent Lamothe, etc. Qu’on se le dise et puisqu’il le dit lui-même, la parole de Joseph Jouthe est un inestimable réceptacle d’alluvions et de sédiments. Telle une frise archéologique, elle est une parole-mémoire, une parole-témoin, et c’est à cette enseigne que loge sa récente et haute profession de foi catéchétique exposant son œcuménique « envie, voire [sa] passion de produire et publier des textes à portée socio-politique et technique ».

La récente profession de foi de Joseph Jouthe où il évoque la problématique de la corruption en Haïti est consignée dans le courriel qu’il a envoyé à l’analyste Erno Renoncourt le 12 septembre 2024. L’auteur du présent article a reçu ce courriel en copie conforme. En voici un extrait : « J’éprouve toujours un grand plaisir à prendre le temps de lire vos publications ainsi que les textes de Messieurs Lodimus et Berrouët-Oriol. Pour être honnête, vos écrits m’inspirent et renforcent mon envie, voire ma passion, de produire et publier des textes à portée socio-politique et technique, comme vous le faites si bien ».

Le 14 septembre 2024, l’auteur du présent article, en réponse au courriel que lui a adressé Joseph Jouthe, le 12 septembre 2024, lui a répondu ceci : « J’ai à cœur de vous remercier de m’avoir aimablement informé, par courriel, que vous avez pris l’initiative de proposer mes récents articles à la lecture de vos correspondants dans vos réseaux habituels. Vous exprimez de la sorte un intérêt marqué pour le diagnostic analytique que j’ai effectué de l’action du Fonds national de l’éducation (FNE) ». Nous reviendrons là-dessus dans la seconde partie du présent article.

L’on observe que la récente profession de foi de Joseph Jouthe relative à la lutte contre la corruption en Haïti intervient au cours de l’été 2024 dans le contexte politique où le Premier ministre Gary Conille a lancé une intrépide armada parolière à l’assaut d’une puissante et multiforme armée de l’ombre, « la corruption en Haïti [qui] est un défi majeur et persistant »… Alors même que de larges secteurs de la capitale et de la province sont contrôlés par des gangs armés –plus ou moins liés aux partis politiques et au secteur mafieux de la bourgeoisie compadore–, Haïti serait-elle engagée dans un combat d’envergure nationale contre la corruption et l’impunité ? La réponse à cette question, sans doute l’objet d’une ample réflexion existentielle, philosophique et politique de la part de Joseph Jouthe, mérite d’être contextualisée. Joseph Joute a certainement longuement médité l’article paru le 20 juin 2024 sur le site officiel de la Primature, « Le Premier ministre Dr Garry Conille veut lutter contre la corruption dans l’Administration publique ». En voici un extrait : « Le Premier ministre Dr Garry Conille a donné une conférence de presse pour annoncer des mesures structurelles afin d’assainir les institutions de l’État, lutter contre la corruption et l’impunité dans l’Administration publique haïtienne. Lors de cette conférence de presse, le Premier ministre, Dr. Garry Conille, s’est montré tranchant sur la question de la corruption qui gangrène l’Administration publique haïtienne. « Tolérance zéro », a-t-il lancé lors de cette conférence de presse à la Résidence officielle. Le chef du gouvernement a affirmé qu’il va prendre immédiatement une série de dispositions en vue d’éradiquer le phénomène de la corruption au sein de l’Administration publique haïtienne. Une décision qui fait suite à une importante rencontre avec des experts nationaux, des cadres de la fonction publique, en matière de gestion efficace et de bonne gouvernance dans le pays et surtout de lutte contre la corruption ». [Le souligné en italiques et gras est de RBO] De juin 2024 à septembre 2024, l’on n’a pas encore enregistré la mise en œuvre annoncée, par Gary Conille, d’« une série de dispositions en vue d’éradiquer le phénomène de la corruption au sein de l’Administration publique haïtienne »…

Pareillement, l’on observe que la récente profession de foi de Joseph Jouthe relative à la lutte contre la corruption en Haïti intervient au cours de l’été 2024 dans le contexte où la criminalisation/gangstérisation du pouvoir d’État mise en œuvre par le PHTK a atteint son plus haut niveau de structuration et d’efficience bien que l’État haïtien se soit doté au fil des ans d’instruments légaux de lutte contre la corruption, notamment l’Unité de lutte contre la corruption, l’ULCC, et l’UCREF (l’Unité centrale de renseignements financiers. L’on observe que la criminalisation/gangstérisation du pouvoir d’État à des fins de captation frauduleuse et à grande échelle des ressources financières du pays constitue l’une des caractéristiques majeures du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste. (NOTE — Sur la criminalisation du pouvoir d’État voir l’article de Jean-François Gayraud et Jacques de Saint-Victor, « Les nouvelles élites criminelles. Vers le crime organisé en col blanc », revue Cités 2012/3, no 51 ; voir aussi « La criminalité en ‘’col blanc’’, ou la continuation des affaires… », Le Monde diplomatique, mai 1986 ; voir également l’éclairant article de l’économiste Thomas Lalime, « Haïti : la gangstérisation de la politique ou la politique de gangstérisation ? », Le Nouvelliste, 14 mai 2019.) Phénomène politique et social aujourd’hui profondément imbriqué dans la société haïtienne tout entière, la criminalisation du pouvoir d’État, qui sert également d’adjuvant opérationnel à la sous-culture de l’impunité, a été étudiée par le sociologue Laënnec Hurbon. Directeur de recherches au CNRS (Paris) et enseignant-chercheur à l’Université d’État d’Haïti, Laënnec Hurbon est l’auteur, sur la problématique du « banditisme légal » et de la criminalisation du pouvoir d’État, d’un article fort éclairant, « Pratiques coloniales et banditisme légal en Haïti » paru dans Médiapart le 28 juin 2020. (Sur la notion de « bandits légaux », voir aussi le remarquable article de Jhon Picard Byron, enseignant-chercheur à Université d’État d’Haïti » : « Haïti : comment sortir de la terreur criminelle et aveugle instaurée par les “bandits légaux” », AlterPresse, 29 août 2022). Pour sa part, le politologue Frédéric Thomas du CETRI, le Centre tricontinental basé à l’Université de Louvain, est l’auteur d’un article lui aussi de grande facture analytique, « Haïti, État des gangs dans un pays sans État » (CETRI, 7 juillet 2022). Dans cet article Frédéric Thomas précise de manière fort pertinente que « Pour qualifier la situation, le Réseau national de la défense des droits humains (RNDDH) parle de « gangstérisation de l’État comme nouvelle forme de gouvernance ». (…) Ce banditisme d’État jette une lumière crue, non seulement sur le pouvoir haïtien, mais aussi sur la diplomatie internationale ; sur son soutien sans faille aux gouvernements de Jovenel Moïse, hier, et d’Ariel Henry, aujourd’hui. À rebours du mythe d’un pays « sans État », il met en évidence la confiscation des instances et fonctions étatiques – y compris la police – par une élite corrompue, et l’aspiration frustrée de la majorité des Haïtiens et Haïtiennes à bénéficier d’institutions publiques, qui les représentent et soient à leur service ». (NOTE — En ce qui a trait à la sous-culture de l’impunité, voir l’article « Justice : le sociologue Laënnec Hurbon dénonce une pérennisation de l’impunité en Haïti » paru en Haïti le 2 octobre 2017 sur le site AlterPresse. Voir également le rigoureux et fort bien documenté « Mémoire du Collectif contre l’impunité et d’Avocats sans frontières Canada portant sur la lutte contre l’impunité en Haïti – 167e audience de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme » daté du 2 mars 2018.)

Tel que nous l’avons exposé précédemment, l’article paru le 20 juin 2024 sur le site officiel de la Primature, « Le Premier ministre Dr Garry Conille veut lutter contre la corruption dans l’Administration publique », annonce l’arrivée d’« une série de dispositions » et de « mesures structurelles afin d’assainir les institutions de l’État, lutter contre la corruption et l’impunité dans l’Administration publique haïtienne ».

Il semble pourtant qu’à défaut de l’adoption d’« une série de dispositions » avec effet immédiat, une… disposition inédite se profile à l’horizon. En effet dans son édition du 18 septembre 2024, le site Web RHInews rapporte la création d’une « Commission vérité, justice et réparation » en Haïti : « La mission principale de cette commission est de documenter les crimes commis par les gangs, d’identifier les responsables, et de proposer des réparations pour les victimes. Cette démarche s’inscrit dans un contexte où le système judiciaire haïtien est largement dysfonctionnel, miné par la corruption, et [il est] vivement critiqué pour son incapacité à rendre justice. Les magistrats, sous-financés, et les tribunaux abandonnés peinent à mener à bien les enquêtes, lesquelles se soldent rarement par des procès équitables » (RHInews, « Création d’une Commission vérité, justice et réparation en Haïti », 18 septembre 2024). [Le souligné en italiques et gras est de RBO]

Plusieurs analystes de la situation politique actuelle en Haïti sont dubitatifs quant au caractère surréaliste sinon démagogique de cette « disposition inédite ». Il n’est pas attesté que Joseph Jouthe a été associé à l’élaboration de cette « disposition inédite » en dépit de sa haute profession de foi catéchétique et de son « envie, voire [sa] passion de produire et publier des textes à portée socio-politique et technique ». Quant à lui, le secteur des droits humains en Haïti est vent debout contre cette « disposition inédite ». Ainsi, « Pierre Espérance, Directeur exécutif du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), a sévèrement critiqué la mise en place de cette commission, dénonçant l’absence de consultation avec les organisations de défense des droits humains qui travaillent aux côtés des victimes. « Nous ne reconnaissons pas cette commission, dont certains membres n’ont aucun lien avec les victimes des violences des gangs. Que peut-on espérer d’individus qui ont encouragé l’impunité et entretenu des relations avec des structures politiques ayant soutenu les gangs armés, responsables de tant d’exactions ? » a déclaré Espérance » (RHInews, « Création d’une Commission vérité, justice et réparation en Haïti », 18 septembre 2024).

