Jusqu’au 16 octobre 2019. Fondation Clément, Cuverie et Salle Carrée.
— Par Roland Sabra —
A propos de l’installation « Canal Trénelle/ Grosse Roche» Barbara Prézeau-Stephenson, la commissaire de l’exposition « Mondes/Territoires » d’Habdaphaï visible jusqu’au 16 octobre 2019 à la fondation Clément, écrit dans le dossier de présentation « L’enfance constitue la clé de compréhension de cette installation. » Cette remarque pertinente peut s’étendre à l’ensemble de l’œuvre d’Habdaphaï. Déjà en 2006 dans une brochure consacrée à Rhinoloup, un personnage mi-homme mi animal, que l’artiste à peint et dépeint à l’infini on trouvait cette description « Une corne : phallique, du désir de la vie, d’amour conquérante… Une bosse : celle de la curiosité, de l’enfance candide : on ne crée bien qu’avec l’enfance. » A l’approche de la soixantaine Habdaphaï préserve au plus précieux de son âme cet enfant que l’adulte assassine au matin des jours sombres de la bienséance éclairés de la pale lueur des nécessités et des convenances. Il est cet enfant qui regarde, qui aborde le monde dans une interrogation infinie, éternelle et qui offerte dans la gratuité de l’acte qui la constitue invite le regardant au balancier de ses renoncements. La subversion d’Habdaphaï se tient dans l’absence d’adhésion à un discourt substitutif déjà là sous la forme d’un prêt à penser. Ses derniers personnages ont de têtes vides du trop plein d’un dire venu du lieu de l’Autre. Papier journal collé pour servir de cerveau. Corps horizontal d’un petit autre en lieu et place de tête.
Face au bréviaire d’un dire éculé il choisit le tranchant du faire. Port-au-Prince, Paris, Trenelle, New York, Besançon, il s’engage dans une citoyenneté artistique, bâtie sur le chatoiement des Territoires et des Mondes, celui du Tout-Monde. Il le fait de ce temps d’avant la mauvaise conscience dans cette dimension ludique avec ses fulgurances, ses éclipses, ses manœuvres d’incision, de répétition rythmique, de diffraction et ce goût pour l’imprévisible. l’assemblage, la composition, l’association, la répétition proposée est un assemblage possible mais qui pourrait être tout autre dans la perspective de se contredire, se compléter de se dissocier pour éventuellement se reformer et se renforcer. Pas d’autre intentionnalité que celle du geste qui la porte vers un déploiement des possibles dans une célébration de ce qui advient et de ce qui aurait pu être tout autre. Et c’est Lacan, encore qui vient à l’esprit : « Tout art est défectueux. Il ne prend sa force que du recueil de ce qui se creuse au point où sa défaillance est accomplie. » (« D’un Autre à l’autre« ).
Il a été danseur talentueux. Certains le disent le plus doué de la famille. C’est le discours de ce corps que l’on retrouve dans l’acte de création qui d’une manière ou d’une autre en réfère toujours, par l’intermédiaire du corps de l’œuvre, tableau, installation, au corps même du créateur et aux mouvances concrètes par lesquelles il se dit. Le corps de l’œuvre laisse apparaître la marque de ce corps dans ses dimensions réelle, imaginaire, fantasmatique, dans la trace laissée par les images, sensations, affects passés et présents, conscients et inconscients qui y sont attachés.
Les corps disloqués, démembrés, recousus des Barbies, une des dernières réalisations de l’artiste témoignent de ce qui insiste dans la délivrance de l’œuvre. Sur quel autel ces corps sont-ils immolés et pour quel « plus-de-jouir »,( évoqué par Alexandre Alaric dans le livret de présentation), processus qui ne se met en route qu’une fois la jouissance perdue ?
De corps encore dans la présence de lycéennes du Marin qui portaient les robes magnifiques qu’elles avait dessinées, taillées, assemblées, cousues aux motifs déclinés des œuvres de l’artiste qui lui aussi le soir du vernissage arborait un costume noir et blanc aux découpes asymétriques. Décor des corps aux couleurs vives et qui tranchait sur la banalité vestimentaire des invités habillés par « la pale lueur des nécessités et des convenances.«
Fort-de-France, le 30/08/2019
R.S.