— Propos recueillis par Rodolf Etienne —
Installé en Australie, originaire de l’île Rodrigues, Mauricien, Georgy de Lamare Lamvohee est aussi un militant pan-créole de la première heure. Au sein de Bannzil Kréyol[1] déjà (1981), mais également au sein d’autres groupes créés depuis, au fil des années d’engagement, des relations. Rencontre avec l’un de ceux qui, depuis l’Australie, via l’Océan indien et jusqu’à l’Océan Atlantique, fait vivre la créolité moderne…
Rodolf Etienne : En termes d’avancée, d’évolution, vous qui avez fait partie du premier groupe international créole (Bannzil Kréyol) comment définiriez-vous la pan-créolité aujourd’hui ?
Georgy de Lamare Lamvohee : C’est un peu triste de constater que depuis la disparition sur la scène internationale créole de l’organisation Bannzil Kréyol, le nombre de rencontres académiques ou militants entre créoles a grandement diminué. Ces rencontres annuelles, comme aux Seychelles par exemple, et la couverture médiatique qu’il y avait autour faisaient que les pays, îles et diasporas créoles se sentaient plus proches l’un de l’autre. Les Seychelles poursuivent avec leur festival annuel qui a débuté en 1982. Mais il n’y a plus de ces grandes rencontres entre créolistes venant du monde créole. Cela est surtout dû au manque de financement de tels rendez-vous. Les créolistes ont du mal à engager les frais. Même ceux qui peuvent se payer le billet et/ou l’hébergement ne se déplacent plus. Heureux toutefois de constater, tout de même, que dans l’Océan Indien, l’île Rodrigues et l’île Maurice organisent également des festivals créoles annuellement ou les artistes et créolophones se rencontrent et partagent leur créolité mais, de mon point de vue, pas avec la même vigueur, le même dynamisme qui existait autrefois. C’était vraiment la grande rencontre des créoles. Pour autant, les militants de la créolité internationale n’ont pas baissé les bras. Il y a eu la création de L’OIPC (Organisation Internationale des Peuples Créoles, ndlr), et d’autres contacts se sont établis. C’est comme ça que nous savons aujourd’hui beaucoup plus sur les Créoles de la Louisiane et leurs activités. Positivement, le mois Créole à Montréal continue chaque année, et Sainte-Lucie fête le mois Créole également avec faste. Je constate également que le mois Créole est ailleurs également célébré dans la Caraïbe. Le site web Potomitan de Francesca Palli, joue un rôle important au niveau de la diffusion de nouvelles du monde créole. La technologie aidant les conversations entres créoles du monde s’intensifient. Je suis en contact permanent avec Franklin Pierre de Haïti et nous partageons souvent autour de ce qui se passe sur le plan du développement de la créolité internationale en Haïti. Les sites webs se multiplient, les échanges mails également. Il y a également des radios Kréyol à travers le monde créole qui diffuse la musique créole. Force est de constater que depuis cette première rencontre à Ste Lucie, en 1981, la pan-créolité est né et a grandi et pris de l’ampleur. Les partages continuent et les créoles des diverses parties du monde se connaissent bien plus aujourd’hui qu’hier. Exemple les créoles de la petite île Rodrigues savent qu’ils ont des cousins à travers le monde qui avec qui ils ont des points communs à travers cette culture créole. Puis la journée International créole du 28 Octobre est célébré un peu partout dans le monde créole sous forme de forums ou autres manifestations culturels. Conclusion il y a progression même si elle parait lente mais elle est profonde.
R.E: Comment jugez-vous, aujourd’hui, le monde créole dans son ensemble ?
G.L: Nous avons parcouru un long chemin depuis 1981. Il y a eu beaucoup de littérature sur notre culture et notre langue. Nous nous connaissons bien plus qu’hier. Les rencontres et échanges nous ont permis de mieux nous connaitre et je sens qu’aujourd’hui il y a plus de solidarité entre créoles. Notre langue notre musique et notre cuisine transcende le monde. Aujourd’hui le monde entier sait que nous existons comme un peuple avec une culture unique même si nous sommes dispersés à travers le monde. Toutefois, le monde créole, tout comme la culture créole, sont menacés par la modernité et par la mondialisation des cultures. Je constate que les jeunes tentent à négliger leur culture propre et se laisser entrainer dans le courant du marketing à l’occidental pour ne pas dire à l’américaine. D’autre part, je constate que cette menace de la mondialisation a créé également une résistance de la part des militants créoles pour faire revivre et renforcer la culture créole et ne pas la laisser corrompre ou se pendre dans cette ère postmodernité. Il nous faut encore plus de solidarité entre créoles du monde.
R.E : Quand on parle de créolité internationale, on parle bien d’une fraternité humaine, culturelle, identitaire, de traits communs et spécifiques entre des populations disséminées ici et là sur la planète. Comment se situerait la créolité internationale, la pan-créolité dans ce maelstrom identitaire, dans ce vaste mouvement de population, partout sur le globe ?