La création impromptue d’une « Commission vérité, justice et réparation » met en scène une stratégie politique de détournement du regard orchestrée par le secteur mafieux dominant du PHTK néo-duvaliériste, celui auquel appartient Nesmy Manigat, l’ex-ministre de facto de l’Éducation nationale et ancien Président du Conseil d’administration du Fonds national de l’éducation (FNE), ainsi que Joseph Jouthe, ex-ministre des Finances et ancien vice-Président du Conseil d’administration du Fonds national de l’éducation, tous deux solidement arrimés au pré-carré du PHTK. Sur le registre des fondements juridiques de l’Administration publique haïtienne, il faut prendre toute la mesure que le chapitre I de la Loi du 17 août 2017 (Le Moniteur n° 30, vendredi 22 septembre 2017) –qui accorde la personnalité juridique au Fonds national de l’éducation–, dispose à l’article 2 que « Le FNE est placé sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale (…) » ; à la Section I, article 6-b et article 7, il est précisé que le ministre de l’Éducation nationale est le Président du Conseil d’administration du Fonds national de l’éducation, tandis que le ministre des Finances en est le vice-Président. La stratégie politique de détournement du regard est également mise en œuvre sur le mode de la banalisation et du contournement d’une institution de l’État, en particulier lorsque cette institution a pour mission de combattre la corruption dans l’Administration publique et ailleurs dans le corps social. Cette stratégie s’avère logique et indispensable aux « bandits légaux » du PHTK car elle constitue la meilleure voie, vêtue des apparences et du bouclier de la légalité, permettant de contourner et de rendre inopérantes les enquêtes que mène l’Unité de lutte contre la corruption l’ULCC) dans divers dossiers de corruption, y compris la vaste enquête qu’elle conduit dans le dossier de la corruption au Fonds national de l’éducation (nous reviendrons là-dessus plus loin dans cet article).

Il est en effet symptomatique que la création d’une « Commission vérité, justice et réparation » ait été annoncée sans qu’aucun lien n’ait été établi avec le travail qu’effectue depuis plusieurs années l’Unité de lutte contre la corruption (l’ULCC) en conformité avec le mandat que lui a confié le législateur (voir le « Décret portant création de l’Unité de lutte contre la corruption », 8 septembre 2004). Le travail de l’ULCC est certainement en lien avec le Décret du 17 mai 2005 « portant organisation de l’administration centrale de l’État » qui stipule, en son article 148, que le contrôle financier de toutes les administrations de l’État et des organismes autonomes est exercé par la Cour supérieure des comptes. L’on observe que depuis sa création en 2004, l’Unité de lutte contre la corruption a produit un nombre élevé de rapports : « Les 87 rapports de l’ULCC ont abouti à une seule condamnation pour quatre ordonnances de renvoi » titre Le Nouvelliste du 30 août 2024. Dans cet article, il est précisé que « Lutter contre la corruption en Haïti est comme noyer un poisson dans l’eau si l’on tient compte des chiffres avancés par l’ULCC. 10 ans après l’entrée en vigueur de la Loi du 12 mars 2014 portant prévention et répression de la corruption, 67 rapports ont été communiqués à la justice pour très peu de suivi. L’ULCC, qui s’apprête à célébrer ses 20 ans, a soumis au total 87 rapports d’enquêtes à la justice. De ces chiffres, un seul jugement de condamnation a été prononcé, quatre ordonnances de clôture ont été rendues, dont une de non-lieu. La preuve irréfutable de l’impunité en Haïti quand on parle de la corruption ».

Sur les plans juridique, politique et administratif, Joseph Jouthe a-t-il été caution et/ou responsable et/ou allié naturel de la corruption au Fonds national de l’éducation ?

Pour répondre adéquatement à cette question de premier plan, il importe de rappeler en quoi consiste la mission du Fonds national de l’éducation (FNE), une institution d’État à laquelle Joseph Jouthe a été juridiquement, administrativement et politiquement associé à titre de ministre des Finances puis de Premier ministre : il est avéré que Joseph Jouthe fut l’homme d’État qui a été le plus souvent lié à la mission et à l’action du Fonds national de l’éducation conformément à la Loi du 17 août 2017  (section I, article 6-b : le ministre des Finances est vice-Président du Conseil d’administration du FNE). Il s’agit donc d’un dossier qu’il connaît assurément en gros et en détail, et son « envie, voire [sa] passion de produire et publier des textes à portée socio-politique et technique » a certainement rendez-vous avec la vérité historique, avec l’obligation de rendre des comptes à la Nation. Pareille obligation est en lien avec les dispositions, arrêts et décrets suivants (voir le document « Compilation de textes relatifs à la lutte contre la corruption », non daté, élaboré par le ministère de l’Économie et des finances et l’Unité de lutte contre la corruption) :

  • des dispositions du Code pénal réprimant la corruption des fonctionnaires publics et autres infractions assimilées (articles 137 et suivants) ;

  • le Décret du 17 mai 2005 portant organisation de l’administration centrale de l’État ;

  • le Décret du 23 novembre 2005 établissant l’organisation et le fonctionnement de la Cour supérieure des comptes et contentieux administratif ;

  • ainsi que quelques arrêts rendus en matière de corruption par la Cour de cassation de la République de juillet 2001 à juillet 2010.

Le Décret du 23 novembre 2005 établissant l’organisation et le fonctionnement de la Cour supérieure des comptes et contentieux administratif (voir Le Moniteur – Spécial no 7 du 22 juillet 2005) comprend des articles que des juristes sauront adéquatement actualiser en lien avec la corruption au Fonds national de l’éducation et par rapport au rôle de Joseph Jouthe, l’homme d’État qui a été le plus souvent lié à la mission et à l’action du Fonds national de l’éducation. Les articles pertinents du Décret du 23 novembre 2005 sont les suivants : –article 173 : « Il est interdit aux fonctionnaires de prendre un intérêt pécuniaire direct aux fournitures, aux soumissions et aux autres travaux qui intéressent l’État » ; –article 181 : « L’obligation de probité et de désintéressement entraîne la répression de tous les agissements qui y sont contraires, tels que l’ingérence, le trafic d’influence, la corruption, la concussion, le délit d’initié, le détournement ou la soustraction de deniers publics, actes et documents de l’Administration ».

La profession de foi de l’ex-Premier ministre Joseph Jouthe –son « envie, voire [sa] passion de produire et publier des textes à portée socio-politique et technique »-, a certainement rendez-vous avec l’obligation de rendre des comptes à la Nation. Cette obligation a des fondements juridiques consignés dans l’« Arrêté portant règlement général de la comptabilité publique » (16 février 2005). Cet Arrêté dispose ce qui suit :

« Article 17 : Le ministre chargé des Finances est ordonnateur principal central et unique des recettes et des dépenses du budget de l’État, des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor. »

« Article 100 : Le ministre chargé des Finances a la responsabilité première de la gestion des fonds du Trésor public. »

Conformément aux aticles 17 et 100 de l’Arrêté du 16 février 2005, l’ex-ministre des Finances Joseph Jouthe a donc été l’« ordonnateur principal central et unique des recettes et des dépenses du budget de l’État » : à ce titre et au titre de vice-Président du Conseil d’administration du FNE, il avait l’obligation de rendre compte de la gestion financière du Fonds national de l’éducation même si le budget du FNE n’a jamais été fiscalisé. Ne pas souscrire à des obligations explicitement formulées aux articles 17 et 100 de l’Arrêté du 16 février 2005 revient objectivement à masquer en les banalisant les différents mécanismes de la corruption au Fonds national de l’éducation.

Le Fonds national de l’éducation : opacité managériale, absence de bilan public de son action de 2011 à 2024, absence d’états financiers de 2011 à 2024, absence d’audits comptables de 2011 à 2024

Lancé en 2011 par les caïds-en-chef du PHTK Michel Martelly et Laurent Lamothe, le Fonds national de l’éducation a débuté ses opérations sur le mode de l’informel. Ce n’est qu’en 2017, par la Loi du 17 août 2017 (Le Moniteur n° 30, vendredi 22 septembre 2017) qu’il a été doté d’une personnalité juridique : « Le Fonds national de l’éducation (FNE) est un organisme autonome de financement de l’éducation placé sous la tutelle du ministère chargé de l’Éducation nationale. Le FNE jouit de l’autonomie financière et administrative. Il est doté de la personnalité juridique et sa durée est illimitée » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation). Selon les lois haïtiennes en vigueur, un organisme placé sous la tutelle d’un ministère relève, en termes de hiérarchie administrative, de la responsabilité administrative première du ministre de tutelle. 

