— Le n° 364 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —
Il faut beaucoup de toupet pour présenter cette revendication comme une lubie idéologique. Dans la négociation avec le RPPRAC, on entend la grande distribution affirmer que ses marges sont faibles, égales à celles de France (comme si d’ailleurs c’était un modèle), qu’elle peut s’engager à les baisser.
On entend Serge Letchimy dire que la CTM veut participer à un organisme de contrôle, mais parler en même temps du « secret des affaires » comme règle admise.
On entend le Préfet déclarer que ses services sont sans complaisance. Ah bon !... Et on doit vous croire, braves gens ?
Au pays du mensonge systémique, croire sur parole serait faire preuve d’une grande naïveté. Nous opposer le « secret des affaires », c’est dire clairement qu’on ne veut une négociation sérieuse, ni sur les prix, ni sur les salaires alors que les deux choses sont liées, et conditionnent le niveau de vie.
Retour de flamme assimilationniste
C’est au prix d’une révision idéologique déchirante, que le mouvement ouvrier antillais s’est sorti de la gangue assimilationniste, qui lui faisait dire « la Martinique, c’est la France », même être un « lambeau de la France palpitant sous d’autres cieux », et réclamer « Nous voulons tout comme en France ».
Aujourd’hui, par manque d’attention, par facilité ou par concession à l’idéologie assimilationniste on voit ressurgir le vocabulaire et la tactique assimilationnistes. Deux exemples pris dans la lutte actuelle : pour réclamer une baisse significative des prix, on parle de « mêmes prix qu’en France ». Pour réclamer une baisse des prix des transports de personnes et de marchandises, on revendique la « continuité territoriale ». À défaut de « labourer la mer », serait–il question d’assécher l’océan entre la France et nous ?
Si certains ont hurlé pour réclamer « Hexagone » au lieu de métropole (ce qui n’est pas sans ambiguïté), on peut bien faire l’effort de formuler nos revendications sans nourrir l’imaginaire assimilationniste ! On veut la baisse des prix ! Et la France n’est ni un modèle en la matière, ni un reflet correct de nos besoins de consommation.
Jean-Philippe Nilor proposait, pour parvenir à une baisse des prix du transport, une « délégation de service public » attribuée aux opérateurs privés du secteur. Mais face à la rapacité bien connue des capitalistes concernés, nous ne voyons d’autres moyens que la nationalisation ou la réquisition sous contrôle populaire de ces entreprises.
Rappelons le discours de l’époque de la privatisation de Air France. Ce devait être une garantie de concurrence et donc de justes prix. On voit bien le résultat vingt ans après !
L’axe des revendications populaires ne peut être ni l’alignement pur et simple sur la France ni les aménagements sans conséquences sur les structures économiques.
Des idées aux luttes : Pour mettre à exécution !
Serge Letchimy parle avec insistance de la nécessité de développer l’autonomie alimentaire par l’aide à l’agriculture paysane. Empêcher que la baisse des prix alimentaires ne se traduise par une aggravation des difficultés des petits agriculteurs, est évidemment une nécessité. Cela passe par l’attribution de terres en friches et des aides européennes. Ces revendications font partie de ce que Lyannaj Pou Dépolyé Matinik (LPDM) répète depuis sa naissance en 2018, reprenant là, des points mis dans la dernière mouture de la plateforme de négociation de février 2009. LPDM s’est mobilisé sur ces points en interpellant vivement l’institution territoriale.
Jusqu’à maintenant, les belles paroles des majorités qui se succèdent, sont restées lettre morte. Aujourd’hui, le Président de la CTM dénonce l’inertie et les freins de l’État, les complexités de l’organisation européenne. D’où notre question : va–t’il régler cette question avec ses seuls petits bras de PCTM ?
Sans une mobilisation des concernés, du mouvement social, des élu·e·s convaincu·e·s de la question, sans le contrôle par la population des actes réels de chacune des parties, les mêmes discours reviendront avec les mêmes résultats. Une démarche vers un front politique et social agissant est le seul critère permettant de juger du sérieux les uns et des autres.
Octroi de mer, serpent de mer ?
Il s’agit bien d’un serpent de mer qui revient périodiquement avec son pesant de confusion. Les pour et les contre peuvent y baigner car la question est subtile. On ne peut y voir clair qu’en s’accrochant à des principes éclairés par la lutte des classes.
Premier principe : les taxes sur les produits de consommation sont un impôt qui frappe d’abord le peuple et dont la fonction est d’alléger les impôts directs sur les plus riches. Plus les revenus sont bas, plus la partie des budgets consacrés à cette consommation est lourde. C’est l’inverse pour les hauts revenus.
Deuxième principe. L’octroi de mer, héritage colonial, est une entorse aux règles de la « concurrence pure et parfaite » qui s’est imposée par le rapport de forces, mais qui reste dans le collimateur des ultra libéraux de France et d’Europe. Cette entorse permet de rendre plus chers les produits importés là où la production locale existe. Donc ce qui est imposé aux consommateurs locaux sert à la production locale.
Troisième principe. Cette taxe joue un grand rôle dans le budget des communes, ce qui a la fois favorise l’aide sociale et l’emploi même précaire. Du même coup, l’État en profite pour diminuer les sommes allouées aux communes.
Quatrième principe : l’octroi de mer donne un petit pouvoir fiscal aux élus territoriaux, leur permettant d’agir indirectement (même faiblement) sur le plan économique et social. Protéger certains productions et agir sur les inégalités en taxant ou détaxant des produits en fonction de la fortune supposée du consommateur.
Il résulte de ces principes que tant que la Martinique ne disposera du pouvoir sur la fixation des impôts directs et indirects, tant que le rapport de forces ne permet pas d’imposer à l’État des dotations convenables aux communes, les élu·e·s devront naviguer entre des écueils contradictoires et prendre en compte les questions du coût de la vie, de la production locale, de l’emploi, du pouvoir de décision face au pouvoir central. La suppression de l’octroi de mer sur les produits de première nécessité est un principe positif, si la perte fiscale est compensée par un financement alternatif.