Haïti : corruption généralisée au Fonds National de l’Education

— Par Robert Berrouët-Oriol(*) —

« En Haïti, la corruption généralisée au Fonds national de l’éducation met encore en péril la scolarisation de 3 millions d’écoliers »

Professeure de créole et de littérature dans un lycée de Port-au-Prince, Marlène P-L. ne décolère pas. Depuis plusieurs mois elle ne perçoit plus le maigre salaire que le ministère de l’Éducation nationale verse de manière erratique aux 17 000 enseignants du secteur public détenteurs d’une lettre de nomination (de sources concordantes l’on estime à 88 000 le nombre total d’enseignants en poste dans les secteurs privé et public du système éducatif national). Le salaire brut versé aux enseignants du secteur public s’élève à 23 000 Gourdes par mois ; après prélèvement des taxes il est de l’ordre de 18 000 Gourdes… Dans le but de dénoncer à visière levée la précarité de leur situation professionnelle et financière, les enseignants du secteur public ont entrepris récemment à l’échelle nationale une courte grève pour réclamer une fois de plus le paiement des arriérés de salaire et exiger une significative augmentation de leur rémunération –« fòk Leta ayisyen respekte diyite ak konpetans pwofesè yo » a vivement exposé Marlène P-L. lors d’une conversation téléphonique via WhatsApp que nous avons eue avec elle. Il est utile de préciser que ces arriérés de salaires, qui affectent également la scolarisation des élèves, étaient d’un montant de 4 milliards de gourdes en 2016 selon les déclarations du ministre sortant de l’Éducation nationale Nesmy Manigat au nouveau ministre Jean Beauvois Dorsome (voir Le Nouvelliste du 7 avril 2016). Étant donné la croissance négative du PIB (produit intérieur brut) depuis six ans, il est logique et vraisemblable de poser que les arriérés de salaires ont doublé ou triplé chaque année. Le fait que la croissance soit négative chaque année depuis six ans a donc pour effet direct que les arriérés de salaires des enseignants se sont multipliés par deux ou trois, aggravant ainsi la précarité financière dans laquelle se trouvent les enseignants haïtiens.

Marlène P-L. est également furieuse, dit-elle, contre les « intellectuels serviles », les éternels paka pala du PHTK qu’elle qualifie de « criminels à cravate » car ils ont amplement démantibulé le système éducatif haïtien ces douze dernières années par l’accroissement des inégalités dans l’accès à la scolarisation, la fermeture de nombreuses écoles et le renforcement de la précarité de la condition enseignante dans un pays, Haïti, où l’éducation est une obligation de l’État et des collectivités territoriales (article 32 de la Constitution de 1987). L’enseignante de carrière pointe du doigt le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste qui a institué et modélisé un lucratif système de corruption et de népotisme au ministère de l’Éducation nationale : une industrie de la corruption à grande échelle, affirme-t-elle, au sein de laquelle les barons mafieux du PHTK ont joué un rôle de premier plan. L’enseignante de carrière Marlène P-L. se demande si l’Unité de lutte contre la corruption (l’ULCC) et la Cour supérieure des comptes parviendront à soumettre un jour prochain au ministère de la Justice le dossier de mise en accusation des barons mafieux du PHTK du secteur de l’éducation en Haïti… C’est le lieu de rappeler que le PHTK fait obstacle, depuis 2011, aux recommandations de poursuites judiciaires élaborées par l’ULCC pour des motifs avérés de corruption contre les barons mafieux du PHTK. Ainsi, « L’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) a remis à la justice 7 rapports d’enquêtes finalisés mettant en évidence des infractions bien identifiées et rigoureusement documentées pour détournement de biens publics, enrichissement illicite, blanchiment du produit du crime, concussion, abus de fonction, délit d’initié et prise illégale d’intérêt, précise Hans Jacques Ludwig Joseph, Directeur Général de l’ULCC. Les pertes de l’État totalisent plus de 614 millions de Gourdes. (…) ces 7 rapports portent à 94 le nombre total de dossiers transmis par l’ULCC à la justice depuis 2004, pour une seule condamnation » (voir l’article « Haïti – Justice : L’ULCC remet 7 rapports représentant 614 millions de Gourdes de perte pour l’État », Haïti libre, 4 septembre 2024).

L’enseignante de carrière Marlène P-L. ne décolère donc pas. Elle voit défiler dans les médias les éternels paka pala, les mêmes « criminels à cravate », les invariables barons mafieux du PHTK connus pour avoir été les instigateurs et les bénéficiaires directs de la formidable industrie de la corruption à grande échelle du secteur de l’éducation. Elle voit se pavaner en toute impunité, dans les rues nauséabondes de Port-au-Prince, les Joseph Jouthe, Nesmy Manigat, Claude Joseph, tous anciens gestionnaires ayant assuré la direction administrative, politique et financière du PSUGO et du Fonds national de l’éducation. L’enseignante de carrière Marlène P-L., à l’instar de ses collègues oeuvrant aujourd’hui en Haïti, observe que le PSUGO et le Fonds national de l’éducation (FNE) –publiquement dénoncés par les enseignants et leurs associations, par les directeurs d’écoles et par plusieurs instances de la société civile haïtienne–, constituent aujourd’hui encore les deux plus grands scandales de corruption de l’histoire récente de l’éducation en Haïti