De manière statutaire, « le Fonds national de l’éducation a pour mission de participer à l’effort de l’éducation pour tous et de gérer les fonds destinés au financement de l’éducation. (…) [Le FNE] intervient dans plusieurs domaines, notamment la construction d’infrastructures, la rénovation des bâtiments scolaires, l’appui au Programme de cantines scolaires, le paiement des frais de scolarité, le paiement des frais pour les enseignants, la dotation d’équipements scolaires, le financement de projets éducatifs, l’appui aux études supérieures. (…) La présidence du conseil [d’administration du FNE] est assurée par le ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle [conformément à l’article 7 de la Loi du 17 août 2017], la vice-présidence par celui de l’Économie et des finances » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation). [Le souligné en italiques et gras est de RBO] L’expansion généralisée de la prévarication au Fonds national de l’éducation, au creux de la structuration de la corruption dans l’ensemble du système éducatif haïtien, est un sujet majeur de société et comme tel ce « Fonds » a fait l’objet de diverses analyses. Il y a lieu de mentionner l’éclairage analytique de Jesse Jean consigné dans son « Étude de l’aide internationale pour la réalisation de l’éducation pour tous en Haïti » (thèse de doctorat, Université Paris-Est Créteil Val de Marne, 13 janvier 2017). Dans cette thèse de doctorat, Jesse Jean précise que « Le Projet de loi portant création, organisation et fonctionnement du Fonds national pour l’éducation (FNE) n’a jamais été ratifié par le Parlement haïtien. Ainsi, l’utilisation du FNE n’est toujours pas légale et les taxes sont prélevés tous les jours par l’État haïtien [sont elles aussi illégales] ». De surcroît, « (…) en 2013, soit deux ans après la création du Fonds national de l’éducationles montants collectés par exemple sur les appels téléphoniques étaient évalués, d’après les chiffres indiqués par le Conseil national des télécommunications (le CONATEL) à 58 066 400 dollars américainsEt les taxes prélevées sur les transferts d’argent entrants et sortants s’élevaient à plus de 45 238 095 dollars US » (Jesse Jean, op. cit., page 132). 

Parmi les caractéristiques majeures du Fonds national de l’éducation –caractéristiques que Joseph Jouthe connaît certainement en gros et en détail puisqu’il a été ministre des Finances, donc vice-Président du Conseil d’administration du FNE–, il y a lieu de retenir (1) l’opacité managériale, (2) l’absence de bilan public de toutes les activités et de toutes les sommes reçues par le FNE de 2011 à 2024 et (3) l’absence du moindre audit comptable de tous les fonds reçus, décaissés et administrés par le FNE de 2011 à 2024. Il est attesté que le Fonds national de l’éducation, puissante et vaste structure gangstérisée de « pompage » financier formellement créée par la Loi du 17 août 2017, n’a jamais été inscrit au Budget officiel de l’État haïtien. Le FNE est donc une institution de l’État échappant à tout audit du Parlement haïtien : véritable « État dans l’État » à l’intérieur même du ministère de l’Éducation nationale, le FNE ne rend compte qu’à son « parrain » politique, le PHTK néo-duvaliériste.

La filiation idéologique et politique entre le PHTK d’Evans Paul (K-Plim), Joseph Jouthe, Jovenel Moïse, Lyné Balthazar, Michel Martelly, Laurent Lamothe, Bochit Edmond, etc. et le duvaliérisme est mesurable à plusieurs étages de l’édifice social et économique d’Haïti. Ainsi, la saga du Fonds national de l’éducation créé par le PHTK néo-duvaliériste rappelle celle instituée par le dictateur François Duvalier pour asseoir un vaste système de corruption et de « pompage » des ressources financières du pays à travers la Régie du tabac et des allumettes dès le milieu des années 1960. L’une des caractéristiques opérationnelles de cette régie de la dilapidation gangstérisée était l’utilisation d’un « compte non-fiscal » créant un monopole du tabac. Ce dispositif a par la suite été instrumentalisé dans d’autres entreprises gouvernementales qui ont servi de caisse noire et sur lesquelles aucun bilan n’a été trouvé. Dans son célèbre ouvrage « Idéologie de couleur et classes sociales en Haïti » (Presses de l’Université de Montréal, 1987), la sociologue Micheline Labelle nous enseigne qu’« une grande part des recettes extra-budgétaires, provenant surtout de la Régie du tabac et des allumettes et représentant au moins 40% des recettes totales de l’État, alimente largement les dépenses en frais militaires non encourues par le budget de la défense (Girault, 1975 : 62). On sait que cet organisme est le grand pourvoyeur de fonds du budget de répression et que le gouvernement refuse encore la fiscalisation de ses comptes, en dépit des demandes de rationalisation administrative [p. 30] de tous les organismes internationaux à ce jour ». NOTE — À propos de la Régie du tabac et des allumettes et des « comptes extra-budgétaires » durant la dictature des Duvalier, nous avons eu accès à un document de première main et amplement informatif intitulé « Rapports sur les finances de Jean-Claude Duvalier et Cie ». Ce document porte la signature de François St Fleur, ministre de la Justice de la République d’Haïti (et al.), et nous l’avons retrouvé, archivé, à l’Institute of Haitian Studies de la University of Kansas en 2000. Il comprend la mention suivante : « Attestations officielles détaillées du ministre haïtien de la Justice et de huit autres hauts fonctionnaires du gouvernement haïtien concernant les quelque 511 millions de dollars américains dont on peut prouver qu’ils ont été volés au peuple haïtien par Jean-Claude Duvalier et ses acolytes. Introduction en anglais, textes en français ». [Traduction française de RBO] Au chapitre III placé à la suite de la « Conclusion », sont consignés plusieurs sous-chapitres, notamment (a) « Un aspect du stratagème utilisé par les Duvalier : les
comptes extra-budgétaires (page 55) ; (b) l’« analyse des transferts frauduleux de fonds à partir des comptes extra-budgétaires » (page 59) ; (c) le « Détournement de fonds à travers les comptes extra-budgétaires administrés à la Banque de la République d’Haïti (page 59). Le chapitre IV présente le système de détournement de fonds (d) à la « Régie du tabac (page 70), (e) « Le Détournement des recettes de la Régie (page 70), et (f) le « Détournement au premier niveau : les transferts de la Régie » (page 70). Il est mentionné à la « Conclusion » de ce document, en page 88, que « Jusqu’ici nous avons pu établir que les Duvalier se sont livrés à un pillage sans merci des deniers publics. À la Régie seulement, ils se sont emparés de 29 millions $ ».

En début du présent article il est mentionné que la parole de Joseph Jouthe est un inestimable réceptacle d’alluvions et de sédiments, elle est une parole-mémoire, une parole-témoin : l’ancien ministre des Finances et ex-Premier ministre, qui a confirmé par courriel son « envie, voire [sa] passion de produire et publier des textes à portée socio-politique et technique », occupe donc une position privilégiée, celle d’un fin connaisseur du dossier de la corruption au Fonds national de l’éducation. Objectivement, il dispose des capacités intellectuelles requises et il est en mesure de procéder à une analyse de fond, ample et rigoureuse, de l’ensemble des mécanismes de la corruption au Fonds national de l’éducation. Il est en mesure de démontrer en quoi consiste le système de la corruption au FNE et de mettre en lumière de quelle manière l’opacité managériale au Fonds national de l’éducation participe de façon systémique de la stratégie politique de détournement du regard destinée à INVISIBILISER ET À « SILENCER » LA CORRUPTION AU FNE. La stratégie politique de détournement du regard destinée à invisibiliser et à « silencer » la corruption au FNE fait obstacle, depuis 2011 et jusqu’à 2024, à la connaissance approfondie de ce qui est le plus vaste système de corruption du système éducatif haïtien depuis la création de la première institution nationale dédiée à l’éducation. Pour mémoire : c’est sous le gouvernement de Charles Rivière Hérard (1843-1844) qu’est créé le premier ministère de l’Instruction publique en Haïti, lointain ancêtre du ministère de l’Éducation nationale (voir l’ouvrage « Critique décoloniale de l’école haïtienne », par Jacques-Michel Gourgues, EducaVision, janvier 2022).

Tel que mentionné auparavant –et tel que consigné dans les quatre articles que nous avons consacrés à la corruption au FNE, le Fonds national de l’éducation se caractérise principalement par son opacité managériale, l’absence de bilan public de toutes les activités et de toutes les sommes reçues et dépensées par le FNE de 2011 à 2024 et par l’absence du moindre audit comptable de tous les fonds reçus, décaissés et administrés par le FNE de 2011 à 2024. Lors de la rédaction de nos précédents articles sur la corruption au Fonds national de l’éducation et au moment de la rédaction du présent article, nous avons effectué d’amples recherches documentaires sur les sites Web du ministère de l’Éducation, du ministère des Finances et du Fonds national de l’éducation : aucune de ces sources ne consigne le moindre DOCUMENT-SYNTHÈSE comprenant

  1. le montant total de toutes les sommes collectées de 2011 à 2024 par le CONATEL et la BRH (la Banque de la République d’Haïti) puis versées au compte bancaire du Fonds national de l’éducation ;

  2. des copies officielles d’audits comptables présumément réalisés par la Cour supérieure des comptes relatifs à tous les fonds reçus, décaissés et administrés par le FNE de 2011 à 2024.

NOTE – Les quatre articles que nous avons consacrés à la corruption au Fonds national de l’éducation ont pour titre :

  1. « Le Fonds national de l’éducation en Haïti, un système mafieux de corruption créé par le PHTK néo-duvaliériste » (Rezonòdwès, 20 avril 2024) ;

  1. « La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024 », (Madinin’Art, 3 mai 2024) ;

  1. « La corruption dans le système éducatif national d’Haïti : l’Unité de lutte contre la corruption parviendra-t-elle à la démanteler ? » (Rezonòdwès, 28 juillet 2024) ;

(4) « Camouflage de la corruption au Fonds national de l’éducation d’Haïti sous le manteau d’une ritournelle publicitaire » (Madinin’Art, 4 septembre 2024).

