— Par Député européen, membre du Groupe des Verts / Alliance libre européenne —
Avec l’opération antimigrants engagée par le ministre de l’intérieur et des outre-mer, Mayotte, île restée française pour des raisons géostratégiques, risque d’être le théâtre d’atteintes à notre droit et à nos valeurs extrêmement inquiétantes, alerte, dans une tribune au « Monde », l’eurodéputé écologiste Damien Carême.
A Mayotte, dans une opacité anxiogène, Gérald Darmanin peaufine les détails de son opération militaro-policière de vaste ampleur « Wuambushu » (« reprise » en mahorais). Cette opération a pour objectif « de lutter contre l’immigration illégale, l’insalubrité publique et l’insécurité sur l’ensemble du territoire ».
Objectifs vagues, dates d’intervention floues, alimentation des discours de haine et bribes d’informations : tout est réuni pour que ce qui n’est rien d’autre qu’une opération antimigrants embrase ce territoire depuis trop longtemps déjà fragilisé et maltraité de la République.
Dans un silence assourdissant et délibéré du gouvernement français se profilent des violations massives des droits fondamentaux des habitants de Mayotte. Ce tourbillon de violence et de répression – seule réponse d’un gouvernement aux abois – doit être l’occasion de dénoncer les conditions dans lesquelles la France a abandonné son 101e département.
Pauvreté endémique
A 8 000 kilomètres de Paris, le manquement de l’Etat français à ses obligations nationales, internationales et européennes, les atteintes portées aux droits les plus fondamentaux des personnes, au respect du principe de l’Etat de droit ou encore des valeurs fondatrices de l’Union européenne sont légion.
A Mayotte, grande oubliée du triptyque républicain, la pauvreté est endémique, les inégalités croissantes : 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, 40 % dans des habitations informelles. Chaque jour, des milliers d’habitants, déjà placés en situation de grande précarité et d’extrême vulnérabilité, voient leurs droits bafoués dans l’opacité, l’indifférence et l’impunité les plus totales.
Avec « Wuambushu », le ministre de l’intérieur et des outre-mer ne s’attaque pas à l’habitat insalubre et à la migration irrégulière : il s’attaque aux pauvres ! A Mayotte, l’Etat français a imposé des politiques inadaptées aux spécificités et enjeux de l’île, et plus largement de l’archipel. Régulièrement contesté sur le plan juridique au niveau de l’Organisation des nations unies et de l’Union africaine, le rattachement de Mayotte à la France a brisé le principe d’unité territoriale de l’archipel des Comores, où prévalait la liberté de circulation.
Devenu département français en 2011, Mayotte n’a jamais bénéficié des nécessaires investissements dans l’éducation, la santé et l’éradication de la pauvreté que ce nouveau statut aurait dû lui apporter. A Mayotte, chaque jour, les habitants le constatent : ils n’ont pas les mêmes droits que ceux établis dans les autres départements français.
Détruire, expulser, violenter
Ces habitants délaissés, quels que soient les multiples statuts qu’on leur assigne – ressortissants français mahorais ou métropolitains, réfugiés, demandeurs d’asile, personnes en situation régulière ou non – sont maintenus par l’administration française dans la plus grande précarité, jusqu’à se voir dénier toute humanité. Département français sous-doté, abandonné d’une métropole indifférente, Mayotte agonise de ses fractures et des tensions sociales.
Face à la pauvreté et la délinquance à Mayotte, le gouvernement propose une solution « miracle » : détruire, expulser, violenter, alimenter les discours de haine. Orchestrer l’opération « Wuambushu » à Mayotte, c’est diriger la partition finale du concerto funeste de cette situation de « sous-droit », voire de non-droit, en France, donc sur le territoire de l’Union européenne.
Validée par Emmanuel Macron, cette opération de « décasage » inquiète profondément. Soignants, avocats locaux et métropolitains, enseignants, ONG, Commission nationale consultative des droits de l’homme, etc., nombreux sont ceux qui appréhendent l’embrasement et tentent d’alerter. En vain.
Avec l’opération « Wuambushu », Gérald Darmanin semble vouloir faire de Mayotte le laboratoire de sa politique : violente, inhumaine et indigne. A la crise de l’eau et de la vie chère, à l’épuisement des populations face au manque de structures sanitaires et scolaires, il répond par la répression.
Politique migratoire infâme
Sous couvert de lutte contre l’immigration irrégulière et l’habitat informel, son opération risque fortement d’aggraver les atteintes déjà portées quotidiennement aux droits des personnes : destruction de milliers d’habitations informelles sans garantie de relogement digne ; recours opaque et massif à des procédures de privation de liberté et d’éloignement sans aucun contrôle de légalité ; risques de refoulements illégaux et d’expulsions massives et expéditives vers les Comores et d’autres pays du continent africain ; atteintes aux droits de l’enfant ; aggravation des entraves à l’accès à l’éducation et aux soins. Autant de pratiques formellement interdites par la Convention de Genève et par la Convention européenne des droits de l’homme. Des atteintes à notre droit et à nos valeurs extrêmement inquiétantes qui confirment le virage sécuritaire et brutal pris par ce gouvernement.
Dans la droite ligne de sa politique migratoire infâme, à Mayotte comme en métropole, il lie immigration et insécurité grandissante, entretient un discours de haine et de xénophobie. En désignant l’« étranger », le « clandestin » – souvent originaires des îles voisines des Comores et de Madagascar – comme le responsable de tous les maux de l’île, il ne se contente pas de passer sous silence la responsabilité de l’Etat dans la situation mahoraise, il monte également les habitants les uns contre les autres en les catégorisant.
Il adoube et encourage les plus radicaux à déverser leur colère sur leur voisin, au risque de provoquer le pire. Portés par les discours ministériels martiaux et le racisme institutionnel, des citoyens mahorais « vigilants » harcèlent régulièrement les habitants de logements informels, déposent des lettres anonymes leur intimant de quitter leur logement, et commencent à s’armer, faisant craindre des affrontements communautaires d’une extrême violence.
La France a choisi de garder cette île dans son giron pour des raisons géostratégiques. Qu’elle assume son choix en dotant sa population des mêmes services publics et des mêmes conditions de vie que dans la métropole. La République française ne peut souffrir d’exception.
Damien Carême (Député européen, membre du Groupe des Verts / Alliance libre européenne) est l’ancien maire de Grande-Synthe (Nord).
Publié en tribune dans le Journal Le monde le 24/04/2023