— Par Sébastien Roselé, en Guyane —
Les orpailleurs clandestins s’activent sous la couverture végétale opaque de la forêt amazonienne pour tromper la gendarmerie.
En dix jours, deux affaires sont venues rappeler qu’il y a de l’or en Guyane et que des trafics réels ou présumés gravitent autour. Il y a d’abord ce major […] de la gendarmerie de 52 ans, chef d’une toute petite brigade située à une heure et demie en voiture de Cayenne. L’homme a été mis en examen et écroué la semaine dernière. La justice le soupçonne d’avoir fermé les yeux sur les pirogues de ravitaillement des orpailleurs clandestins en échange d’une rémunération. Lui nie tout et explique qu’il laissait passer seulement les embarcations de son indic contre de précieux renseignements. La cour d’appel examinera ce lundi sa demande de remise en liberté.
Et puis il y a cette autre affaire presque incroyable. Près de 150 kilos d’or extraits du tribunal de Cayenne en toute discrétion – même la préfecture n’était pas au courant – et rapatriés dans l’Hexagone. L’information a filtré le 25 octobre. En fait, l’or est sorti du greffe du tribunal guyanais, mais il a été transféré dans les locaux d’une société guyanaise, seule capable de transformer l’or mêlé de mercure en or pur. Aux dernières nouvelles, le précieux métal n’aurait toujours pas quitté l’Amérique du Sud.
La réalité de l’or saisi par la justice en Guyane, c’est ça : pas de lingots scintillants, mais d’innombrables sachets plastique contenant quelques centaines de grammes impurs. Ces 150 kilos d’or sont l’accumulation des prises faites depuis 2007. Le métal a beau être amalgamé, au cours actuel de l’or (42 000 euros le kilo), il représente un beau pactole : 6,3 millions d’euros.
10 000 mineurs clandestins sur 385 sites
Le chiffre fait rêver, mais, derrière ces 150 kilos d’or, il y a une autre vérité, moins fascinante et plus problématique. Dix tonnes de métal jaune seraient arrachées du sol guyanais chaque année par les orpailleurs clandestins, les garimpeiros (« mineurs » en portugais). La quantité est une estimation faite par les orpailleurs légaux à partir des quantités d’or déclarées au Suriname et au Brésil. « Personne ne nous dit qu’on exagère, se justifie Gauthier Horth, président de la Fédération des opérateurs miniers en Guyane. On pense même que c’est le double. » Pour extraire cet or, une véritable armée s’active sous la couverture végétale opaque de la forêt amazonienne. Ils seraient 10 000 garimpeiros à travailler dans 385 sites disséminés en Guyane. Les plus gros peuvent produire jusqu’à 10 kilos d’or par semaine et concentrer jusqu’à un millier de personnes. Avec un cours du métal jaune des plus hauts, ils sont nombreux à quitter les États pauvres du nord du Brésil pour venir tenter leur chance ici.
Parfois, l’aventure vaut le coup. « En six mois, un homme s’est fait 19 000 euros. Il a pu s’acheter sa maison au Brésil », raconte une observatrice. Une fortune quand on sait que le salaire minimum au Brésil est de 250 euros par mois. Et encore, le gramme d’or n’est racheté que 28 euros aux mineurs sur les sites de production alors qu’il s’échange 40 euros dans des comptoirs du Brésil ou du Suriname.
Sur les sites, justement, l’activité n’est pas sans danger. Les galeries creusées dans le sol peuvent s’écrouler à tout moment. La température y atteint les 40 °C. Les mineurs tiennent la cadence en prenant de la coke. Leurs habitations sont des « carbets », des cabanes en bois. Mais tout est prévu sur les sites pour divertir et nourrir les travailleurs : bars, épiceries, et même… des bordels. « Tout s’y paie en or », souligne le chef des gendarmes de Guyane, le colonel Didier Laumont. Le préfet de Guyane, Denis Labbé, confirme. « Il n’y a pas d’autre monnaie d’échange sur les chantiers. »
Une passe avec une prostituée coûte 5 grammes (200 euros). « Il y a des personnes sur les sites qui sont des quasi-esclaves. Ils sont payés en or et dépensent tout sur place pour vivre », analyse Ivan Auriel, le procureur de Cayenne. Il estime que 70 % seulement de l’or extrait par les orpailleurs reste dans leur poche. Le reste atterrit entre les mains d’intermédiaires qui vivent tranquillement sur le littoral guyanais et qui se font des marges astronomiques en livrant du matériel, de la nourriture, de la bière et en transportant des garimpeiros. Le tout dans une quasi-impunité puisqu’ils ne peuvent tomber sous le coup d’aucune loi.