G.L : Nous créoles, sommes fiers d’avoir apporté au monde une nouvelle culture, une nouvelle civilisation, née aux temps des colonies, née dans la souffrance et sur les plantations, née entre l’esclavage et la colonisation, colonisation anglaise, française, espagnole ou portugaise. Cette culture créole s’est développée en une culture créative, nouvelle, unique et dynamique et qui continue de se développer aujourd’hui encore. Il faut aussi accepter que sur cette base se sont greffés d’autres éléments et apports venus de L’Asie par exemple. Avec cette culture métisse, nous nous ouvrons plus facilement aux autres cultures et nous sommes plus aptes à les apprécier. Mgr Gilbert Aubry (Réunionnais) me disait que le créole est comme une boite de crayons couleurs, à chaque fois qu’il interacte/s’entretient avec quelqu’un qui est diffèrent de lui, il tire un crayon de couleur différente. Ce qui résume que nous créoles pouvons nous adapter plus facilement dans une nouvelle situation de rencontre et certainement mieux accepter les autres. Le succès de nos diasporas en Europe, Asie, Australie, Canada ou ailleurs est un reflet de cette ouverture. D’autre part, les rencontres, études et discussions, au fil des années, nous ont permis de faire un inventaire de ce que nous avons en commun que ce soit la cuisine, les contes, l’architecture, la musique, les danses, en dehors des langues qui sont sensiblement différentes même s’il y a une base commune, que l’on peut reconnaître. Donc on peut dire que nous avons une culture commune même si nous parlons différemment, entre créoles du monde. Je me souviens de ce forum très intéressant organisé par L’Université de Toronto ou justement nous avons fait ressortir ces points communs qui sont même surprenants. Vu que nous partageons bien des choses en commun fait que nous nous sentons plus proches et solidaires, les uns des autres. Nous pouvons aussi dire que, même si aujourd’hui nous ne sommes ni Européen, ni Africain, ni Asiatique, nous avons une identité créole singulière et cependant similaire, proche malgré les distances, ce qui reflétée par notre façon de vivre, notre façon de voir le monde. Même si nous ne pouvons nier nos racines ni tourner le dos au passé, parfois trouble qui nous porte, aujourd’hui nous sommes fiers de ce que nous sommes, tout en regardant avec un regard neuf vers l’avenir afin d’établir notre place dans le monde.
R.E : En Australie, comment se vit la créolité ? Et la créolité internationale ?
G.L : La Diaspora créole de l’Australie est principalement composée de gens provenant de l’ Ile Maurice, les Seychelles et l’île Rodrigues. Dans cette créolité, il y a certainement une poignée venant de l’ île de la réunion créole ou d’autres îles du Pacifique comme Haïti et les Antilles. L’immigration de l’ Australie a commencé dans les années 60 et les plus grands groupes sont venus dans les années 1970 et 1980. Depuis, il y a eu des arrivées sporadiques. Les créoles, sont éparpillés dans la plupart des grandes métropoles de l’Australie. Le plus grand nombre de Créole habite Melbourne où ils sont groupés dans des clubs. En deuxième lieu vient ceux de Sydney et Perth est troisième. Compte tenu d’un climat plus chaud, beaucoup de Créoles de Melbourne et Sydney s’installe dans l’état de Queensland, mais ce sont pour la plupart des retraités. Les Créoles en Australie, au cours des années, ont gardé des liens étroits avec leur Mère-Patrie, principalement parce qu’ils ont encore de la famille là-bas. C’est aussi un fait qu’ils ont conservé la plupart de leurs traditions et de leur culture, vu que la plupart d’entre eux sont arrivés en Australie adultes. Malgré cette situation, même les enfants nés en Australie ont naturellement fait l’acquisition de la plupart de la mode de vie créole. Les activités communautaires comme des bals, fancy-fairs, sports, rencontres sociales, etc., ont également contribué à maintenir un fort soutien dans ce sens. Même si la vie peut être plus rapide, voire stressante par moments, et la vie professionnelle qui est loin d’être comme « back home », les Créoles de l’Australie ne sont pas du tout en contradiction avec leur mode de vie. L’architecture d’habitation pourrait être différent, mais les aliments cuits à la maison sont toujours très créoles. C’est un plus en Australie, tous les produits et ingrédients pour préparer un bon repas créole typique, par exemple, est facilement disponible. Même s’ils sont entourés d’une atmosphère anglophone, à la maison on écoute sur cassette, la musique francaise et créole à tout moment. Comme pour les nouvelles sur les îles, l’Internet est là. Ou c’est la radio communautaire qui vous donnera les titres. Pour la danse, il y a un bal chaque samedi à Melbourne. Sinon, il y a souvent une animation ou un rassemblement de club en week-end, où nous allons pour boire un verre ou bavarder en créole et partager les derniers potins de la communauté ou encore pour parler politique dans la Mère-Patrie. Pour les festivals multiculturels, qui sont organisés au niveau de l’État, en Australie, il y a toujours un groupe créole qui participe, principalement un groupe des danses traditionnelles des îles créoles de l’Océan Indien. Pour nous, on reste Créole, peu importe ou l’on vit. C’est aussi ça la créolité internationale, la pan-créolité.
Propos recueillis par Rodolf Etienne
Georgy de Lamare Lamvohee
Georgy de Lamare Lamvohee est à l’origine du groupe The Creole Institute of Australia (Institut Créole d’Australie). L’Institut Créole d’Australie est une organisation apolitique qui s’engage à promotionner la culture créole en Australie et au-delà : musique, danse, cuisine, architecture, histoire, contes, etc. L’institut promotionne la rencontre des idées et des informations au sein de la communauté créole australienne et à travers le monde. L’Institut Créole d’Australie est affilié au Creole Heritage Centre de la Lousiana (USA), à l’institit Kreol Sesel (Seychelles), à l’IOCP (International Organisation of Creole People)(Australie), au site internet Potomitan (Suisse), au Centre Mandela Moris (Maurice) et au site internet Montray Kreol (Martinique).
Les membres fondateurs. Georgy de Lamare Lamvohee, Raphaël Confiant, Jimmy Harmon, Serge Félix, Pierre Argo, Rodolf Etienne, Clancy Philippe. Parmi eux les membres fondateurs de l’association Bannzil Kreol et de International Organisation of Creole People.
E-mail : georgydelamare@yahoo.com.
Plus d’infos. Piman FM. Australie. Programmes créoles.