Le présent article actualise un fait avéré et amplement connu des enseignants : en modélisant une véritable industrie de la corruption dans le secteur de l’éducation, le Fonds national de l’éducation (FNE) créé en 2011 et dirigé depuis lors par le PHTK néo-duvaliériste continue de mettre en péril la scolarisation de plus de 3 millions d’écoliers haïtiens. Avec la complicité de certains organes de la presse locale, entre autres radio Magik9, le FNE a récemment lancé une « campagne de crédibilité » grand public dans le but de faire diversion, de détourner l’attention du public, des directeurs d’écoles et des associations d’enseignants à la suite de la perquisition effectuée le 4 juin 2024 dans ses locaux par l’Unité de lutte contre la corruptionl’ULCC (voir l’article « En Haïti le Fonds national de l’éducation, haut-lieu de la corruption, tente de s’acheter une impunité « à vie » à Radio Magik9 », par Robert Berrouët-Oriol, site Haïti Inter, Paris, 7 janvier 2025). L’Unité de lutte contre la corruption, qui avait auparavant reçu plusieurs plaintes, est en train de parachever le dossier des malversations et du népotisme qui ont cours au FNE depuis sa création et qui ont été couverts par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste et sa « vedette médiatique », l’ex-ministre de l’Éducation nationale Nesmy Manigat, ainsi que par l’ancien Premier ministre PHTKiste Joseph Jouthe. L’on observe que Jean Ronald Joseph, l’actuel Directeur PHTKiste du Fonds national de l’éducation, aura certainement à répondre par-devant la Justice haïtienne des nombreuses malversations financières commises en toute impunité dans son fief : il devra entre autres expliquer pourquoi son « expertise » présumée de gestionnaire « hors pair » coûte à l’État haïtien la rondelette somme de… 650 000 Gourdes par mois. LE FARAMINEUX SALAIRE MENSUEL de Jean Ronald Joseph, de l’ordre de 650 000 Gourdes, EST INVISIBILISÉ puisqu’il n’apparaît dans aucun audit financier du Fonds national de l’éducation : cette institution nationale, de 2017 à 2024, n’a publié aucun audit comptable relatif aux sommes qu’elle a perçues et dépensées (voir l’article « La corruption au FNE en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024 » par Robert Berrouët-Oriol, Rezonòdwès, 22 juin 2024). Jean Ronald Joseph, répondant à l’« ordre de mission » émis par le PHTK néo-duvaliériste, essaie de court-circuiter l’action intentée récemment par le nouveau ministre de l’Éducation nationale Augustin Antoine qui a formellement demandé à la Cour supérieure des comptes d’effectuer avec célérité un audit administratif et financier des 9 organismes placés selon la loi sous la tutelle du ministère de l’Éducation. Le Fonds national de l’éducation est l’un de ces organismes et Jean Ronald Joseph, qui n’a publié aucun rapport d’audit administratif et financier depuis que le PHTK l’a placé en décembre 2021 à la direction du FNE, se livre à une pavlovienne campagne de propagande, croyant pouvoir ainsi échapper au diagnostic à venir de la Cour supérieure des comptes et se mettre en toute impunité à l’abri de la Justice (voir l’article « La corruption dans le système éducatif national d’Haïti / Le ministre Augustin Antoine dépose une demande d’audit financier et administratif à la CSCCA » par Robert Berrouët-Oriol, Madinin’Art, 16 octobre 2024). Au chapitre de l’impunité, il y a lieu de préciser que les deux « stratèges en invisibilisation de la corruption » du PHTK néo-macoute, Joseph Jouthe et Nesmy Manigat, n’ont pas obtenu l’obligatoire « décharge », de la Cour supérieure des comptes, de leurs responsabilités régaliennes aux postes respectifs de Premier ministre et de ministre de l’Éducation. En conséquence, toutes les actions qu’ils ont posées durant leurs mandatures sont réputées être inconstitutionnelles et illégales… Cette lecture constitutionnelle des actions menées par les différents Exécutifs haïtiens depuis 2015 –date à laquelle le Parlement haïtien a été mis hors-circuit par le cartel du PHTK néo-duvaliériste–, est partagée par les différents juristes que nous avons interrogés ces derniers mois : Haïti vit depuis 2015 sous un « régime d’exception » dans lequel la Constitution de 1987 est systématiquement violée et reléguée dans l’espace desinstitutionnalisé d’une parodie de l’État de droit (voir l’article « Haïti : une démocratie sans élections ni institutions ? », par Nicolás Pedro Falomir Lockhart, Centre d’études interaméricaines / Institut québécois des hautes études internationales / Université Laval et Observatoire des Amériques, Université du Québec à Montréal, février 2015). NOTE En ce qui a trait AU RÔLE DE JOSEPH JOUTHE DANS LE MÉCANISME POLITICO-ADMINISTRATIF D’INVISIBILISATION DE LA CORRUPTION DANS LE SYSTÈME ÉDUCATIF NATIONAL, voir l’article « Haïti : la corruption au Fonds national de l’éducation : ce que nous enseigne le saint-Évangile de la transparence politique de Joseph Jouthe, ex-Premier ministre d’Haïti » par Robert Berrouët-Oriol, Madinin’Art, 26 septembre 2024). De surcroît, AU CREUX DU MÉCANISME POLITICO-ADMINISTRATIF D’INVISIBILISATION DE LA CORRUPTION DANS LE SYSTÈME ÉDUCATIF NATIONAL, Joseph Jouthe, Nesmy Manigat et Jean Ronald Joseph devront rendre compte par-devant la Justice haïtienne de la pléthore népotique du « Bureau » et du « Cabinet » du Directeur du FNE, Jean Ronald Joseph. Cette pléthore népotique coûte à l’État haïtien 80 800 000 Gourdes/an (606 015 $US/an) en frais administratifs (cette donnée figure plus bas dans le tableau 1).