Il faut prendre toute la mesure que c’est dans l’espace compris entre (1) l’envoi vers le compte bancaire du Fonds national de l’éducation, (2) les opérations de décaissement des fonds et (3) l’attribution des contrats de prestation de services aux sous-traitants que sont structurés LES MÉCANISMES DE DÉTOURNEMENT DE FONDS AU FNE ainsi que la stratégie politique de détournement du regard destinée À INVISIBILISER ET À « SILENCER » LA CORRUPTION AU FNE. En toute rigueur et conformément à son « envie, voire [sa] passion de produire et publier des textes à portée socio-politique et technique », Joseph Jouthe, –ancien ministre des Finances, ex-Premier ministre nommé par le PHTK et ancien vice-Président du Conseil d’administration du Fonds national de l’éducation, a l’obligation de présenter à la Nation un bilan rigoureux et exhaustif détaillant

  1. le montant total de toutes les sommes collectées de 2011 à 2024 par le CONATEL et la BRH (la Banque de la République d’Haïti) puis versées au compte bancaire du Fonds national de l’éducation ;

  2. la typologie de toutes les activités et interventions du Fonds national de l’éducation (rénovation des bâtiments scolaires, mobilier scolaire, matériel scolaire, etc.) de 2011 à 2024 ;

  3. l’état des lieux de tous les audits comptables présumément réalisés par la Cour supérieure des comptes relatifs à tous les fonds reçus, décaissés et administrés par le FNE de 2011 à 2024.

L’obligation à laquelle doit se soumettre Joseph Jouthe de présenter à la Nation un bilan rigoureux et exhaustif des réalisations du FNE de 2011 à 2024 ainsi que de ses dépenses est prévue dans la Loi du 17 août 2017 . En effet celle-ci dispose, au chapitre 2 (article 10(o) de la Section I), que « Le Conseil d’administration a pour attributions « (…) d’examiner le rapport du vérificateur externe, faire le suivi des avis émis par ce dernier et faire publier le rapport d’audit dans les six mois suivant la clôture de l’exercice ». À moins de vouloir entamer une nouvelle carrière dans la délinquance politique, Joseph Jouthe –ex-ministre des Finances et ancien vice-Président du Fonds national de l’éducation–, ne peut en aucun cas se soustraire à une telle obligation.

Premier rappel / Reddition de compte, conformément aux articles 17 et 100 de l’Arrêté du 16 février 2005, par un ex-ministre qui a été « chargé des Finances [et] ordonnateur principal central et unique des recettes et des dépenses du budget de l’État » : l’enjeu est de première importance puisqu’il il concerne la scolarisation de plus de 3 millions d’élèves répartis dans les 17 000 écoles publiques et privées du pays, et il concerne tout autant le sous-financement de l’éducation par l’État haïtien alors même que le Fonds national de l’éducation est la principale source de financement du système éducatif haïtien et que la diaspora haïtienne y contribue pour une large part. À cet égard, il est utile de rappeler le poids économique énorme des transferts de la diaspora haïtienne vers Haïti comme l’atteste une étude interne de la Banque de la République d’Haïti datée de novembre 2019 : « Transferts de la diaspora et taux de change réel : le cas d’Haïti ». Ainsi, « (…) les transferts sans contrepartie vers Haïti ont presque décuplé entre 1998 et 2018 alors que leur poids par rapport au PIB est passé de 8,8% à 32,5% sur la même période. Ils sont désormais, de loin, la principale source de devises du pays, soit 3,6 fois la valeur des exportations, 10 fois celle des flux d’aide au développement et 37 fois le montant des investissements directs étrangers ».

En ce qui a trait aux transferts de la diaspora vers Haïti, l’on observe que dans l’article « Vers un record des transferts d’argent de la diaspora vers Haïti » (Le Nouvelliste, 17 septembre 2021), Cyprien L. Gary note que « Les transferts d’argent de la diaspora vers Haïti vont connaitre une augmentation de l‘ordre de 28% par rapport à l’année dernière, selon les déclarations du gouverneur de la banque centrale haïtienne, Jean-Baden Dubois, lors d’une interview à l’émission « Rendez-vous économique » animée par l’économiste Kesner Pharel sur radio-télé Métropole le 5 septembre 2021. Cette information émanerait de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) qui publie chaque année les statistiques de l’Amérique latine et des Caraïbes. (…) « en 2020, le montant des transferts sans contrepartie envoyés par la diaspora haïtienne a été évalué à 2.97 milliards de dollars. Une croissance de 28% équivaudrait donc à un montant d’environ quatre milliards de dollars de transferts en Haïti pour l’année en cours. Il s’agit d’un sommet encore jamais atteint dans les annales des transferts sans contrepartie vers Haïti ». (Esau Jean-Baptiste, « La diaspora oxygène qui permet à Haïti de respirer économiquement », Le National, 11 mars 2022).

Deuxième rappel / L’enjeu est de première importance car il concerne des sommes présumément colossales reçues par le FNE, la plus importante institution nationale exclusivement dédiée au financement de l’éducation en Haïti. Certains connaisseurs du système éducatif national et plusieurs hauts cadres du ministère de l’Éducation nationale estiment que le compte bancaire du Fonds national de l’éducation aurait été provisionné à hauteur de 100 millions de dollars US par année : sur une période de 13 ans, soit de 2011 à 2014, les sommes gigantesques acheminées au Fonds national de l’éducation semblent avoir atteint des sommets, elles seraient de l’ordre de 1 milliard 300 millions de dollars US sur une période de 13 ans Mais en l’absence d’un document-synthèse officiel en provenance du Fonds national de l’éducation et/ou du ministère de l’Éducation nationale et/ou du ministère des Finances et/ou de la Banque de la République d’Haïti, il est impossible pour l’heure de chiffrer avec exactitude le montant total des sommes acheminées au FNE de 2011 à 2014 par le CONATEL et la Banque de la République d’Haïti…

Ayant constaté, sur le site officiel du Fonds national de l’éducationl’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables, nous avons par courriel formulé une demande de renseignement à la Banque de la République d’Haïti, au ministère de l’Économie et des finances, à la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif et à l’Unité de lutte contre la corruption et au Fonds national de l’éducation. Nous avons demandé à ces institutions de nous fournir des documents officiels relatifs (1) au total des sommes prélevées chaque année sur les appels téléphoniques entrants pour la période allant de 2017 à 2024 ; (2) au total des sommes prélevées chaque année sur les transferts d’argent vers Haïti pour la période allant de 2017 à 2024 ; (3) aux états financiers du Fonds national de l’éducation pour la période allant de 2017 à 2024, et (4) aux audits comptables qui auraient été réalisés par la Cour supérieure des comptes ou par une firme externe pour la période allant de 2017 à 2024. Au moment d’achever la rédaction du présent article, aucune de ces institutions n’avait formellement répondu à notre demande…

En dépit de ce qui semble relever d’une vieille tradition de l’Administration publique haïtienne de ne pas communiquer de documents administratifs alors même qu’ils sont d’intérêt public, nous avons eu accès à un document de deux pages (voir le tableau 2) intitulé « Banque de la République d’Haïti. Direction financière – Service contrôle financierRapport mensuel des frais perçus sur les transferts privés internationaux versés au compte du Trésor publicÉtabli du 28 juillet 2011 au 12 septembre 2018 ». Ce document est intéressant à plusieurs titres : il fournit des chiffres précis sur le total des sommes perçues par la Banque de la République d’Haïti pour le compte du Fonds national de l’éducation de 2011 à 2016 et de 2017 à 2018. Tel que mentionné auparavant, le FNE ne dispose d’une existence légale que depuis 2017 avec l’adoption de la Loi du 17 août 2017 : entre 2011 et 2017 le Fonds national de l’éducation fonctionnait dans l’informel au sens où il ne disposait pas encore du statut légal d’une institution d’État. Cela a porté plusieurs institutions à le classer déjà, en 2011, parmi les instances opaques de l’Administration publique haïtienne qui amassent illégalement des sommes d’argent au montant indéterminé et qui ne figurent pas dans le Budget national, ce qui les soustrait au contrôle du Parlement. Avec l’adoption de la Loi du 17 août 2017, le Fonds national de l’éducation possède un cadre légal de fonctionnement, un Conseil d’administration, un personnel administratif et des règlements internes, des objectifs, des droits et des obligations. Les tableaux 1 et 2 sont une indication du total des sommes perçues sur les transferts privés internationaux par le CONATEL pour la Banque de la République d’Haïti –entre 2011 et 2016 et de 2017 à 2018–, qui les dirige par la suite vers le Trésor public. Les tableaux 1 et 2 ne prennent pas en compte les sommes prélevées sur les appels téléphoniques vers Haïti en provenance de l’étranger car la recherche documentaire que nous avons menée pour rédiger le présent article ne nous a pas permis d’avoir accès à des documents décrivant les opérations de retenue sur les appels téléphoniques.

TABLEAU 1 – Total des sommes investies dans les « axes d’intervention majeurs » du Fonds national de l’éducation selon les déclarations de son directeur général (2019-2024) + Ventilation des frais administratifs annuels

 

5 ANS (2019-2024)

GOURDES

DOLLAR US

MOYENNE / 5 ANS

GDES

$

$ US

PROGRAMME SPÉCIAL DE GRATUITÉ DE L’ÉDUCATION

3 147 598 122

23 607 576

4 721 515

RÉNOVATION DES INFRASTRUCTURES

2 775 914 120

20 819 876

4 163 975

MOBILIERS SCOLAIRES

525 715 000

3 942 961

788 592

CANTINE SCOLAIRE

255 666 422

1 917 546

383 509

UNIVERSITÉS/ RECH.

