— Par le Regroupement des Haïtiens de Montréal contre l’Occupation d’Haïti (REHMONCO) —
Nous dénonçons et condamnons avec véhémence une fois de plus les attaques répétées des gangs armés contre les habitants des quartiers de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince et de plusieurs communes du département de l’Artibonite1. Ces raids et massacres ont déjà fait plus d’un millier de morts au cours du premier semestre de l’année 20232.
Depuis le début du mois d’aout de cette année, le quartier populaire de Carrefour-Feuille est de nouveau la cible des attaques continues des malfrats du gang Gran Ravin. Au moment où nous écrivons cette note, ces attaques s’intensifient avec une extrême violence. Il n’est pas possible d’établir un bilan exhaustif mais les survivants et survivantes ont fait état de plusieurs blessés et de morts. De surcroit, plusieurs milliers de personnes sont obligées d’abandonner leur maison pour éviter de tomber sous les balles des bandits. Tous ces crimes crapuleux sont commis dans la plus grande indifférence de la police nationale et du gouvernement de facto d’Ariel Henri.
Livrés à eux-mêmes, les résidents de Carrefour–feuilles ont investi massivement les rues de la capitale, Port-au-Prince, le lundi 14 aout 2023 pour exiger une intervention des autorités de l’État pour assurer la sécurité du quartier3. Au lieu de répondre promptement à la revendication combien légitime des victimes, la police nationale d’Haïti (PNH) et le gouvernement ont procédé à une répression brutale des manifestants et des manifestantes4. En effet, ces derniers ont été bombardés de gaz lacrymogènes toxiques par des unités spécialisées de la police. Cela témoigne de façon évidente que ce gouvernement, largement soutenu par les États-Unis, le Canada et le secrétariat de l’ONU, ne reconnait pas le droit des Haïtiens et des Haïtiennes à revendiquer même leur droit à la vie et à la sécurité.
Il est donc évident que cette répression s’inscrit dans le cadre de la politique du gouvernement de facto d’écraser toutes formes de revendications venant du peuple, même s’il s’agit de revendications de base comme le droit à la vie et à la sécurité. Il ne s’agit donc pas d’une erreur ou d’un dérapage de la part des autorités, car le gouvernement a déjà signifié sans ambages sa volonté de nier tout droit de la population haïtienne à la protection lorsque les policiers ont ouvert le feu le mardi 25 juillet 2023 sur les réfugiés du quartier de Tabarre à proximité de l’ambassade américaine5. Après qu’elles se sont échappées de justesse aux raids du Gang « Kraze Baryè » dirigé par le sanguinaire Viethomme Innocent le 23 juillet 2023, plusieurs centaines de personnes ont pris refuge devant les locaux de l’ambassade américaine à Tabarre. Pendant qu’ils se trouvaient là-bas et dépouillés de tout, ces femmes, hommes, enfants et vieillards ont fait appel aux autorités afin d’assurer la sécurité de leur quartier.
Paradoxalement, le gouvernement ne s’en prenait pas aux malfrats qui ont attaqué leur quartier; au contraire, il a fait preuve d’une grande efficacité à réprimer les réfugiés à coup de matraques et de gaz lacrymogènes toxiques. Les agents de la police nationale ont utilisé de gros moyens pour chasser les réfugiés dans les parages de l’ambassade avant de retourner à leurs bases respectives. Pour le gouvernement de facto, ces habitants comme ceux de Carrefour-feuilles n’ont pas droit à la sécurité et la protection.
D’après le gouvernement de facto d’Ariel Henry, les attaques récurrentes des gangs armés contre les habitants des principaux quartiers de l’aire métropolitaine ne constituent pas un enjeu de sécurité publique qui nécessite une réponse robuste de la part de l’État. Au contraire, la population est coincée entre deux feux : d’un côté les gangs l’assassine, la viole et détruit ses biens; de l’autre, le gouvernement interdit et réprime les revendications de sécurité des victimes des bandits armés. Les rescapés de la violence des gangs n’ont pas même le droit de chercher refuge.
Soulignons que cette double violence se renforce dans un contexte où, avec la complicité des États-Unis, le Canada et la France, le gouvernement haïtien cherche à tout prix une nouvelle occupation militaire du pays. Pour se maintenir au pouvoir, le gouvernement de facto a, sans la moindre hésitation, sollicité auprès du Conseil de sécurité de l’ONU une intervention des forces étrangères le 7 octobre 20226. Malgré le refus massif de toutes formes d’interventions militaires étrangères exprimé par les classes populaires et la majorité des secteurs organisés du pays, une importante offensive diplomatique se déploie actuellement en vue de légitimer une nouvelle occupation militaire. Les États-Unis, le Canada et le Secrétaire général de l’ONU sont au premier plan, à côté du premier ministre de facto Ariel Henri dans cette démarche.
