— Par Martine Gross, sociologue, CNRS
TRIBUNE
Marie-Josèphe Bonnet, dans sa tribune du 1er juillet, remarquant que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la France pour avoir refusé d’inscrire la filiation paternelle, estime que la mère «biologique» devrait être inscrite également sur l’acte de naissance de son enfant. Les situations où la femme qui a accouché de l’enfant n’est pas mentionnée interpellent la plupart des opposants à l’encadrement légal de la gestation pour autrui (GPA), parce qu’elles heurtent leur profonde conviction qu’une femme qui a porté un enfant, et en a accouché, en est la mère.
Sur le même sujet
Lettre ouverte
GPA : Monsieur le président de la République…
Par Jacques Delors et Lionel Jospin
Or, cette conviction ramène les femmes à la «nature». Dans notre droit, les femmes sont mères, non parce qu’elles reconnaissent leur enfant, non parce qu’elles expriment leur volonté d’être mère, mais seulement du fait d’un événement charnel, l’accouchement ; tandis que les hommes sont pères en exprimant leur volonté d’être père (reconnaissance, mariage). Les femmes ne peuvent exprimer leur volonté que pour refuser d’être mère, et cela s’appelle un abandon et est très fortement culpabilisé dans nos sociétés. Les femmes qui prétendent être mères sans avoir accouché (ni avoir adopté) encourent une sanction pénale. Les hommes qui reconnaissent un enfant dont ils ne sont pas géniteur, n’encourent aucune sanction mais tout juste un risque de contestation de filiation. Bref, la filiation instituée n’est un fait social que pour les hommes.
Pour les femmes, c’est donc un fait charnel, l’accouchement. Bien sûr, elles ont le droit d’interrompre leur grossesse. Bien sûr, elles ont le droit d’accoucher sous X. Mais dans les deux cas, l’accouchement n’a pas eu lieu ou bien est réputé n’avoir pas eu lieu. Or, comme l’ont écrit Simone de Beauvoir et, plus récemment, Elisabeth Badinter, on n’est pas forcément mère parce qu’on a accouché, certaines n’adopteront jamais leurs enfants. C’est seulement le droit qui le dit. Pourquoi les femmes devraient-elles être automatiquement assignées aux responsabilités maternelles du seul fait d’avoir accouché ?
Des juristes voient dans la GPA une atteinte à l’ordre public notamment parce que la filiation maternelle n’est pas établie à l’égard de celle qui a porté l’enfant. L’argument est celui de l’indisponibilité de l’état des personnes. La GPA permettrait aux parents intentionnels et à la gestatrice de manipuler la filiation de l’enfant et contreviendrait à ce principe qui dit que seule une décision de justice peut modifier l’état civil d’une personne et que celui-ci n’est pas à la disposition de chacun. C’est balayer un peu rapidement le fait que si la GPA était encadrée, ce serait bien une décision juridique qui permettrait dans un contexte contrôlé d’établir la filiation à l’égard des parents intentionnels. Cette filiation serait établie à l’aide d’un engagement anticipé comme par exemple celui préconisé par le rapport «Filiation, origines, parentalité» d’Irène Théry et Anne-Marie Leroyer dans le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA) avec tiers donneur.
La GPA pose indéniablement des questions éthiques, notamment le risque d’exploitation des femmes les plus pauvres. Mais l’interdiction française n’apporte pas de réponses satisfaisantes à ces questions. Elle conforte le recours au marché procréatif international, et conduit les parents à suivre des voies où le risque de marchandisation du corps des femmes n’est pas exclu.
En interdisant ici, nous fermons les yeux sur les conditions pratiquées ailleurs. Or, nos exigences morales valent aussi pour les femmes à l’étranger sollicitées par des Français qui n’ont pas d’autre choix si la France ne propose pas un encadrement légal de la pratique. Porter un enfant ne prive pas une femme d’un organe, ne lui retire rien, contrairement au don d’ovocyte qui pose pourtant moins de problèmes légaux.
La grossesse choisie est une liberté individuelle, et même une «conquête» des femmes avec la légalisation de la contraception et le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Pourquoi les femmes ne pourraient-elles pas être libres de mettre leur utérus à disposition pour quelques mois ? L’interdiction actuelle équivaut à dire que les femmes françaises ne peuvent consentir librement et en toute conscience, qu’il faut les protéger contre elles-mêmes. Les dérives marchandes observées au niveau mondial ne constituent pas un contre-argument à l’autorisation de la GPA en France. Le trafic d’organes n’a pas entraîné l’interdiction de la greffe d’organes dans notre pays. Les trafics d’enfants n’ont pas abouti à l’interdiction de l’adoption mais ont poussé les Etats à s’en prémunir à l’aide de conventions internationales.
Une réglementation internationale sur le modèle de la Convention de La Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, avec la mise en place d’autorités centrales, de garanties procédurales et d’un dispositif de contrôle des organismes prestataires de services pourrait limiter, voire empêcher, les dérives menant à l’exploitation des femmes les plus démunies et viser à garantir leur protection.
Dernier ouvrage paru : «Parents-enfants : vers une nouvelle filiation ? Question de droit et de société», Claire Neirinck, Martine Gross, la Documentation française, Place au débat, juin 2014.
Martine GROSS Sociologue, CNRS
Sur le même sujet
Lettre ouverte
GPA : Monsieur le président de la République…
Par Jacques Delors et Lionel Jospin