TABLEAU 1 – Total des sommes investies dans les « Axes d’intervention majeurs » du Fonds national de l’éducation selon les déclarations de son directeur général (2019-2024) + Ventilation des frais administratifs annuels

5 ANS (2019-2024)

GOURDES

DOLLAR US

MOY/ 5 ANS

GDES

$

$ US

PROGRAMME SPÉCIAL DE GRATUITÉ DE L’ÉDUCATION

3 147 598 122

23 607 576

4 721 515

RÉNOVATION DES INFRASTRUCTURES

2 775 914 120

20 819 876

4 163 975

MOBILIERS SCOLAIRES

525 715 000

3 942 961

788 592

CANTINE SCOLAIRE

255 666 422

1 917 546

383 509

UNIVERSITÉS/ RECH.

30 000 000

225 006

45 001

UNIV./BOURSES (1500)

285 500 000 sur 5 ans

2 141 304

428 261

SUBVENTIONS (229)

133 157 717

998 708

199 742

TOTAL

7 153 551 381

652 977

730 595

PAR BOURSE (1500 bo.)

190 333

1 428

286 *

PAR ÉTUDIANT (229 ét.)

581 475

4 361

872 *

Taux de conversion : 133 GDES/ 1 $ US. || L’astérisque * renvoie à une moyenne annuelle.

FRAIS ADMINISTRATIFS ANNUELS

SALAIRE DU DG

7 800 000

58 501

BUREAU (7 pers.)

24 000 000

180 005

CABINET (17 pers.)

49 000 000

367 509

TOTAL

80 800 000

606 015

Source 1 : Déclaration du directeur général du FNE, point de presse du 31 janvier 2024, site officiel du Fonds national de l’éducation ; Source 2 : Hebdo 24, 1er avril 2024.

En dépit du puissant MÉCANISME POLITICO-ADMINISTRATIF D’INVISIBILISATION DE LA CORRUPTION DANS LE SYSTÈME ÉDUCATIF NATIONAL, est-il possible de savoir avec exactitude, en février 2024, à combien s’élèvent toutes les sommes perçues –depuis sa création informelle en 2011 et depuis sa légalisation en 2017–, par le Fonds national de l’éducation et prétendument destinées à « financer » l’éducation en Haïti ?

La réponse à cette question de fond relève du parcours du combattant…

En effet il faut prendre toute la mesure que le site officiel du Fonds national de l’éducation ne comprend aucun document d’information financière couvrant la période de 2017 à 2024. Il ne fournit aucun document officiel relatif (1) au total des sommes prélevées chaque année sur les appels téléphoniques entrants ; (2) au total des sommes prélevées chaque année sur les transferts d’argent vers Haïti pour la période allant de 2017 à 2024 ; (3) aux états financiers du Fonds national de l’éducation pour la période allant de 2017 à 2024, et (4) aux audits comptables qui auraient éventuellement été réalisés par la Cour supérieure des comptes ou par une firme externe pour la période allant de 2017 à 2024.

Malgré ce qui semble relever aujourd’hui encore d’une vieille tradition de l’Administration publique haïtienne de ne pas communiquer de documents administratifs même lorsqu’ils sont d’intérêt public, nous avons eu accès à un document de deux pages ayant pour titre : « Banque de la République d’Haïti. Direction financière – Service contrôle financierRapport mensuel des frais perçus sur les transferts privés internationaux versés au compte du Trésor publicÉtabli du 28 juillet 2011 au 12 septembre 2018 ». Ce document est intéressant à plusieurs titres : il fournit des chiffres précis sur le total des sommes perçues par la Banque de la République d’Haïti pour le compte du Fonds national de l’éducation de 2011 à 2016 et de 2017 à 2018. Le FNE ne dispose d’une existence légale que depuis 2017, avec l’adoption de la Loi du 17 août 2017 : entre 2011 et 2016 le Fonds national de l’éducation fonctionnait dans l’informel au sens où il ne disposait pas encore du statut légal d’une institution d’État. Cela a porté plusieurs institutions à le classer déjà, en 2011, parmi les instances opaques de l’Administration publique haïtienne qui amassent illégalement des sommes d’argent au montant indéterminé et qui ne sont pas consignées dans le Budget national, ce qui les soustrait au contrôle du Parlement. Avec l’adoption de la Loi du 17 août 2017, le Fonds national de l’éducation possède un cadre légal de fonctionnement, un conseil d’administration, un personnel administratif et des règlements internes, des objectifs, des droits et des obligations. Le précédent tableau 1 et le suivant, le tableau 2, fournissent une éclairante indication du total des sommes perçues sur les transferts privés internationaux par le CONATEL pour la Banque de la République d’Haïti entre 2011 et 2016 et de 2017 à 2018 qui les dirige par la suite vers le Trésor public. Les tableaux 1 et 2 ne prennent pas en compte les sommes prélevées sur les appels téléphoniques en provenance de l’étranger car la recherche documentaire que nous avons menée pour rédiger le présent article ne nous a pas permis d’avoir accès à des documents décrivant les opérations de retenue sur les appels téléphoniques.

Selon un récent avis de l’économiste Etzer Émile, les frais de 1.50$ prélevés sur les transferts privés internationaux entre 2011 et 2024 ont totalisé plus de 310 millions de dollars américains. 98% de ces fonds soit plus de 306 millions de dollars ont été versés sur le compte du Trésor public selon un dernier rapport publié par la BRH. Auteur du livre

« Haïti a choisi de devenir un pays pauvre. Les vingt raisons qui le prouvent » (s.l.é., 2017), Etzer Émile anime des séminaires de vulgarisation économique ainsi que des conférences sur l’éducation citoyenne.

