—Par Roland Sabra —
A Madiana
James Brown est d’une certaine manière une caricature du musicien génial et imbuvable. Misogyne, mégalomane, drogué, « tabasseur » de femmes, limite esclavagiste. Tout pour plaire ! Mais dussions-nous le répéter à chaque page écrite nous rappellerons sans cesse que nul ne se résume à ses actes. Mister Brown fût aussi un des musiciens noirs les plus géniaux du siècle dernier. The Godfather of Soul il fût et il demeure. Le parrain pour le côté voyou de l’indépassable inventeur de la funk . Sa force sera de se dégager du gospel, du Rn’B pour inventer sa propre musique, à la force du poignet. Il a poursuivi sur la scène comme dans la vie, un seul objectif, un seul chemin, celui de la maîtrise, celui du pouvoir absolu. Tout contrôler, en tout temps en tout lieu. Si la musique est un business, mieux vaut ne laisser aux requins blancs que les miettes. A ce titre on comprend pourquoi il est un modèle pour les rappeurs d’aujourd’hui. I’m black I’m proud!⋅ Le public d’un concert il faut le prendre par la main dés le début et le mener là très exactement, à l’endroit précis où l’on à décider de le mener⋅ Ce qui a fasciné et fascine encore Mick Jagger, co-producteur du film, pour qui Brown a été et est encore le modèle absolu.
Le film de Tate Taylor (La couleur des sentiments) situe avec justesse l’origine de ce totalitarisme brownien. A la naissance il ne respirait pas. Né-mort il fut sauvé par un bouche à bouche. Ce sentiment d’avoir vaincu la mort, d’avoir fait changer d’avis le Dieu tout puissant, d’être au dessus des mortels, de naviguer au delà des limites ordinaires il l’emportera comme une certitude chevillée au corps. Enfant balloté entre la violence un père alcoolique, souvent en vadrouille, l’absence d’une mère pute, un peu, beaucoup, plus attachée à ses clients qu’a son fils il a été le jouet d’une funeste déréliction parentale, objet de querelles qui le niait en tant que sujet. Plus jamais ça dira-t-il ! Avec la solitude pour seule véritable compagne d’un tel choix de vie. Le film ne verse pas dans l’hagiographie, il ne fait pas l’impasse sur les côtés sombres du personnage, tout en faisant ressortir une énergie du désespoir, un désir de vie qui apparaît comme l’accomplissement d’une revanche avec de sombres moments de dés-intrication d’Eros et de Thanatos. Les flash-back entre les traumas de l’enfance et les douleurs de la vie d’adulte s’ils évitent la linéarité d’un récit versent par moment, mais par moment seulement dans un didactisme un peu trop souligné. Le montage est surtout rythmé par la musique. Tout comme le premier temps de la mesure, les toutes premières images du plan, de la séquence sont les plus fortes, les plus marquées, l’explication, le sens ne venant, ne surgissant qu’après la période d’exposition. La voix est belle, nasillarde, éraillée, chaude, puissante, le passage de la parole au chant en playback se fait imperceptiblement et miracle(!) les chansons passent en entier. Enfin il faut souligner l’incroyable, l’invraisemblable, la sidérante, performance du comédien qui tient le rôle. Chadwick Boseman est tout simplement magnifique de vérité. Il porte le film et ses deux heures vingt minutes en paraissent dix fois moins. Un film qui donne envie de danser? Pas si fréquent!
Fort-de-France, le 12/10/2014
R.S.
« Get on up » de Tate Taylor (Etats-Unis). Avec Chadwick Boseman, Nelsan Ellis, Viola Davis, Dan Aykroyd, Lennie James, Fred Melamed, Octavia Spencer, Jill Scott – 2h19 –