30 000 000

225 006

45 001

UNIV./BOURSES (1500)

285 500 000 sur 5 ans

2 141 304

428 261

SUBVENTIONS (229)

133 157 717

998 708

199 742

TOTAL

7 153 551 381

652 977

730 595

PAR BOURSE (1500 bo.)

190 333

1 428

286 *

PAR ÉTUDIANT (229 ét.)

581 475

4 361

872 *

Taux de conversion : 133 GDES/ 1 $ US. || L’astérisque * renvoie à une moyenne annuelle.

FRAIS ADMINISTRATIFS ANNUELS

SALAIRE DU DG

7 800 000

58 501

BUREAU (7 pers.)

24 000 000

180 005

CABINET (17 pers.)

49 000 000

367 509

TOTAL

80 800 000

606 015

 

Source 1 : Déclaration du directeur général du FNÉ, point de presse du 31 janvier 2024, site officiel du Fonds national de l’éducation ; Source 2 : Hebdo 24, 1er avril 2024.

TABLEAU 2 – Fonds national de l’éducation / Banque de la République d’Haïti : frais perçus sur les transferts privés internationaux / 2011-2018

 

PÉRIODES

NOMBRE DE TRANSFERTS

FRAIS PERÇUS de 1,50 $ en milliers de dollars US

JUILLET 2011-JUIN 2012

7 431

11 146

JUILLET 2012-JUIN 2013

8 313

12 469

JUILLET 2013-JUIN 2014

8 745

13 117

JUILLET 2014-JUIN 2015

10 927

16 392

JUILLET 2015-JUIN 2016

12 198

18 297

JUILLET 2016-JUIN 2017

13 451

20 176

JUILLET 2017-JUIN 2018

16 062

24 093

TOTAL

77 127

115 690

 

Source : Banque de la République d’Haïti. Direction financière – Service contrôle financier. Rapport mensuel des frais perçus sur les transferts privés internationaux versés au compte du Trésor public. Établi du 28 juillet 2011 au 12 septembre 2018.

Commentaire analytique – Le tableau 1 fournit un éclairage fort instructif sur le total des sommes investies dans les « axes d’intervention majeurs » du Fonds national de l’éducation selon les déclarations de son directeur général. Ces données déclaratives exposées par le directeur général du FNE, durant son point de presse le 31 janvier 2024, n’étaient pas accompagnées du moindre document officiel attestant leur véracité : ce constat est de première importance car toutes les recherches documentaires que nous avons menées, y compris sur le site officiel du Fonds national de l’éducation, n’ont pas permis de retracer les états financiers et encore moins les rapports d’audit comptable du FNE. Comme nous le verrons plus loin dans le déroulé de cet article en examinant la « chaîne de camouflage » à l’œuvre au FNE destinée à INVISIBILISER ET À « SILENCER » LA CORRUPTION, nous sommes en présence d’un système de gestion financière opaque qui n’offre pas les instruments de compréhension des dépenses publiques qu’un organisme public prétend avoir effectuées pour remplir la mission de service public que lui confère la Loi du 17 août 2017. Les déclarations du directeur général du Fonds national de l’éducation ne permettent pas non plus de savoir, en référence à des documents officiels consultables, si l’institution a effectivement rempli sa mission, si les sommes injectées dans des programmes et des activités ont été dépensées avec rigueur, ou encore si des instances indépendantes ont émis des rapports de conformité à propos de telle ou telle réalisation. Par exemple, le directeur général du FNE a déclaré que son institution aurait investi 2 775 914 120 Gdes sur 5 ans 20 819 876 $ US— dans la rénovation des infrastructures scolaires. Il aurait été utile de fournir des documents énumérant le nombre d’infrastructures scolaires rénovées, leur localisation géographique, le nombre d’élèves ayant bénéficié de ces rénovations ainsi que les rapports techniques émis par des firmes d’ingénierie attestant le respect de la conformité aux normes sismiques. Il aurait également été utile de savoir si un appel d’offres a été émis en vue du choix des firmes ayant réalisé la rénovation des infrastructures scolaires ainsi que les qualifications de ces firmes. Il aurait tout autant été utile de savoir si l’attribution des contrats à ces firmes a été effectuée de gré à gré, ce qui habituellement ouvre la porte au favoritisme et à diverses formes de malversation. Il en est de même des sommes injectées dans les cantines scolaires : combien d’élèves ce programme que l’on dit d’envergure nationale a-t-il permis de rejoindre ? A-t-il donné la priorité aux produits locaux de proximité et permis l’embauche d’une main-d’œuvre locale ? Et sur quels critères le FNE s’est-il basé pour attribuer 1 500 bourses scolaires de l’ordre de 286 $ en moyenne annualisée sur 5 ans (190 333 Gdes (1 428 $ US) ? Dans un pays qui compte environ 3 millions d’enfants en cours de scolarisation, comment expliquer que le FNE n’ait accordé que 286 $ en moyenne annualisée pour 1 500 bourses scolaires au modeste montant de 190 333 Gdes (1 428 $ US) ? En référence à la révélation publique des détournements de fonds au PSUGO –programme scolaire lui aussi créé par le PHTK néoduvaliériste mais dénoncé par les enseignants et vilipendé dans un premier temps par l’ex-ministre de facto de l’Éducation nationale Nesmy Manigat qui, dans un second temps, l’a reconduit dès son retour à la direction du MENFP en novembre 2022–, quelles sont les données vérifiables relatives à ces 1 500 bourses scolaires ? S’agit-il de bourses scolaires zonbi, comme il y en a eu au PSUGO, s’agit-il d’écoles zonbi, de directeurs d’écoles zonbi, de professeurs zonbi et des chèques zonbi ? (Sur la vaste entreprise de détournement de fonds qu’est le PSUGO, voir notre article « Le système éducatif à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO », journal Le National, Port-au-Prince, 24 mars 2022 ; voir également les articles « Le Psugo, une menace à l’enseignement en Haïti ? (parties I, II et III) – Un processus d’affaiblissement du système éducatif », Ayiti kale je (Akj), AlterPresse, 16 juillet 2014. Voir aussi sur le même site, « Le PSUGO, une catastrophe programmée » (parties I à IV), 4 août 2016. Voir enfin l’article fort bien documenté « Le Psugo, une des plus grandes arnaques de l’histoire de l’éducation en Haïti », par Charles Tardieu, Port-au-Prince, 30 juin 2016). Dans notre article du 24 mars 2022 publié en Haïti dans le journal Le National, Le système éducatif à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO, nous avons mentionné les liens qui existent entre le PSUGO et le Fonds national de l’éducation comme suit : « Selon un rapport du ministère de l’Éducation acheminé le 22 décembre 2014 au journal Le Nouvelliste et qui présente, semble-t-il, « le bilan annuel des deux (…) exercices 2011-2012 et 2012-2013, le PSUGO est financé essentiellement grâce au Fonds national pour l’éducation (FNE), à hauteur de 1,9 milliard de gourdes, et du Trésor public, à hauteur de 800 millions de gourdes, pour un total de 2,7 milliards de gourdes ». Il est fort révélateur que deux institutions majeures du système éducatif national haïtien, le FNE et le PSUGO, soient pareillement et pour les mêmes motifs dénoncées par les enseignants, les syndicats d’enseignants, les directeurs d’écoles et des observateurs indépendants en raison de leur gestion financière opaque et de leurs mécanismes opaques d’attribution et d’exécution de projets.

La seconde partie du tableau 1 présente le montant total, par catégories, des « frais administratifs annuels » du Fonds national de l’éducation. Ces frais administratifs (80 800 000 Gdes, soit 606 015 $ US) sont extrêmement élevés pour un organisme autonome rattaché à un ministère, celui de l’Éducation nationale. Mais ce qui interpelle avant tout l’observateur, c’est la pléthore du personnel en poste au bureau (7 personnes) et au cabinet (17 personnes) du FNE. Cette pléthore est en lien avec les vieilles et complexes pratiques de népotisme et de favoritisme au creux de la corruption dans l’Administration publique haïtienne. Habituellement le favoritisme sert à « récompenser » ceux que l’on désigne par l’expression des « ayant droit du système » et qui servent de courroie de transmission des opérations de détournement de fonds publics.

Le deuxième tableau, « Fonds national de l’éducation / Banque de la République d’Haïti : frais perçus sur les transferts privés internationaux / 2011-2018 », est lui aussi fort instructif. Il atteste d’une part une nette augmentation de juin 2012 à juin 2018 du nombre de transferts, soit 7 431 à 16 062. D’autre part il atteste une nette augmentation de plus du double des frais perçus en milliers de dollars US, de juin 2012 à juin 2018, soit 11 146 à 24 093. Pareille augmentation se traduit par l’ample progression du montant total des frais perçus, qui passent de 11 146 à 115 690. En raison de la forte dégradation de la crise économique de 2018 à 2024, il est loisible de poser que durant cette période le volume de transferts d’argent vers Haïti a considérablement augmenté. Il en est résulté que les frais perçus sur les transferts privés internationaux ont augmenté de manière significative passant, en toute bonne hypothèse indicative, de 24 093 à 48 000. Pareille augmentation est en lien direct avec le poids économique énorme des transferts de la diaspora haïtienne vers Haïti comme l’atteste un document interne de la Banque de la République d’Haïti daté de novembre 2019 intitulé « Transferts de la diaspora et taux de change réel : le cas d’Haïti ». Ainsi, « (…) les transferts sans contrepartie vers Haïti ont presque décuplé entre 1998 et 2018 alors que leur poids par rapport au PIB est passé de 8,8% à 32,5% sur la même période. Ils sont désormais, de loin, la principale source de devises du pays, soit 3,6 fois la valeur des exportations, 10 fois celle des flux d’aide au développement et 37 fois le montant des investissements directs étrangers ».