Dans un article paru le 1er décembre 2021 sur le site Tripfoumi.info, « Où sont passés les $1.50 sur les transferts, destinés au FNE ? », il est précisé que l’économiste Etzer Émile « (…) a pu décrypter la dilapidation qui se fait du Fonds national de l’éducation (FNE) provenant essentiellement des transferts entrants et sortants d’Haïti dont la taxe est fixée à $ 1.5 chacun. Établi depuis 2011, après les dix ans du pouvoir PHTK, personne ne sait où sont investies ces centaines de millions de dollars US. La décision de prélever 1.5 dollar sur tous les transferts qui proviennent de l’étranger et sortant d’Haïti a été prise le 20 mai 2011, seulement 6 jours après la prise du pouvoir de Michel Joseph Martelly comme président d’Haïti, le 14 mai 2011, d’après le professeur et économiste Etzer Émile. Cette mesure était illégale puisqu’elle ne faisait pas l’objet d’une loi ratifiée par le parlement à cette époque. Il [a fallu] attendre 2017 pour que cette disposition ait une couverture légale après avoir été votée [par] le Sénat, même si elle avait déjà été votée par la Chambre basse en 2012, toujours d’après l’auteur du livre « Haïti a choisi de devenir un pays pauvre », Etzer Émile. En ce sens, il est clair que le gouvernement a rassemblé cette taxe pendant 6 ans en dehors de la loi. La République n’a aucun détail sur la façon dont elle a été utilisée. Juste après sa ratification par le Sénat en 2017, la Cour supérieure des comptes est montée au créneau pour révéler des doutes de gestion liés à ce fonds d’après un rapport de la Banque de République d’Haïti (BRH) datant de septembre 2018, sept ans après l’application de cette mesure illégale. Le mois d’avril de cette même année, l’un des mois les plus rentables, il y avait environ un million neuf cent quatre-vingt-huit (1 988 000) transferts dont 1,50 a été prélevé sur chaque appel, ce qui avait donné approximativement un montant de deux millions huit cent soixante-douze milles (2 872 000) dollars US pour seulement un mois, d’après le calcul de M. Émile. En effet, toujours selon le rapport de la BRH, cent vingt millions cent trente mille sept cent quarante-cinq (120 130 745) dollars US ont été déjà collectés pour les sept ans de 2011 à 2018. Il faut noter que le rapport de la BRH en 2018 est le seul document rendu public qui permet de se faire une idée de la valeur de ce fonds. En effet, Etzer Émile, étant un curieux, a pu découvrir que, en moyenne 1 600 000 (un million six cent mille) transferts ont [été] effectués par mois d’après le rapport de 2018 de la BRH. Alors en 2021, après 3 ans, équivalant à 36 mois, quatre-vingt-six millions quatre cent mille (86 400 000) dollars US ont été comptabilisés, selon le bilan effectué par Etzer Émile ».

Néanmoins plusieurs observateurs, en Haïti, estiment sous-évalué le total de 310 millions de dollars américains avancé par Etzer Émile et qui a été amassé pour le compte du Fonds national de l’éducation de 2011 à 2024 : ils avancent un total de plus de 600 millions de dollars sans toutefois être en mesure de « documenter » leurs affirmations…

TABLEAU 2 – Fonds national de l’éducation / Banque de la République d’Haïti : frais perçus sur les transferts privés internationaux / 2011-2018

NOMBRE DE TRANSFERTS

FRAIS PERÇUS de 1,50 $ en milliers de dollars US

juillet 2011-juin 2012

7 431

11 146

juillet 2012-juin 2013

8 313

12 469

juillet 2013-juin 2014

8 745

13 117

juillet 2014-juin 2015

10 927

16 392

juillet 2015-juin 2016

12 198

18 297

juillet 2016-juin 2017

13 451

20 176

juillet 2017-juin 2018

16 062

24 093

TOTAL

77 127

115 690

Source : Banque de la République d’Haïti. Direction financière – Service contrôle financier. Rapport mensuel des frais perçus sur les transferts privés internationaux versés au compte du Trésor public. Établi du 28 juillet 2011 au 12 septembre 2018.

