Guadeloupe et Martinique : enjeux géopolitiques et économiques dans un monde en mutation

La nouvelle logique en matière de géopolitique mondiale et les mutations en cours vont considérablement peser sur l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique .

Par Jean-Marie Nol —

La nouvelle phase de la géopolitique mondiale se caractérise par un retour à une logique de blocs, opposant les puissances occidentales, regroupées autour des États-Unis et de l’Union européenne, aux économies émergentes représentées par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ce basculement exacerbe les tensions internationales dans un contexte marqué par des conflits géopolitiques, comme ceux en Ukraine ou au Moyen-Orient, et par une montée du protectionnisme économique. Ces dynamiques, renforcées par des crises structurelles telles que la mutation technologiques, l’endettement global et le changement climatique, redéfinissent les équilibres internationaux et placent les territoires d’outre-mer au cœur des enjeux financiers stratégiques. La Guadeloupe , en tant que département français situé dans une région caribéenne stratégiquement importante, est directement concernée par ces évolutions et doit redéfinir ses marges de manœuvre politiques et économiques face à ces défis.

Les tensions entre blocs réaffirment l’importance géostratégique des territoires ultramarins, notamment en termes de sécurisation des zones maritimes. La Guadeloupe et la Martinique, avec leurs vastes zones économiques exclusives, constituent des espaces cruciaux pour la protection des ressources marines et le contrôle des flux commerciaux dans la région des Caraïbes. Leur positionnement géographique en fait des avant-postes clés pour la projection de l’influence française et européenne dans cette région. Cette situation pourrait leur permettre de négocier des investissements stratégiques, en contrepartie de leur rôle dans la sécurité régionale, par le biais de partenariats renforcés avec l’Union européenne ou d’alliances locales avec leurs voisins caribéens. Cependant, cette position avantageuse reste vulnérable aux tensions géopolitiques qui pourraient perturber les équilibres régionaux, notamment en raison des influences croissantes des puissances émergentes comme la Chine dans le bassin caribéen.

Par ailleurs, la crise économique mondiale et le protectionnisme croissant renforcent la nécessité d’une autonomie économique accrue pour ces territoires. Mais, d’aucuns continuent à appeler de leurs vœux une autonomie politique dans le cadre de l’article 74 de la constitution. Sans préjuger de l’avenir, nous réitérons notre mise en garde d’extrême prudence dans la mesure notre analyse prospective laisse entrevoir une déconvenue probable en raison du coût financier à anticiper pour les mutations technologiques et le changement climatique qui vont profondément transformer l’économie mondiale, y compris celle de la France et de l’Outre Mer , dans la décennie actuelle . Ces transformations auront des répercussions significatives sur les finances publiques et le rôle de l’État. En effet, les mutations technologiques auront d’importants impacts économiques . Les technologies émergentes, telles que l’intelligence artificielle (IA), l’automatisation, les énergies renouvelables et les technologies de l’information, remodèlent déjà les structures économiques. Il y aura forcément des changements dans le marché de l’emploi en France et aux Antilles.

De nombreux emplois peu qualifiés ou répétitifs risquent de disparaître, tandis que de nouveaux métiers liés aux technologies émergentes apparaîtront. Cela nécessitera une reconversion massive de la main-d’œuvre, soutenue par des politiques publiques d’éducation et de formation continue. Et pour cela, il faudra bien trouver des solutions de financement. Les technologies permettent de travailler à distance, ce qui peut affecter les secteurs traditionnels comme l’immobilier commercial ou les transports. Les processus de production deviennent plus efficaces grâce à l’automatisation et à l’IA, mais nécessitent des investissements importants. Les entreprises devront adopter des modèles bas carbone, entraînant des dépenses pour se conformer aux réglementations environnementales. L’impact sur les finances publiques de la France sera colossal dans les prochaines années , et ce alors même que les déficits sont déjà abyssaux . Des investissements massifs seront nécessaires dans les infrastructures numériques, l’éducation et la recherche. Le coût du chômage temporaire lié à la transition pourrait augmenter avant que les bénéfices des mutations ne se manifestent pleinement. Par ailleurs le changement climatique et ses effets économiques et financiers auront un impact direct sur les économies, et ces effets vont s’intensifier dans les années à venir. L’intensification des séismes , inondations, sécheresses, canicules et tempêtes cycloniques augmentera les coûts d’indemnisation pour l’État (assurances publiques, aide aux régions sinistrées, etc.).

Les infrastructures publiques devront être adaptées ou reconstruites pour résister aux impacts climatiques (digues, routes, réseaux électriques). En conséquence, la France et surtout ses régions d’outre-mer vont devoir accélérer le déploiement des énergies renouvelables (éolien, solaire, hydrogène) et rénover les logements pour améliorer leur efficacité énergétique. Selon certaines estimations, cela pourrait coûter entre 50 et 100 milliards d’euros par an d’ici 2050.

Des secteurs comme l’agriculture, le tourisme ou l’énergie fossile seront particulièrement affectés, ce qui nécessitera des aides publiques pour accompagner leur transition.