Parallèlement, certains chefs de gangs fonctionnent comme des agents de l’État. À titre d’exemple, l’Organisme des droits humains RNDDH a révélé que « depuis le 15 janvier 2023, Vitelhomme INNOCENT – présenté par plus d’un comme le protégé de Frantz ELBE et de certains autres haut-gradés de la PNH – circule dans un cortège composé entre autres de deux (2) véhicules portant respectivement des plaques d’immatriculation Service de l’État et Officiel et d’un véhicule de l’institution policière de marque Toyota Pick-up double cabine immatriculé 1-01191 clairement identifié comme appartenant à la PNH7 ».
Étrange paradoxe : le gouvernement assure la protection des gangs pendant qu’il sollicite le déploiement des forces étrangères sur son sol pour les combattre. En dehors des campagnes de communication sur les réseaux sociaux, les forces de police haïtienne ne mènent pas véritablement des opérations contre les malfrats qui sèment la terreur dans les principaux quartiers de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince et les communes de l’Artibonite. Au contraire, leurs interventions se font contre la population civile souvent victime des raids des gangs.
La complicité des autorités étatiques dans le maintien des gangs ne se limite pas aux hauts gradés de l’institution policière puisqu’au sein du gouvernement des ministres et membres de leur cabinet sont souvent cités dans l’approvisionnement ou le financement des gangs depuis plusieurs années8. C’est le cas par exemple de la libération des membres de gangs 400 Mawozo par certains membres du cabinet du premier ministre en mars 20229.
Par ailleurs, l’essentiel des munitions et des armes des gangs viennent des États-Unis. Ces données ont été de nouveau confirmées dans un rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) en mars 2023 alors qu’un an auparavant, les autorités fédérales et de l’État de Floride s’engageaient à bloquer le commerce des armes létales vers Haïti10. Ces acteurs jouent un double jeu : ils facilitent la prolifération des armes et munitions à destination des gangs, et en même temps ils font la promotion pour une intervention militaire en Haïti en vue de combattre l’insécurité.
De plus, n’oublions pas que la dernière intervention militaire étrangère en Haïti, celle sous l’égide de la MINUSTAH, a apporté dans le pays le choléra dont le bilan connu est de plus de dix mille morts et près de cent mille personnes infectées. Une nouvelle intervention militaire cautionnée par l’ONU ne risque-t-elle pas d’introduire dans notre pays de nouvelles maladies comme le virus d’Ébola par exemple, connu pour sa virulence et sa morbidité en Afrique centrale? Le gouvernement de facto et l’impérialisme sont-ils prêts à prendre n’importe quel risque aussi désastreux soit-il pourvu qu’ils gardent le pouvoir et garantissent leurs intérêts ?
Pour nous, une nouvelle occupation militaire du pays s’inscrit dans une logique précise, celle de perpétuer le statu quo et la domination du peuple haïtien. L’insécurité est une fabrication du gouvernement et de certaines fractions de la bourgeoisie haïtienne. Comme ces acteurs n’ont jamais envisagé le bien être des classes populaires haïtiennes, il s’avère nécessaire et urgent aujourd’hui de se mobiliser et de se doter d’un leadership collectif puissant pour faire échec à leur projet.
Pour authentification,
Renel Exentus,
Frank W. Joseph
Montréal, le 17 août 2023
Contact: rehmoncohaiti1915@gmail.com
1Pour plus de détails, consulter les liens suivants : https://www.dw.com/en/haiti-un-says-gang-violence-has-killed-hundreds-in-2023/a-65073970
https://www.gazettehaiti.com/node/9853
https://www.alterpresse.org/spip.php?article29172
https://www.haitilibre.com/docs/Rapport-FJKL-Situation-terreur-en-Haiti-avril-2023.pdf
2Ibid.
3Pour plus de détails, voir https://www.alterpresse.org/spip.php?article29563
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2001953/haiti-milliers-manifestants-protection-gangs
4L’État haïtien empêche aux victimes de violence de revendiquer leur doit à la sécurité et à la protection. Pour approfondir, voir le lien suivant : https://rezonodwes.com/?p=317640
5Pour plus de détails, voir les liens : https://haitiprogres.com/news/2023/08/02/le-rnddh-consterne-et-attriste-apres-la-chasse-policiere-contre-les-refugies/
https://www.alterpresse.org/spip.php?article29496
6Pour plus de détails sur la demande d’occupation militaire du premier ministre de facto Ariel Henry, voir le lien suivant : https://www.alterpresse.org/spip.php?article28687
7Pour avoir plus de précision, voir le rapport du 26 juillet de RNDDH : https://web.rnddh.org/wp-content/uploads/2023/07/6-CP-Chasse-Refugies-de-Tabarre-26Juil2023.FR_.pdf
8Depuis le gouvernement de Jovenel Moise, plusieurs hauts cadres de l’État sont systématiquement accusés dans l’armement et l’entretien des gangs. Cette pratique se poursuit voire se renforce pendant l’administration illégale et illégitime d’Ariel Henry. Pour plus de précision, voir les liens suivants : https://rezonodwes.com/?p=284465
https://www.alterpresse.org/spip.php?article28106
https://web.rnddh.org/le-regne-du-premier-ministre-ariel-henry-ou-la-fureur-des-gangs-armes/
9Ibid.
10Pour consulter le rapport, voir le lien suivant : https://news.un.org/fr/story/2023/03/1132912