Commentaire analytique – Le tableau 1 fournit un éclairage fort instructif sur le total des sommes investies dans les « Axes d’intervention majeurs » du Fonds national de l’éducation selon les déclarations de son Directeur général. Ces données déclaratives exposées par le directeur général du FNÉ, durant son point de presse le 31 janvier 2024, n’étaient pas accompagnées du moindre document officiel attestant leur véracité : ce constat est de première importance car toutes les recherches documentaires que nous avons menées, y compris sur le site officiel du Fonds national de l’éducation, n’ont pas permis de retracer les états financiers et encore moins les rapports d’audit comptable du FNE. Comme nous le verrons plus loin dans le déroulé de cet article en examinant la « chaîne de camouflage » à l’œuvre au FNE, nous sommes en présence d’un système de gestion financière opaque qui n’offre pas les instruments de compréhension des dépenses publiques qu’un organisme public prétend avoir effectuées pour remplir la mission de service public que lui confère la Loi du 17 août 2017. Les déclarations du directeur général du Fonds national de l’éducation ne permettent pas non plus de savoir, en référence à des documents officiels consultables, si l’institution a effectivement rempli sa mission, si les sommes injectées dans des programmes et des activités ont été dépensées avec rigueur, ou encore si des instances indépendantes ont émis des rapports de conformité à propos de telle ou telle réalisation. Par exemple, le Directeur général du Fonds national de l’éducation a déclaré que son institution aurait investi la monumentale somme de 2 775 914 120 Gourdes sur 5 ans –soit 20 819 876 $ US— dans la rénovation des infrastructures scolaires. Il aurait été utile de fournir des documents énumérant le nombre d’infrastructures scolaires rénovées, leur localisation géographique, le nombre d’élèves ayant bénéficié de ces rénovations ainsi que les rapports techniques émis par des firmes d’ingénierie attestant le respect de la conformité aux normes sismiques. Il aurait également été utile de savoir si un appel d’offres a été émis en vue du choix des firmes ayant réalisé la rénovation des infrastructures scolaires ainsi que les qualifications de ces firmes. Il aurait tout autant été utile de savoir si l’attribution des contrats à ces firmes a été effectuée de gré à gré, ce qui habituellement ouvre la porte au favoritisme et à diverses formes de malversation. Il en est de même des sommes injectées dans les cantines scolaires : combien d’élèves ce programme que l’on dit d’envergure nationale a-t-il permis de rejoindre ? A-t-il donné la priorité aux produits locaux de proximité et permis l’embauche d’une main-d’œuvre locale ? Et sur quels critères le FNE s’est-il basé pour attribuer 1 500 bourses scolaires de l’ordre de 286 $ en moyenne annualisée sur 5 ans (190 333 Gourdes 1 428 $ US) ? Dans un pays qui compte environ 3 millions d’enfants en cours de scolarisation, comment expliquer que le FNE n’ait accordé que 286 $ en moyenne annualisée pour 1 500 bourses scolaires au modeste montant de 190 333 Gourdes (1 428 $ US) ? En référence au scandale des détournements de fonds au PSUGO –programme lui aussi créé par le PHTK néoduvaliériste mais dénoncé par les enseignants et vilipendé dans un premier temps par l’ex-ministre de facto de l’Éducation nationale Nesmy Manigat qui, dans un second temps, l’a reconduit dès son retour à la direction du ministère de l’Éducation nationale en novembre 2022–, quelles sont les données vérifiables relatives à ces 1 500 bourses scolaires ? S’agit-il de bourses scolaires zonbi, comme il y a eu en quantité industrielle au PSUGO, s’agit-il d’écoles zonbi, de directeurs d’écoles zonbi, de professeurs zonbi et des chèques zonbi ? (NOTE – Sur la vaste entreprise de détournement de fonds qu’est le PSUGO, voir notre article « Le système éducatif à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO », journal Le National, Port-au-Prince, 24 mars 2022 ; voir également les articles « Le Psugo, une menace à l’enseignement en Haïti ? (parties I, II et III) – Un processus d’affaiblissement du système éducatif », Ayiti kale je (Akj), AlterPresse, 16 juillet 2014. Voir aussi sur le même site, « Le PSUGO, une catastrophe programmée » (parties I à IV), 4 août 2016. Voir enfin l’article fort bien documenté « Le Psugo, une des plus grandes arnaques de l’histoire de l’éducation en Haïti », par Charles Tardieu, Port-au-Prince, 30 juin 2016). Dans notre article du 24 mars 2022 publié en Haïti par le journal Le National, Le système éducatif à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO, nous avons mentionné les liens qui existent entre le PSUGO et le Fonds national de l’éducation comme suit : « Selon un rapport du ministère de l’Éducation acheminé le 22 décembre 2014 au journal Le Nouvelliste et qui présente, semble-t-il, « le bilan annuel des deux (…) exercices 2011-2012 et 2012-2013, le PSUGO est financé essentiellement grâce au Fonds national pour l’éducation (FNE), à hauteur de 1,9 milliard de gourdes, et du Trésor public, à hauteur de 800 millions de gourdes, pour un total de 2,7 milliards de gourdes ». Il est fort révélateur que deux institutions majeures du système éducatif national haïtien, le FNE et le PSUGO, soient pareillement et pour les mêmes motifs dénoncées par les enseignants, les syndicats d’enseignants et des observateurs indépendants en raison de leur gestion financière opaque et de leurs mécanismes opaques d’attribution et d’exécution de projets.

La seconde partie du tableau 1 présente le montant total, par catégories, des « Frais administratifs annuels » du Fonds national de l’éducation. Ces frais administratifs (80 800 000 Gourdes, soit 606 015 $ US) sont extrêmement élevés pour un organisme autonome rattaché à un ministère, celui de l’Éducation nationale. Mais ce qui interpelle avant tout l’observateur, c’est la pléthore du personnel en poste au Bureau (7 personnes) et au Cabinet (17 personnes) du Directeur du Fonds national de l’éducation. Cette pléthore est en lien avec les vieilles et complexes pratiques de favoritisme et de népotisme, deux des visages de la corruption dans l’Administration publique haïtienne. Habituellement le favoritisme et le népotisme servent à « récompenser » ceux que l’on désigne par l’expression des « ayant droit du système » et qui servent de courroie de transmission des opérations de détournement de fonds publics.

Le deuxième tableau, « Fonds national de l’éducation / Banque de la République d’Haïti : frais perçus sur les transferts privés internationaux / 2011-2018 », est lui aussi fort instructif. Il atteste d’une part une nette augmentation de juin 2012 à juin 2018 du nombre de transferts, soit 7 431 à 16 062. D’autre part il atteste une nette augmentation de plus du double des frais perçus en milliers de dollars US, de juin 2012 à juin 2018, soit 11 146 à 24 093. Pareille augmentation se traduit par l’ample progression du montant total des frais perçus, qui passent de 11 146 à 115 690. En raison de la forte dégradation de la crise économique de 2018 à 2024, il est loisible de poser que durant cette période le volume de transferts d’argent vers Haïti a considérablement augmenté. Il en est résulté que les frais perçus sur les transferts privés internationaux ont augmenté de manière significative passant, en toute bonne hypothèse indicative, de 24 093 à 48 000. Pareille augmentation est en lien direct avec le poids économique énorme des transferts de la diaspora haïtienne vers Haïti comme l’atteste un document officiel de la Banque de la République d’Haïti daté de novembre 2019 : « Transferts de la diaspora et taux de change réel : le cas d’Haïti ». Ainsi, « (…) les transferts sans contrepartie vers Haïti ont presque décuplé entre 1998 et 2018 alors que leur poids par rapport au PIB est passé de 8,8% à 32,5% sur la même période. Ils sont désormais, de loin, la principale source de devises du pays, soit 3,6 fois la valeur des exportations, 10 fois celle des flux d’aide au développement et 37 fois le montant des investissements directs étrangers ».

