« Les cinq fois où j’ai vu mon père », texte et m.e.s. de Guy Régis Jr
— Par Roland Sabra —
Le nom du père Guy Régis Jr le porte plutôt deux fois qu’une et c’est sans doute pourquoi « Les cinq fois où j’ai vu mon père » est certainement le texte le plus intime de Guy Régis Jr. Le pré-nom annonce ce qui doit advenir, ce qui n’est pas encore, avant même de différencier les individus au sein de la famille. L’ adjonction de Jr au nom du père le souligne avec évidence en supposant une re-production forcément imparfaite de ce qui est déjà. C’est une pratique usuelle aux États-Unis mais aussi dans certaines sociétés arabes dans lesquelles le pré-nom porte la mention « fils de » ( Ben…). Si le père n’existe que par ses actes, l’enfant n’est donc, dans ce cas, que le prolongement d’un des actes du père.
L’auteur le dit très clairement dans son « travail, depuis des années, mère, père, fils, fille, défilent, s’entrechoquent indéfiniment.» Il pose la famille comme «clef du problème humain.» Ce n’est donc pas la première fois que Guy Régis Jt aborde plus précisément la question de la paternité. Déjà dans la pièce de théâtre « Le Père », prix ETC Caraïbe / Beaumarchais il évoquait son absence et la nécessité de casser le mythe de son retour, de briser l’attente qui perpétue la dépendance, pour pouvoir faire sa vie. Ne peut être absent que ce qui existe ou a existé comme l’écrit la philosophe, écrivaine Éliette Abécassis : « L’absence n’est rien d’autre qu’une présence obsédante. »
Le père est donc parti comme tant d’autres dans ce mouvement qui s’accélère depuis le dernier quart du siècle dernier, vers les Etats-Unis, le Canada, la France. Et c’est le deuxième axe qui parcourt toute l’oeuvre de Guy Régis Jr : l’émigration avec les thématiques de l’absence, du retour incertain ou provisoire, des envies, des craintes, des espoirs, des jalousies chez ceux qui restent. Son père à lui, c’est aux USA qu’il est allé s’installer comme mécanicien passionné par les belles bagnoles. La cinquième et dernière fois qu’il l’a vu, il avait douze ans. Il ne le reverra qu’à l’age de trente ans. C’est par cette dernière entrevue que commence la pièce construite comme un compte (un conte?) à rebours à l’inverse de la version romancée qui existe. À l’époque il a douze ans, c’est le moment de sa première communion. Impensable pour l’enfant que le père ne soit pas là à cet évènement capital, et il est là comme il l’a toujours été dans la parole de la mère qui toujours l’évoque, le convoque entre elle et ses enfants. Elle leur parle de lui, de ses goûts, de son amour pour la langue française, pour la culture, de la fierté qu’il éprouve devant les réussites de son fils. Ell le fait vivre. Une des plus belles scènes de la pièce est la deuxième rencontre vers l’âge de trois ans. Père et mère sont face à face, les yeux dans les yeux, sans un mot, absorbés qu’ils sont dans un échange intense, et l’enfant alors comprend qu’il est le tiers exclu d’une relation qui ne concerne que cette homme et cette femme et qu’il n’est pas le premier dans le désir de sa mère. Une scène nodale qui pose le père comme modèle que le fils suivra. De fait Guy Régis Jr dira dans un entretien qu’il n’a jamais eu l’impression de ne pas avoir de père. Voilà qui est à entendre dans nos sociétés marquées au sceau de la matrifocalité.
Sur le plateau en fond de scène coté jardin, juste une chaise sur la quelle est assis le comédien dans le prologue. Sur la moitè droite de la scène un écran mettra en valeur des animations sous la forme d’ébauches stylistiques laissant au spectateur toute liberté interprétative. La mise en scène de l’auteur est très épurée et le choix de Christian Gonon de la Comédie française est judicieux à plus d’un titre. Il y a d’abord le talent incontestable du comédien à faire vivre, à donner chair avec une grande sobriété et une belle retenue au personnage bien réel sur la scène. Il offre au spectateur un espace de détachement nostalgique propre au retour des vécus d’enfance. Et puis le recours à un européen loin de décrédibiliser le propos, le dérégionalise, lui donne un sens qui dépasse les appartenances culturelles, l’universalise en quelque sorte. La fonction du nom du père concerne tout un chacun quand bien même serait-elle portée, assumée par un autre que le géniteur.
Il semblerait que Guy Régis Jr, soit tenté de reprendre le rôle ! Qu’il se rassure il est bien présent sur scène avec Christian Gonon comme le public martiniquais pourra le constater le 25 & 26 mars prochain et s’il n’est pas sur notre ile à ces dates là c’est qu’il sera à ces moments là de nouveau Père!
À voir sans faute!
Paris, le 30/01/22
R.S.
EXTRAIT
– Je t’aime mon enfant. Je t’aime tant. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime en piles, tu sais.
– Pourquoi, alors, pourquoi je ne te vois pas ?
– Je ne sais pas mon enfant. Je ne sais pas. Mais je t’aime.
– Tu m’aimes.
– Oui, je t’aime. Je t’aime en piles.
– Et ma maman, tu l’aimes aussi ?
– Mon enfant. On ne parle pas de ces choses-là. De ta mère. Elle ne sait pas ce qu’elle veut. Un jour, peut-être, je t’expliquerai
COPRODUCTION Théâtre Ouvert Centre National des Dramaturgies Contemporaines, l’Artchipel – Scène Nationale de Guadeloupe, Tropiques Atrium – Scène Nationale de Martinique.
Avec le soutien financier de l’Institut français à Paris, , la DRAC Île-de-France, la Région Île-de-France, la Ville de Paris. Et le soutien de la Comédie Française, du Théâtre de la Tempête, du Théâtre des Doms, de l’ONDA, de la Radio Métropole et de la Radio Haïti Inter
D’après Les cinq fois où j’ai vu mon père de Guy Régis Jr ©Éditions Gallimard
Ce texte est lauréat de l’Aide à la création de textes dramatiques – ARTCENA