— Par Jean Samblé —
Haïti traverse l’une des pires crises de son histoire contemporaine. Entre violences armées, effondrement des institutions publiques, et crise humanitaire aiguë, le pays semble s’enfoncer dans un chaos de plus en plus incontrôlable. Les Nations unies, par la voix de plusieurs de ses hauts représentants, alertent sur une situation alarmante et appellent la communauté internationale à une action urgente, avant qu’il ne soit trop tard.
Une violence en constante escalade
Depuis plusieurs mois, les gangs armés intensifient leur emprise sur Haïti, notamment dans la capitale Port-au-Prince et ses alentours. Selon Volker Türk, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, « la situation des droits de l’homme en Haïti a atteint un nouveau point de crise ». Lors de la présentation de son rapport annuel devant le Conseil des droits de l’homme à Genève, il a décrit une réalité terrifiante : des bandes armées qui s’unissent, se renforcent, et affrontent les forces de l’ordre avec une puissance de feu souvent supérieure.
Ces groupes criminels, qui opèrent désormais comme de véritables milices, mènent des attaques coordonnées, s’emparent d’infrastructures vitales et imposent leur loi à des pans entiers du territoire. La population civile est la première victime de cette montée de violence. Les gangs tuent, enlèvent, violent et terrorisent. Ils ciblent notamment ceux qui sont soupçonnés de coopérer avec les forces de sécurité ou les groupes d’autodéfense. Les violences sexuelles sont utilisées comme outils de domination et d’intimidation. « Sous la menace des armes, des femmes sont attaquées chez elles, dans les transports publics, ou même dans des lieux publics », a rapporté Türk.
Un bilan humain dramatique
Les chiffres donnent le vertige : entre le 1er juillet 2024 et le 28 février 2025, les services de l’ONU ont recensé au moins 4 239 morts et 1 356 blessés liés à la violence armée. À cela s’ajoutent des milliers de personnes déplacées, des familles déchirées, et un climat de terreur généralisé. Dans certains cas, ce sont des foules en colère ou des groupes d’autodéfense qui procèdent à des lynchages de membres présumés de gangs, une spirale de violence qui ne fait qu’aggraver l’instabilité.
La représentante spéciale de l’ONU à Haïti, Maria Isabel Salvador, a elle aussi tiré la sonnette d’alarme devant le Conseil de sécurité. Selon elle, le pays s’approche dangereusement d’un « point de non-retour », risquant de basculer dans un « chaos total » si aucune action forte n’est entreprise rapidement. « Les Haïtiens vivent dans une vulnérabilité croissante et sont de plus en plus sceptiques quant à la capacité de l’État à assurer leur sécurité », a-t-elle déclaré.
L’État haïtien débordé, la présence onusienne réduite
L’ampleur de la crise dépasse les capacités actuelles de l’État haïtien. Faute de moyens et d’effectifs, la police nationale est dépassée par la puissance des gangs. L’ONU elle-même a dû réduire sa présence à Port-au-Prince, désormais contrôlée à environ 85 % par des groupes criminels, faute de sécurité suffisante pour ses personnels. Les difficultés sont également financières. Maria Isabel Salvador a pointé un manque criant de ressources, alors que des pays donateurs, dont les États-Unis, ont réduit leurs aides à l’étranger. Elle avertit : « Sans financement suffisant et prévisible, même une présence onusienne minimale pourrait devenir intenable. »
Un appel à l’action internationale
Face à cette situation, l’ONU appelle à une mobilisation immédiate de la communauté internationale. William O’Neill, expert indépendant pour les droits humains en Haïti, insiste sur la nécessité de soutenir plus activement la force multinationale dirigée par le Kenya, qui vise à renforcer la police haïtienne. Pour être efficace, cette mission doit disposer de davantage de personnel, d’équipements, d’hélicoptères et de véhicules.
Mais au-delà du soutien logistique, O’Neill souligne un point crucial : la nécessité d’interrompre les flux d’armes et de munitions vers l’île. « Les gangs ne pourraient pas survivre longtemps sans ce ravitaillement. Il est temps d’agir. Si nous attendons davantage, il pourrait ne rester que très peu à sauver en Haïti », a-t-il déclaré.
Un pays en détresse, un peuple abandonné
Haïti, pays le plus pauvre des Amériques, est depuis des années secoué par une instabilité politique chronique, une économie en ruine, et une corruption endémique. Mais la situation actuelle représente une menace existentielle pour l’État lui-même. Pour de nombreux observateurs, l’avenir du pays est désormais suspendu à la capacité – ou à l’incapacité – de la communauté internationale à réagir rapidement.
Alors que les Haïtiens manifestent dans les rues, brûlent des pneus pour dénoncer l’insécurité, et fuient les zones de violence, le monde regarde, encore une fois, ce drame se dérouler sous ses yeux. Mais pour combien de temps encore ?