En amont de la rédaction du présent article, nous avons plusieurs fois procédé à la consultation méthodique du site officiel du Fonds national de l’éducation afin de savoir si une éventuelle et récente mise à jour de la rubrique « Notre action » rassemblait des données pertinentes relatives aux états financiers ainsi qu’à l’audit des états financiers du Fonds national de l’éducation. La rubrique « Notre action » comprend les sous-rubriques suivantes : « Financement de l’éducation », « Infrastructures », « Renforcement de capacités », « Subventions », « Cantine scolaire » et « Carte des interventions ». Lorsque l’usager désireux d’être informé de leur contenu clique sur l’intitulé de chacune de ces sous-rubriques, il obtient à l’écran, pour chacune de ces sous-rubriques, une page vide comprenant uniquement les mentions suivantes : « Notre action », « Latest Posts », et « There are no posts ». Le chercheur désireux d’être informé du contenu de la rubrique si bien nommée « Information » –qui comprend les sous-rubriques « Infolettre », « Mécanismes de financement », « Appui aux études » et « Financement de projet éducatif »–, lorsqu’il clique sur chacune de ces sous-rubriques il obtient à l’écran une page-écran vide comprenant uniquement la mention… « Transparence ». L’usager désireux d’être informé du contenu de la rubrique « Ressources » –qui comprend les sous-rubriques « Documents », « Rapports et publications » et « Liens utiles »–, lorsqu’il clique sur l’intitulé de chacune de ces sous-rubriques, il obtient une page-écran vide comprenant uniquement la mention « Ressource». Le chercheur n’a donc accès ni aux « Documents » ni aux « Rapports et publications. Ce vide informatif pour de si nombreuses rubriques du site officiel du Fonds national de l’éducation n’est pas fortuit, il correspond à une orientation stratégique majeure, celle de L’INVISIBILISATION DES DONNÉES FINANCIÈRES AU CŒUR DU DISPOSITIF DE LA CORRUPTION SYSTÉMIQUE DU FONDS NATIONAL DE L’ÉDUCATION.

L’analyse qui précède illustre bien de quelle manière la corruption généralisée au Fonds national de l’éducation met encore en péril la scolarisation de 3 millions d’écoliers haïtiens. Il est attesté que ce diagnostic est amplement partagé par les enseignants haïtiens en dépit du fait que le rôle mafieux du FNE soit encore banalisé et nié par des médias « aux ordres » ou complaisants, entre autres la radio Magik9 à son émission « Panel magik » du 18 décembre 2024 ainsi que le site Lakayinfo509.com dans son édition du 25 janvier 2025 frauduleusement titrée « Congrès sur l’éducation et le développement durable : le rôle clé du FNE dans l’avenir éducatif ».  

Une certaine presse haïtienne, que la malice populaire désigne sous l’appellation narquoise de « machann mikro », occupe « le béton » informationnel dans le droit fil d’une scabreuse tradition, celle du « voye monte » : l’absence de compétence professionnelle et de rigueur éthique autorise de s’affranchir de la déontologie journalistique et de s’installer dans les « zones grises » de l’information grand public où les diverses variantes de la compromission politique sont monétisées tant au niveau symbolique qu’au niveau de la rentabilité financière… C’est sur ce registre que l’on a constaté le « danse tèt kole » d’une certaine presse accueillant à bras ouverts des duvaliéristes-tontons macoutes en processus de recyclage d’image tels que Prosper Avril, invité d’honneur –plus justement invité du déshonneur–, à l’édition 2023 de Livres en folie… L’homme qui murmurait ses « conseils » aux zenglendos de Port-au-Prince, Prosper Avril, s’est vu propulsé sur la scène des « grands » écrivains haïtiens par la grâce sonnante et trébuchante d’une certaine presse port-au-princienne : la romancière Marie Vieux-Chauvet –quittant ponctuellement son repos éternel et la révision de son monumental roman posthume « Les rapaces »–,  a dû se précipiter chez Jacques Lacan et Papa Dessalines pour se faire expliquer les métamorphoses post-duvaliériennes d’un pays qui n’a toujours pas procédé à sa déduvaliérisation

(NOTE Sur l’héritage duvaliériste inscrit dans l’ADN du PHTK, voir la série de quatre articles de l’économiste et historien Leslie Péan intitulés « Haiti : gouvernance occulte, gouvernance inculte, gouvernance superficielle », AlterPresse, juin 2014. Leslie Péan est également l’auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la problématique de la corruption en Haïti, notamment « Haïti / Économie politique de la corruption – L’ensauvagement macoute et ses conséquences (1957-1990) », tome IV, Éditions Maisonneuve et Larose, 2007 ; voir aussi Pierre Fournier, « Haïti, contextes social, historique, économique et le phénomène de la corruption », Barreau de Montréal, 2016.)