Selon certains cadres du ministère de l’Éducation nationale en poste durant le « règne » de Nesmy Manigat à la direction de ce ministère, l’on a « brassé » d’énormes sommes en provenance du Fonds national de l’éducation dans des « programmes » et « activités » qui, à l’instar du controversé du LIV INIK AN KREYÒL qui se décline en sept versions différentes, auraient été conduites dans une totale opacité. Mais en l’absence d’un document-synthèse officiel et public en provenance du Fonds national de l’éducation et/ou du ministère de l’Éducation, il est impossible de chiffrer de telles dépenses avec exactitude. L’enquête que mène actuellement l’Unité de lutte contre la corruption sur le système de détournement des sommes acheminées, reçues, décaissées ou « évaporées » au Fonds national de l’éducation devrait permettre de savoir avec précision le montant de toutes les sommes reçues et décaissées par le FNE

Au moment de la révision de la version finale du présent article, nous n’avions toujours pas trouvé UN DOCUMENT-SYNTHÈSE qui identifie de manière exhaustive la totalité des interventions des institutions internationales dans le système éducatif haïtien au cours des dix dernières années (nombre total, années, mission et objectifs déclarés, montants effectivement décaissés, mécanismes de contrôle, audit). Voici donc, à titre indicatif uniquement, quelques annonces d’interventions de l’International dans le système éducatif national. Nous n’avons pas trouvé de documents de référence attestant que les montants annoncés ont été effectivement reçus puis décaissés par le ministère de l’Éducation nationale :

  1. « Le Partenariat mondial pour l’éducation approuve un financement pour aider à faire avancer la réforme de l’éducation en Haïti ». « Le Partenariat mondial pour l’éducation (GPE) a approuvé le 22 juin 2021 un financement de 16,5 millions de dollars US pour aider à faire avancer la réforme de l’éducation en Haïti à travers le projet Promotion d’un système éducatif efficace en Haïti. » (Source : site du PME/GPE, 4 juillet 2021)

  1. « La Banque mondiale approuve un financement additionnel de 90 millions de dollars américains pour le secteur de l’éducation en Haïti ». (Source : site de la banque mondiale, 7 mars 2022)

  1. « Éducation sans délai » annonce une subvention à effet catalyseur de 11,8 millions de dollars É.-U. consacré à un programme pluriannuel de résilience en Haïti ». (Source : site de l’UNICEF, 3 octobre 2022 – « Éducation sans délai » / « Education Cannot Wait »)

  1. « Promoting a more Equitable, Sustainable and Safer Education » – « Objectif de développement » [« Promouvoir une éducation plus équitable, plus durable et plus sûre »]. Coût total du projet : 105.60 millions $ USD, approuvé le 25 juin 2021 ; montant engagé : 15.60 millions $US. (Source : site de la Banque mondiale)

  1. « L’UE [l’Union européenne] approuve un financement de 30 millions d’euros en appui au système d’éducation public ». (Source : Le Nouvelliste, 13 juillet 2023)

  1. « Le gouvernement Haïtien et l’UE signent une convention de financement du programme « Éducation pour vivre ensemble ». Montant : 18 millions d’Euros. (Source : Délégation de l’Union européenne en République d’Haïti, 13 décembre 2023)

  1. « Signature du projet Lekòl nou : l’Afd [Agence française de développement] renouvelle son engagement en faveur d’une éducation de qualité en Haïti » « Le lancement du programme Avni nou, auquel sera étroitement associé le ministère de l’Éducation et de la formation professionnelle, signe l’engagement continu de la France en Haïti à travers l’AFD à soutenir les efforts des autorités publiques et de la société civile en faveur d’un système éducatif de qualité en Haïti. Le programme s’élève à 12 millions d’euros, dont 3 millions d’euros pour le projet Lekòl nou, porté par la FOKAL. Avec 37 millions d’euros d’engagements en faveur de l’éducation et de la formation professionnelle en Haïti, l’AFD est le principal bailleur de fonds bilatéral du secteur et confirme la priorité accordée à l’éducation par l’AFD et la France en Haïti ». (Source : site de l’Agence française de développement, 25 avril 2022)

  1. « Projet d’appui au plan et à la réforme de l’éducation en Haïti (APREH). Montant : 24 250 000 USD ; date d’entrée en vigueur : 5 mars 2015 ; durée : 4 ans ; bailleur : Banque interaméricaine de développement (BID). (Source : UTE, Unité technique d’exécution, ministère de l’Économie et des finances, mars 2015)

Le Fonds national de l’éducation sous investigation de l’Unité de lutte contre la corruption

La nouvelle a fait l’objet d’un tsunami dans les milieux éducatifs et plus largement parmi la population haïtienne : « Des enquêteurs de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) ont effectué, ce mardi 4 mai 2024, une perquisition au Fonds national de l’éducation (FNE). Cette opération intervient dans le cadre d’une enquête en cours sur des faits de corruption signalés, a précisé l’ULCC sur ses réseaux sociaux. Selon certaines informations, plus de 7 milliards de gourdes auraient été détournées sous l’administration de l’actuel Directeur général du FNE, Jean Ronald Joseph » (« Corruption au Fonds national de l’éducation : l’ULCC ouvre une enquête », haiti24.net, 4 juin 2024). La perquisition du 4 mai 2024 est consécutive aux révélations du site Hebdo24.com datées du 1er avril 2024 et relatives au vaste « système dilapidateur » des ressources financières de l’État ayant cours au Fonds national de l’éducation. En voici un extrait : « Au Fonds national de l’éducation, l’argent se gaspille par « millions de gourdes » : « Depuis le weekend dernier, le Fonds national de l’éducation fait l’objet de graves dénonciations. En effet, le FNE constituerait une vraie vache à lait pour certaines personnes, dont son Directeur général. Selon des documents consultés par Hebdo24, le salaire mensuel de Jean Ronald Joseph s’élève à 650 000 gourdes [4 875 $ US mensuels]. Additionné sur 12 mois, son salaire est de 7 millions 800 mille gourdes annuellement. De plus, les dépenses salariales au sein du bureau du Monsieur Joseph totalisent 24 millions de gourdes par an pour sept personnes, tandis que son cabinet, composé de dix-sept membres, représente une dépense annuelle de 49 millions de gourdes. Dans ces documents, figurent des noms de firmes, d’écoles, de journalistes et d’autres contractuels qui perçoivent des sommes astronomiques pour leurs services. C’est le cas de l’ancien député Déus Déroneth qui reçoit un montant de 350 000 gourdes à titre de contractuel ».

Ces révélations sur la corruption systémique au Fonds national de l’éducation sont confirmées par différents médias, entre autres par le site Tandans7.org qui fournit l’éclairage suivant : « Une vaste opération de perquisition est en cours dans les locaux du Fonds National de l’Éducation (FNE) suite à un scandale de corruption impliquant plus de 7 milliards de gourdes. Cette intervention, menée par une vingtaine d’enquêteurs de l’ULCC avec l’appui d’agents de la PNH, vise à faire la lumière sur les détournements présumés sous l’administration de Jean Ronald Joseph. (…) Cette intervention survient après l’éclatement d’un scandale de corruption au sein de l’institution, impliquant des détournements de fonds colossaux. Selon les informations disponibles, sous la direction de Jean Ronald Joseph, actuel Directeur général du FNE, plus de 7 milliards de gourdes auraient été soustraits des caisses de l’institution. Les enquêteurs de l’ULCC, déterminés à faire toute la lumière sur cette affaire, multiplient les investigations pour recueillir des preuves tangibles et identifier les responsables de ces malversations. L’opération en cours s’inscrit dans une série de mesures visant à renforcer la transparence et l’intégrité des institutions publiques » (voir l’article « Corruption au fonds national de l’éducation : l’ULCC mène une perquisition de grande envergure », site Tandans7.org, 4 juin 2024). [Le souligné en italiques et gras est de RBO]

Pour sa part Le Nouvelliste éclaire comme suit la dimension légale, administrative et hiérarchique de l’opération conduite par l’ULCC : « Oui, j’ai donné un ordre de perquisition aux enquêteurs de l’ULCC ce matin concernant le FNE. L’ULCC a reçu plusieurs signalements, plaintes et dénonciations sur d’éventuels faits importants de corruption », a confié à Le Nouvelliste le directeur de l’ULCC, Me Hans Ludwig Joseph. « Cette perquisition, a-t-il poursuivi, fait partie d’une série d’actes d’enquête en cours. Les enquêteurs, dont des investigateurs numériques, sont sur les lieux pour collecter des données informatiques, faire la saisie de documents comptables et administratifs et auditionner des personnes indexées et tous autres concernés », a indiqué Me Joseph. Pour la saisine, elle est d’office. Bien entendu, on a reçu des plaintes et des dénonciations », a dit Me Hans Ludwig Joseph » (voir l’article « Des enquêteurs de l’ULCC ont perquisitionné le FNE », Le Nouvelliste, 4 juin 2024). Au moment de la rédaction du présent article, l’Unité de lutte contre la corruption n’avait pas encore remis son rapport au ministère de la Justice et/ou à la Cour supérieure des comptes…

Ce que nous enseigne le saint-Évangile de la transparence politique de Joseph Jouthe

Pour mettre en perspective les données analytiques que nous venons d’exposer, il y a lieu de rappeler qu’en date du 14 septembre 2024, l’auteur du présent article, le linguiste-terminologue Robert Berrouët-Oriol, a adressé un courriel circonstancié à Joseph Jouthe, ex-ministre des Finances et ancien vice-Président du Fonds national de l’éducation. Ce document est ainsi libellé : « OBJET : Nécessité d’un bilan public, par Joseph JOUTHE, de l’ensemble des interventions du Fonds national de l’éducation dans le système éducatif haïtien ».