Le coût global pour l’État peut être estimé en fonction des besoins d’investissement dans la transition écologique et numérique.

Selon le rapport du Haut Conseil pour le Climat (HCC), la transition énergétique pourrait représenter jusqu’à 2 à 3 % du PIB par an pour la France, soit environ 70 à 100 milliards d’euros par an. La numérisation et les infrastructures liées aux nouvelles technologies pourraient nécessiter des investissements publics estimés à plusieurs dizaines de milliards d’euros par an.

Le coût des catastrophes naturelles pour l’État est estimé à environ 10 milliards d’euros par an actuellement, mais pourrait doubler ou tripler d’ici 2050. La reconversion de la main-d’œuvre et les politiques d’accompagnement social pourraient ajouter 15 à 20 milliards d’euros par an aux dépenses publiques.Pour faire face à ces coûts, la France devra accroître les investissements publics pour financer la transition écologique et numérique via des budgets dédié et les régions d’outre-mer seront aux premières loges .Les mutations technologiques et le changement climatique vont profondément transformer le socle sociétal et l’économie des territoires français d’outre-mer comme la Guadeloupe et la Martinique. Ces transformations entraîneront des bouleversements majeurs dans les structures économiques, les finances publiques et les modes de vie locaux, nécessitant une réponse adaptée de l’État pour accompagner ces régions spécifiques. Les technologies émergentes, telles que l’intelligence artificielle, l’automatisation et les énergies renouvelables, modifient déjà les dynamiques économiques. En Guadeloupe et en Martinique, où l’économie repose sur des secteurs spécifiques comme le tourisme, l’agriculture et les services, les impacts seront marqués. Comme dans l’hexagone, l’automatisation et l’intelligence artificielle pourraient remplacer certains emplois peu qualifiés dans les secteurs traditionnels, notamment des services entraînant une augmentation temporaire du chômage si la reconversion de la main-d’œuvre n’est pas anticipée. Cependant, ces technologies offrent aussi des opportunités pour développer de nouveaux métiers dans le domaine numérique et les énergies vertes, nécessitant une montée en compétences grâce à des politiques publiques adaptées.

Le télétravail et la numérisation, déjà en progression, pourraient transformer la relation au travail dans ces îles, favorisant des emplois connectés mais potentiellement au détriment de secteurs traditionnels comme l’immobilier commercial. La modernisation industrielle, notamment avec l’essor de l’industrie 4.0, pourrait améliorer l’efficacité des activités économiques locales, mais exigerait des investissements massifs en infrastructures et en éducation. Par ailleurs, l’économie verte s’imposera comme un impératif dans ces îles particulièrement vulnérables aux impacts climatiques. Les entreprises locales devront adopter des modèles bas carbone, entraînant des coûts de mise en conformité, tandis que les collectivités devront investir dans des infrastructures résilientes.

En parallèle, le changement climatique exerce déjà une pression croissante sur l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique, avec des conséquences qui s’intensifieront dans les années à venir. Ces îles sont particulièrement exposées aux catastrophes naturelles, telles que les séismes, les cyclones, les inondations et les sécheresses, qui entraînent des coûts élevés pour l’État et les collectivités locales en termes de reconstruction et d’aides aux populations sinistrées. La dégradation des infrastructures existantes sous l’effet des aléas climatiques impose de vastes programmes de rénovation pour les adapter aux nouvelles réalités. Par exemple, il faudra renforcer les réseaux électriques et routiers face aux tempêtes de plus en plus fréquentes et intensifiées par le réchauffement global.

La transition énergétique, essentielle pour limiter ces impacts, représente un défi majeur. La Guadeloupe et la Martinique, bien que dotées d’un fort potentiel en énergies renouvelables (solaire, éolien, géothermie), nécessiteront des investissements importants pour exploiter ces ressources à grande échelle. L’objectif de devenir moins dépendants des énergies fossiles implique également de moderniser les logements pour en améliorer l’efficacité énergétique et d’introduire une fiscalité verte adaptée au contexte local. Cependant, ces mesures risquent d’impacter les ménages et les entreprises à court terme, ce qui nécessitera un accompagnement financier de l’État pour éviter une hausse des inégalités sociales.

Certains secteurs clés, comme l’agriculture et le tourisme, seront particulièrement vulnérables. Les cultures locales devront s’adapter à des conditions climatiques changeantes et aux maladies vectorielles, ce qui pourrait réduire les rendements et augmenter les coûts pour les agriculteurs. Le tourisme, pilier économique des deux îles, pourrait également souffrir des effets négatifs du changement climatique, notamment la montée des eaux , l’érosion des plages et la dégradation des écosystèmes marins, tels que les récifs coralliens. Ces transformations ajoutées aux conséquences du vieillissement de la population exigeront un soutien financier important de l’État pour permettre une diversification des activités économiques et la création de nouvelles filières plus résilientes et durables.

Le coût financier global de ces transitions pour la Guadeloupe et la Martinique sera considérable, bien qu’il soit difficile à quantifier précisément. Pour ce qui nous concerne , nous l’estimons à 4,7 milliards d’euros d’ici 2032.