C’est le lieu de rappeler la courageuse prise de position citoyenne contenue dans le document intitulé « Pétition : plus de 600 personnalités contre la participation du général Avril comme invité d’honneur à Livres en folie 2023 » (Rezonòdwès, 16 avril 2023). Dans ce document public il est précisé ce qui suit : « Nous, écrivains, artistes, chercheurs, animateurs de la vie culturelle, lectrices et lecteurs, amoureux du livre, de la culture et de l’art, avons pris la décision de ne participer en aucune façon à Livres en folie dans son édition 2023, à cause du choix de l’ancien général Prosper Avril comme invité d’honneur de cette édition. Les pratiques politiques de l’ancien général Avril n’ont pas fait honneur aux aspirations démocratiques du peuple haïtien. Elles ont même, au temps de la dictature des Duvalier et après, constitué des obstacles aux avancées démocratiques. Et, sans vouloir l’offenser, nous ne lui connaissons pas une œuvre littéraire ni l’écriture d’une pensée qui justifieraient qu’il soit choisi comme invité d’honneur. Que veut-on valoriser ou récompenser ? »… Les deux derniers paragraphes de cette courageuse pétition citoyenne, qui a été signée par des opérateurs culturels, des écrivains et artistes ainsi que des maisons d’édition s’énoncent comme suit : « Vu l’importance acquise par l’événement [« Livres en folie »], sans faire le choix partisan d’une idéologie ou d’une esthétique particulière, c’est aussi ce laisser-aller sur le plan éthique qui a conduit notre pays dans la situation difficile qu’il connaît aujourd’hui. Il conviendrait que les choix soient le plus que possible en accord avec les principes basiques de la dignité humaine et en harmonie avec cette ferme volonté du peuple haïtien d’habiter un espace de vie en commun selon les piliers de l’éthique et de la Justice ».

« Nous refusons donc toute participation à cette édition, ni comme producteurs ni comme consommateurs. Et nous demandons à tous, éditeurs, distributeurs, médias, de respecter cette volonté clairement exprimée. En ce moment où certains voudraient que tout soit permis, y compris les violations les plus flagrantes des principes démocratiques et de la justice, il est juste que dans le monde de la culture, de l’art et du livre, nous gardions en mémoire les crimes historiques et que nous donnions l’exemple de la dignité ».

C’est sur ce même registre qu’une certaine presse haïtienne a porté aux nues un mercenaire-tonton macoute dénommé Rony Gilot, lui aussi invité d’honneur –plus justement invité du déshonneur—à Livres en folie du 26 au 27 mai 2016 au Parc historique de la Canne à sucre… Dans un article que nous avons publié en Haïti sur le site AlterPresse en 2016, « L’alliance Rony Gilot/Jocelerme Privert, un ticket rose pour l’impunité en Haïti », nous avons exposé que « Les milliers de victimes de la dictature duvaliériste –qui attendent encore justice et réparation de l’État haïtien–, ont reçu de plein fouet la nouvelle de l’affligeante nomination en février 2016 de Rony Gilot au poste de Secrétaire général adjoint du Palais national. Cette nomination a été décidée par Jocelerme Privert, le Président provisoire d’Haïti ». Jocelerme Privert n’est pas un inconnu dans le lakou où se bousculent les têtes de liste de la meute politicienne haïtienne ainsi que les « intellectuels serviles » : son billet d’avion en aller simple pour le « Paradis de l’impunité » s’est consumé un funeste jeudi 26 février 2023… Ainsi, « Comme annoncé par le Premier ministre Justin Trudeau, le jeudi 16 février, en marge de sa participation à une réunion des chefs d’État de la Caricom, deux autres personnes viennent de rejoindre la liste des sanctionnés par le Canada. Il s’agit de l’ancien président Jocelerme Privert et de l’avocat du PHTK Salim Succar. L’annonce a été publiée sur le site de Affaires mondiales Canada (version anglaise) ce jeudi. Le député fédéral de Bourassa, Emmanuel Dubourg, originaire d’Haïti, a également confirmé la nouvelle. « Il faut aussi écarter du pouvoir les criminels, les corrompus et les oligarques. Le peuple haïtien vaincra », a-t-il commenté sur Twitter » (voir l’article « Jocelerme Privert et Salim Succar sanctionnés par le Canada », Le Nouvelliste, 16 février 2023).

Par ailleurs l’on observe que la corruption généralisée au Fonds national de l’éducation s’apparie amplement à la non-application de l’article 32 de la Constitution de 1987, ce qui constitue de fait la négation totale du droit constitutionnel à l’éducation de tous les Haïtiens : c’est également en cela qu’est encore mis en péril la scolarisation de 3 millions d’écoliers haïtiens. Pour mémoire, l’article 32 de la Constitution de 1987 dispose que :

« L’État garantit le droit à l’éducation. Il veille à la formation physique, intellectuelle, morale, professionnelle, sociale et civique de la population.

« Article 32.1 : L’éducation est une charge de l’État et des collectivités territoriales. Ils doivent mettre l’école gratuitement à la portée de tous, veiller au niveau de formation des enseignements des secteurs public et privé.

« Article 32.2 : La première charge de l’État et des collectivités territoriales est la scolarisation massive, seule capable de permettre le développement du pays. L’État encourage et facilite l’initiative privée en ce domaine. »

La non-application de l’article 32 de la Constitution de 1987 par les différents Exécutifs issus du PHTK exprime sans l’ombre d’un doute le fait que (1) le PHTK, cartel politico-mafieux, n’a jamais eu un quelconque projet éducatif pour Haïti ; (2) dans leur conception clanique du pouvoir politique, les barons mafieux du PHTK n’ont à aucun moment considéré que l’éducation est un droit constitutionnel en Haïti et qu’il s’apparie à l’ensemble des droits humains fondamentaux consignés dans la Constitution de 1987.