Compte-tenu du fait que le sujet de la corruption au Fonds national de l’éducation est d’intérêt public, ce courriel a été acheminé en copie conforme aux personnalités suivantes :

1. Augustin Antoine, ministre de l’Éducation nationale

2. Dominique Dupuy, ministre des Affaires étrangères et ministre des Haïtiens vivant à l’étranger

3. Jean Ronald Joseph, directeur général, Fonds national de l’éducation

4. Marie Nelta Féthière, présidente, Cour supérieure des comptes 

et du contentieux administratif                    

5. Fritz Deshommes, recteur, Université d’État d’Haïti

6. Jacky Lumarque, recteur, Université Quisqueya

7. Jean-Mary Louis, recteur, Université Notre-Dame d’Haïti  

8. Bernard Gousse, doyen, Faculté des sciences juridiques et politiques, Université Quisqueya      

9. Jean Eugène Pierre Louis, doyen, Faculté de droit et des sciences économiques, Université d’État d’Haïti        

10. Rosy Auguste Ducena, présidente, coalition « Ensemble contre la corruption »     

11. Gary Conille, Premier ministre et ministre de l’Intérieur et des collectivités territoriales

12. Carlos Hercule, ministre de la Justice

13. Nesmy Manigat, ex-ministre de l’Éducation nationale

14. Patrick Boisvert, ex-ministre des Finances

15. Renan Hédouville, protecteur, Office de la protection du citoyen

16. Jacques Letang, président, Fédération des Barreaux d’Haïti  

17. Emmanuel Adjovi, représentant-résident de l’OIF en Haïti 

18. Tatiana Villegas, représentante de l’UNESCO en Haïti

19. Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec

20. Jean-François Henrotte, président, Conférence internationale des Barreaux 

Au moment de la rédaction du présent article, Joseph Jouthe n’avait pas encore répondu à notre courriel du 14 septembre 2024…

Dans sa missive du 14 septembre 2024 à Joseph Jouthe, le linguiste-terminologue Robert Berrouët-Oriol l’a invité :

  1. à élaborer son bilan analytique amplement documenté de l’ensemble des interventions du Fonds national de l’éducation dans le système éducatif haïtien de 2011 à 2024 ;

  1. à transmettre son bilan analytique à l’Unité de lutte contre la corruption et à la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif ;

  1. à acheminer son bilan analytique aux associations d’enseignants, aux associations de parents et de directeurs d’écoles, et à publier ce bilan dans la presse haïtienne en Haïti et en outre-mer.

Afin de bien contextualiser cette demande de bilan analytique adressée à Joseph Jouthe, Robert Berrouët-Oriol a pris soin, dans son courriel du 14 septembre 2024, de lui rappeler les données essentielles de la corruption au Fonds national de l’éducation dont il a certainement été le témoin privilégié :

  1. Du début de ses opérations informelles en 2011 jusqu’à sa légalisation en 2017, puis de 2017 à septembre 2024, le Fonds national de l’éducation n’a publié aucun document officiel consignant :

(a) le montant cumulé de toutes les sommes qu’il a reçues de la BRH et du CONATEL entre 2011 et 2024 ;

(b) l’identification de toutes les sommes qu’il a décaissées entre 2011 et 2024, identification assortie des preuves comptables de ces décaissements ;

(c) l’identification de toutes les actions menées par le FNE entre 2011 et 2024 par secteur d’activités (dotation d’équipements scolaires, financement de projets éducatifs, infrastructures scolaires, etc.) assortie d’un rapport d’audit comptable réalisé par la Cour supérieure des comptes et couvrant la totalité des actions menées par le FNE entre 2011 et 2024 ;

(d) le cahier des charges dans lequel sont édictés les critères et les règles d’appel d’offre et de passation des contrats de prestation de services divers entre le FNE et les sous-traitants et couvrant la totalité des actions menées par le FNE entre 2011 et 2024 ;

(e) l’évaluation professionnelle, administrative et financière de l’ensemble des activités du FNE par son ministère de tutelle, l’Éducation nationale, entre 2011 et 2024 conformément à la Loi du 17 août 2017 (chapitre II, article 5).

 

  1. De l’entrée en vigueur de la Loi du 17 août 2017 jusqu’à septembre 2024, le Conseil d’administration du Fonds national de l’éducation n’a publié aucun document officiel attestant le respect des obligations découlant du chapitre 2 (article 10(o) de la Section I) de cette loi qui dispose que « Le Conseil d’administration a pour attributions « (…) d’examiner le rapport du vérificateur externe, faire le suivi des avis émis par ce dernier et faire publier le rapport d’audit dans les six mois suivant la clôture de l’exercice ».

Au chapitre des ressources financières du Fonds national de l’éducation, Robert Berrouët-Oriol a pris soin de rappeler à Joseph Jouthe –qui a été vice-Président du Conseil d’administration du FNE–, que la Loi du 17 août 2017 dispose au Chapitre III, article 24, que les fonds collectés pour cette institution proviennent de sources diverses et variées, entre autres des dons des partenaires nationaux et internationaux, des emprunts que l’État peut contracter auprès d’institutions nationales et internationales, de taxes diverses (sur les bouteilles de boissons gazeuses, les cartes téléphoniques et les appareils électroniques, les taxes spéciales sur les produits et services, etc.). Toujours au Chapitre III mais à l’article 25, la Loi du 17 août 2017 dispose que « Les ressources financières du FNE proviennent également des redevances et droits constitués par : (a) le produit de la redevance prélevée sur chaque minute d’appel international entrant et sortant ; (b) le produit de la redevance prélevée sur chaque transfert de fonds internationaux ». L’article 25 énumère plusieurs autres sources de redevances.

L’argumentaire contenu dans le courriel que nous avons adressé le 14 septembre 2024 à Joseph Jouthe est amplement étayé dans le dispositif analytique du présent article. Une question de fond demeure cependant, qui doit impérativement être formulée et soumise à l’analyse : dans la conjoncture politique actuelle en Haïti, quel est l’objectif central poursuivi par Joseph Jouthe qui nous a aimablement informé, par courriel daté du 12 septembre 2024, avoir pris l’initiative de proposer nos récents articles sur la corruption au Fonds national de l’éducation à la lecture de ses correspondants dans ses réseaux habituels ? Première question corrélée : Joseph Jouthe serait-il un « repenti » désireux de se démarquer du secteur dominant du cartel politico-mafieux du PHTK auquel il appartient, à l’instar de Nesmy Manigat et de Patrick Boisvert, et auquel est lié le Premier ministre Gary Conille ? Deuxième question corrélée : Joseph Jouthe serait-il un « repenti » désireux de se démarquer de l’héritage encombrant de sa nomination au poste de Premier ministre par Jovenel Moïse, inculpé dans d’obscures affaires de corruption et de blanchiment d’argent ?

Pour mémoire, il y a lieu de rappeler que « Le président haïtien [a été] accusé de détournement de fonds ». Radio-Canada relate à ce sujet que « Le président haïtien Jovenel Moïse est accusé d’être au cœur d’un « stratagème de détournement de fonds » par la Cour supérieure des comptes qui a rendu (…) un rapport de plus de 600 pages sur la mauvaise gestion de l’aide reçue du Venezuela. Les juges ont découvert qu’en 2014, pour le même chantier de réhabilitation de route, l’État a signé deux contrats avec deux entreprises aux noms distincts, Agritrans et Betexs, mais qui partagent notamment le même matricule fiscal et le même personnel technique. Les deux entreprises ont réalisé distinctement les mêmes ouvrages aux mêmes dates », révèle le rapport de la Cour qui conclut qu’il s’agit « ni plus ni moins qu’un stratagème de détournement de fonds ». Avant son arrivée au pouvoir en 2017, Jovenel Moïse était à la tête de l’entreprise Agritrans, laquelle a reçu plus de 33 millions de gourdes (plus de 946 000 $ CA, au taux de l’époque) pour ce projet routier, alors que son activité consistait à de la production bananière (voir l’article « Le président haïtien [a été] accusé de détournement de fonds », Radio-Canada, 31 mai 2019). Jovenel Moïse a à maintes reprises réfuté ces accusations, il a menacé les juges et institutions responsables de son dossier et son inculpation juridiquement fondée n’a pas eu de suite…

Nous avons eu accès à un document de 68 pages intitulé « Rapports sur les finances de Jean-ClaudeDuvalier et Cie ». Il consigne les résultats de « L’enquête financière réalisée sur les avoirs et les activités financières de Monsieur Jovenel MOÏSE identifié au NIF 001-329-431-4 [qui] se déroule autour de la période allant du 5 mars 2007 au 31 mai 2013 ». Ce rapport daté du mois d’août 2016 porte la signature de Me Sonel Jean-François, Directeur général de l’UCREF, l’Unité centrale de renseignements financiers, un organisme national créé par la Loi du 21 février 2001 sur le blanchiment des avoirs provenant du trafic illicite de la drogue et d’autres infractions graves. La conclusion de ce document s’énonce comme suit : « (…) il est possible que Monsieur Jovenel Moïse manipule des fonds qui n’ont rien à voir avec ses entreprises. En attendant la réception d’autres documents, ce rapport partiel est transmis aux autorités compétentes pour les suites utiles, et ce, conformément à l’article 35 de la Loi du 1er novembre 2013 relative au blanchiment et au financement du terrorisme ». [Le souligné en italiques et gras est de RBO]