Pour faire face à ces défis, l’État devra adopter une stratégie financière proactive et ambitieuse en Guadeloupe et en Martinique. Cela inclut des investissements massifs dans la modernisation des infrastructures, le soutien à la transition énergétique et numérique, et la mise en place de dispositifs spécifiques pour protéger les populations vulnérables face aux aléas climatiques. Une réforme fiscale adaptée au contexte local, favorisant les comportements durables tout en limitant les impacts sociaux, sera indispensable. Par ailleurs, le financement de ces transformations devra s’appuyer sur des partenariats entre l’État, les collectivités locales, l’Union européenne et le secteur privé, afin de partager les coûts et maximiser les impacts positifs.

En somme, les mutations technologiques et le changement climatique représentent un défi colossal pour la Guadeloupe et la Martinique, mais également une opportunité unique de réinventer leur modèle économique vers plus de durabilité et de résilience. Si les coûts à court-moyen terme sont élevés, les bénéfices à long terme, en termes de sécurité, de développement et de qualité de vie, en feront un investissement essentiel pour ces territoires.
La Guadeloupe et la Martinique, fortement dépendantes des importations, doivent impérativement se tourner vers des modèles plus résilients en matière de développement . Cela passe par une valorisation des ressources locales, notamment dans le domaine des énergies renouvelables, pour réduire leur dépendance énergétique. Le développement de l’économie bleue, à travers la pêche durable ou les biotechnologies marines, pourrait également constituer un levier de croissance. En outre, encourager la transformation locale des matières premières en provenance de l’Amérique du Nord et surtout du Sud avec la signature de l’accord du MERCOSUR permettrait non seulement de limiter les importations, mais aussi de créer des emplois et de renforcer la souveraineté économique. Cependant, pour que ces initiatives se concrétisent, il sera nécessaire d’obtenir des fonds spécifiques, notamment dans le cadre des politiques européennes ou des subventions françaises, afin de pallier les coûts initiaux élevés de ces transitions.

Dans ce contexte mondial complexe, l’intégration régionale pourrait offrir des opportunités significatives à la Guadeloupe et à la Martinique. En renforçant leurs partenariats avec des organisations comme la CARICOM, ces territoires peuvent jouer un rôle moteur dans des projets communs avec leurs voisins caribéens, qu’il s’agisse d’abord d’économie, d’énergie, de tourisme ou d’éducation notamment au niveau de l’enseignement supérieur . De même, leur statut particulier en tant que territoires européens pourrait les positionner comme des hubs maritimes et logistiques ou fiscaux attractifs pour les investisseurs étrangers, facilitant les flux commerciaux entre les blocs occidentaux et émergents. Toutefois, cela nécessite une stratégie proactive pour maximiser les avantages liés à cette double appartenance.

La mobilisation des institutions internationales constitue également un levier crucial pour les territoires ultramarins. Dans un contexte marqué par une intensification des crises climatiques et économiques, la Guadeloupe et la Martinique peuvent revendiquer un soutien renforcé auprès d’organismes tels que la Banque centrale européenne ou l’agence française de développement . En plaidant pour des moratoires sur leurs dettes ou en obtenant des financements verts pour des projets de résilience climatique, elles pourraient atténuer leurs vulnérabilités structurelles. Ces territoires disposent en effet d’un potentiel unique pour devenir des vitrines mondiales de la biodiversité et de la transition écologique, ce qui renforcerait leur attractivité internationale et leur capacité à attirer des financements.

Enfin, face à ces défis, une adaptation institutionnelle est essentielle. La Guadeloupe et la Martinique doivent intensifier leur dialogue avec l’État français pour obtenir des politiques différenciées , notamment un pouvoir normatif dans le cadre des habilitations et dérogations de l’article 73 de la constitution qui devraient être réformées pour tendre à la globalité et mieux adaptées à leurs réalités locales. Cela inclut des subventions spécifiques, des aménagements fiscaux ou encore une plus grande autonomie économique et budgétaire pour gérer les enjeux locaux. Parallèlement, une meilleure intégration des populations locales dans la définition des priorités stratégiques pourrait renforcer la légitimité et l’efficacité des politiques mises en place. Toutefois, cela nécessite une volonté politique forte et une coordination financière efficace entre les différents acteurs locaux et nationaux, d’où notre appel à aplanir les différents politiques avec le pouvoir central et cesser la politique de la chaise vide et surtout des oppositions idéologiques stériles avec l’État.

Ainsi, dans cette nouvelle configuration géopolitique mondiale, la Guadeloupe et la Martinique disposent de marges de manœuvre significatives, mais celles-ci dépendent d’une capacité à anticiper le coût prévisionnel des mutations globales et à s’insérer de manière proactive dans les dynamiques régionales et internationales. Leur position stratégique, leurs ressources naturelles et leur statut particulier devraient conférer à ces régions un rôle unique dans les négociations globales, mais cela exige une vision prospective claire et des actions concertées pour surmonter les défis du coût financier des mutations technologiques , sociétale , économiques et climatiques qui se profilent à l’horizon 2030.

“Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement.”

Jean marie Nol économiste