En Haïti, selon l’Institut de statistique de l’UNESCO et la Banque mondiale, les « Dépenses publiques en éducation, (% des dépenses du gouvernement) » se situaient ces douze dernières années dans une fourchette comprise entre 11 984 499 %US/an et 14 490 697 $US/an : ces montants semblent peu élevés lorsqu’on les compare aux sommes investies dans le secteur de l’éducation en Amérique centrale et latine. Ainsi, « En s’appuyant sur les arguments en faveur de l’investissement dans l’éducation présentés dans « L’avenir en péril : pourquoi il est essentiel d’investir dans l’éducation », Mme Stefania Giannini, sous-Directrice générale de l’UNESCO pour l’éducation, a déclaré qu’au-delà de la volonté politique et de l’accélération des actions, la réalisation de l’agenda Éducation 2030 dépendait du financement adéquat de l’éducation. Elle a rappelé que 41 % des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur ne respectaient pas les critères établis de 4-6 % du PIB et de 15-20 % des dépenses publiques totales. L’aide internationale à l’éducation ne suffit pas non plus et a d’ailleurs diminué, passant de 19,3 milliards de dollars des États-Unis en 2020 à 16,8 milliards de dollars des États-Unis en 2022. Elle a remarqué que le manque d’investissement dans l’éducation se faisait au détriment de notre avenir commun » (voir le document « Réunion mondiale sur l’éducation », 31 octobre – 1er novembre 2024, Fortaleza, Brésil. Compte-rendu de la réunion).

Le PHTK, cartel politico-mafieux, n’a jamais eu un quelconque projet éducatif pour Haïti, il faut encore le souligner : cette réalité est attestée en dépit du fait que la « vedette médiatique » du PHTK néo-duvaliériste, Nesmy Manigat, a été « missionné » pour jouer le rôle de super-ministre « technocrate » dont l’erratique « gouvernance » –pourtant maintes fois aveuglément financée par l’International–, a emprunté de manière constante la voie de l’agitation compulsive sur les réseaux sociaux. Cette conception populiste de la gouvernance du système éducatif national –qui est en réalité un mépris de classe pour la population haïtienne–, a conduit les barons mafieux du PHTKNesmy Manigat en tête–, à vouloir parachuter dans l’École haïtienne le mort-né LIV INIK AN KREYÒL. Pareille « trouvaille pédagogique » unique au monde7 versions différentes d’un « livre unique » élaborées par …7 éditeurs différents–, devait être introduite à la mi-juin 2023 dans les écoles du pays à hauteur de 1 million d’exemplaires à distribuer gratuitement… Alors même que les barons mafieux du PHTK n’occupent plus les allées du pouvoir au ministère de l’Éducation nationale, les enseignants et les directeurs d’écoles n’ont toujours pas trouvé de réponses éclairantes au sujet des 7 versions différentes d’un « livre unique » élaborées par 7 éditeurs différents : à quels objectifs pédagogiques le LIV INIK AN KREYÒL devait-il répondre ? A-t-il été élaboré par des spécialistes en didactique générale et en didactique de la langue maternelle ? Les organisations professionnelles d’enseignants ont-elles été associées à la conception de ce « nouvel outil pédagogique » ? L’expertise de l’École normale supérieure et de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti a-t-elle été sollicitée à l’étape de la conceptualisation, de la rédaction et de la validation du LIV INIK AN KREYÒL ? À combien s’élevait le financement global de ce projet au ministère de l’Éducation nationale ? Sur le plan de la didactique du créole et de la didactisation du créole, qu’est-ce qui caractérise le LIV INIK AN KREYÒL ? Comment expliquer que le projet avorté de LIV INIK AN KREYÒL ait pu être mis en route en dehors d’une politique linguistique éducative nationale qui se fait toujours attendre ?

La non-application de l’article 32 de la Constitution de 1987 par les différents Exécutifs issus du PHTK est également la condition politique majeure de la reproduction des mécanismes d’invisibilisation de la corruption sur le mode de la métastase silencieuse de la corruption consécutive au démantèlement des appareils d’État par le PHTK (« appareils d’État » est ici employé au sens althussérien du terme). La métastase silencieuse de la corruption a été modélisée en Haïti au creux de la gangstérisation/criminalisation de l’État haïtien activement mise en œuvre par le PHTK ces douze dernières années. (NOTE – Sur la gangstérisation/criminalisation de l’État haïtien, voir l’étude de Frédéric Thomas « Haïti : la gangstérisation de l’état se poursuit », CETRI, Université de Louvain, 7 juillet 2022 ; sur les auto-proclamés « bandits légaux » du PHTK, voir l’article de Roromme Chantal de l’Université de Moncton, « L’ONU, le PHTK et la criminalité en Haïti », AlterPresse, 25 juillet 2022 ; voir aussi l’article de Laënnec Hurbon, « Pratiques coloniales et banditisme légal en Haïti », Médiapart, 28 juin 2020 ; voir l’article « Haïti dans tous ses états » : halte à la duvaliérisation des esprits ! », par Arnousse Beaulière, AlterPresse, 19 février 2020 ; voir également l’entrevue de Jhon Picard Byron, enseignant-chercheur à l’Université d’État d’Haïti, « Gangs et pouvoir en Haïti, histoire d’une liaison dangereuse », Radio France internationale, 23 septembre 2022. Lire aussi « L’« État de dealers » guerroyant contre contre l’« État de droit » en Haïti », par Robert Berrouët-Oriol, Médiapart, Paris, 18 janvier 2024.

(*)Linguiste-terminologue, Conseiller spécial, Conseil national d’administration du Réseau des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH)

Montréal, le 17 février 2025