Ce document atteste que Joseph Jouthe a été nommé Premier ministre par Jovenel Moïse, un Président-inculpé par-devant la Justice et qui appartient comme lui au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste dont l’un des fondateurs est le caïd-en-chef Michel Martelly. Celui-ci a récemment été sanctionné par le gouvernement américain : « Les États-Unis ont décidé, mardi 20 août [2024], de sanctionner l’ancien président haïtien Michel Martelly. Dans son communiqué, le département du Trésor souligne le rôle prépondérant et déstabilisateur joué par celui qui a dirigé le pays des Caraïbes entre 2011 et 2016. Selon Washington, Michel Martelly aurait usé de son influence pour permettre notamment l’acheminement de cocaïne sur le sol américain et parrainé les gangs basés en Haïti » (voir l’article « Les États-Unis sanctionnent l’ex-président Michel Martelly pour « trafic de drogue », Radio France internationale, 21 août 2024). [Le souligné en italiques et gras est de RBO] Plusieurs observateurs ont noté que c’est la première fois que les États-Unis sanctionnent un haut gradé du PHTK –et cette donnée de premier plan n’a certainement pas échappé à l’ancien Premier ministre Joseph Jouthe « homme du sérail » et brillant « Sherpa » haut placé du… cartel politico-mafieux du PHTK…

Le site officiel du ministère des Affaires étrangères du Canada comprend un document intitulé « Le Canada impose des sanctions à des élites politiques haïtiennes » daté du 4 novembre 2022. L’annonce des sanctions canadiennes n’a certainement pas échappé à l’ancien Premier ministre Joseph Jouthe… Elle se lit comme suit : « La ministre des Affaires étrangères, l’honorable Mélanie Joly, a annoncé en coordination avec les États-Unis que le Canada impose des sanctions ciblées en vertu du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant Haïti en réponse à la conduite inacceptable d’élites politiques haïtiennes, qui apportent un soutien financier et opérationnel illicite à des gangs armés. Les sanctions visent deux personnes : le président du Sénat, Joseph Lambert, et l’ancien président du Sénat, Youri Latortue. Les nouvelles mesures imposeront une interdiction de transactions à ces personnes, ce qui aura pour effet de geler tout avoir qu’elles peuvent détenir au Canada. Le Canada a des raisons de croire que ces personnes utilisent leur statut d’ancien ou d’actuel titulaire d’une charge publique pour protéger et permettre les activités illégales de gangs criminels armés, notamment par le blanchiment d’argent et d’autres actes de corruption ». [Le souligné en italiques et gras est de RBO]

La corruption a-t-elle connu des jours fastes à la Primature lorsque Joseph Jouthe y a siégé comme Premier ministre ? L’on observe que la presse haïtienne a fait état de la « Lettre ouverte » adressée le 13 avril 2020 au Premier ministre Joseph Jouthe par « Ensemble contre la corruption » (ECC), un regroupement de neuf institutions haïtiennes des droits humains. Ce document a été formellement réceptionné le même jour à la Primature comme en fait foi le tampon portant le numéro 03953 de l’« Exercice 2019 – 2020 » de la Section « Réception du courrier ». Cette « Lettre ouverte » traite du « (…) contrat signé par l’État haïtien avec la firme Bowang Xu Xiao, par l’intermédiaire de la firme Preble-Rish Haiti ». Il est précisé que « (…) suite à la circulation sur les réseaux, de rumeurs relatives à ce contrat, un article du quotidien Le Nouvelliste daté du 30 mars 2020 confirme que, selon vos dires, le gouvernement que vous dirigez a placé une commande de dix-huit millions six-cent soixante-neuf mille cinq cents (18 669 500 $ US) dollars américains, pour l’achat, en Chine, de matériels sanitaires et hospitaliers dont des gants médicaux, des blouses stérilisées, des analyseurs automatiques de biochimie, des respirateurs, des lits d’hôpitaux, des masques, etc. Vous avez par la suite corroboré ces informations dans plusieurs stations de radio de la capitale. (…) selon les informations recueillies par ECC, ces mêmes matériels sont aussi l’objet de demandes adressées par différentes missions diplomatiques haïtiennes auprès des gouvernements étrangers. C’est pourquoi ECC s’est immédiatement penché sur la question. Les résultats des enquêtes menées par ECC confirment que celui-ci n’avait pas été soumis à l’appréciation de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA). Il s’agit d’une violation des articles 2.2.4 et 5.12 respectivement de l’Arrêté du 4 novembre 2006 (Moniteur, spécial no 10) et de la Loi du 12 mars 2014 portant sur la prévention et la répression de la corruption. ECC croit qu’il n’est pas superflu de souligner à votre attention que ce contrat constitue la première opération de corruption dans laquelle est impliqué le gouvernement que vous dirigez et par conséquent, le premier test de votre volonté à ne pas engager les ressources de l’État dans des actes de corruption, notamment dans un contexte menaçant de propagation du Coronavirus en Haïti. » Au moment de rédiger le présent article, nous n’avons pas eu connaissance que la « Lettre ouverte » adressée le 13 avril 2020 au Premier ministre Joseph Jouthe par « Ensemble contre la corruption » (ECC) aurait eu des suites administratives et politiques…

Revenons à la question de fond précédemment formulée : dans la conjoncture politique actuelle en Haïti, quel est l’objectif central poursuivi par Joseph Jouthe qui nous a aimablement informé, par courriel daté du 12 septembre 2024, avoir pris l’initiative de proposer nos récents articles sur la corruption au Fonds national de l’éducation à la lecture de ses correspondants dans ses réseaux habituels ?

L’analyse étayée jusqu’ici dans le présent article montre bien que l’ancien Premier ministre Joseph Jouthe poursuit des objectifs politiques explicites au moyen de son saint-Évangile œcuménique de la transparence politique. Ce saint-Évangile œcuménique de la transparence politique, qui fait le pari de l’amnésie historique, consiste à mettre en œuvre une stratégie politique de détournement du regard destinée à INVISIBILISER ET À « SILENCER » LA CORRUPTION DANS LE CORPS SOCIAL HAÏTIEN, Y COMPRIS AU FONDS NATIONAL DE L’ÉDUCATION où Joseph Jouthe a occupé le poste de vice-Président du Conseil d’administration. Il se positionne pour se (re)faire une « virginité » politique et crédibiliser la prochaine étape de son parcours d’ambitieux homme d’État : la conquête de la présidence, dans le droit fil de la très prochaine « chute » de Gary Conille…

Afin de se (re)faire une « virginité politique » et se positionner en vue de la conquête de la Présidence d’Haïti –vieux fantasme des politiciens depuis fort longtemps métastasé dans le corps social haïtien–, l’ancien Premier ministre Joseph Jouthe a instauré un dialogue tous azimuts avec des interlocuteurs d’horizons divers. Il entend faire oublier (« kase fèy kouvri sa ») les alertes émises dans la presse haïtienne qui l’a « indexé » au motif de ses présumés liens de « dialogue » avec les gangs armés en Haïti. Ainsi, le site Web RHInews, dans son édition du 19 octobre 2020, rapporte que « Joseph Jouthe nie être de connivence avec les gangs armés qui terrorisent la population haïtienne ». En voici un extrait : « Le premier ministre Joseph Jouthe prend ses distances avec les gangs armés qui terrorisent la population haïtienne. Il affirme que le chef de l’État Jovenel Moïse et lui-même n’entretiennent aucun rapport avec les malfrats qui sont accusés d’implication dans toutes sortes d’exaction sur les citoyens particulièrement dans la région métropolitaine et dans certaines villes de province. Selon lui, c’est le produit de l’imagination de beaucoup de gens qui associent le pouvoir en place avec les bandits armés qui endeuillent les familles haïtiennes. Joseph Jouthe a tenu ces propos ce lundi 19 octobre lors d’une visite de solidarité à son ministre du commerce, Jonas Coffy. Cependant, le 15 avril 2020, Joseph Jouthe avait fait des aveux publics qui ne laissaient aucun planer aucun doute sur les relations privilégiées qu’il entretenait avec les bandes criminelles. « Oui je parle avec les gangs de la 3ème circonscription de Port-au-Prince », avait confessé le chef du gouvernement lors d’un point de tenu en sa résidence officielle à Musseau. « J’ai parlé au téléphone avec Izo, 5 Seconds et Amos », les principaux chefs de gang de village de Dieu, avait admis le chef du gouvernement et également chef du Conseil supérieur de la police nationale (CSPN). Joseph Jouthe, le premier des policiers, avait d’ailleurs informé que les communications se poursuivraient avec ces derniers jusqu’à ce qu’ils rendent leurs armes. Il s’était fièrement donné la mission de communiquer avec eux sur base quotidienne pour tenter de les convaincre à déposer les armes. Six mois après, les gangs se sont fédérés et prolifèrent à travers la République, deviennent plus arrogants, multiplient les attaques contre les populations non armées de certains quartiers défavorisées et n’ont toujours pas déposé les armes. Joseph Jouthe impute la multiplication des gangs qui occupent des zones entières et imposent leurs lois à une absence de l’État. » [Le souligné en italiques et gras est de RBO]

Alors, « apre nou se nou » ?

Montréal, le 25 septembre 2024