— Par Dominique Widemann —
Gente de bien, de Franco Lolli. Colombie, France, 1 h 27. Ce premier long métrage d’un cinéaste colombien qui vit en France retrace le chemin difficile des relations entre père et fils, entre réalisme et conte moral.
La séquence initiale de Gente de bien renseigne beaucoup en en faisant peu. À un carrefour de Bogota, une femme confie son fils d’une dizaine d’années au père de celui-ci. On comprend que le couple est séparé par la méconnaissance palpable que père et fils ont l’un de l’autre. La situation sociale qui, en Colombie, contraint de nombreuses femmes pauvres à s’exiler pour travailler en laissant leurs enfants derrière elles demeurera en filigrane d’un dessin bien plus vaste de relations humaines. Gabriel, le père du petit Éric (Carlos Fernando Perez et Brayan Santamaria), n’est guère mieux loti. Menuisier toujours en quête d’ouvrage, il doit partager avec son fils l’espace exigu qu’il occupe dans une location minable. Faire place à cet enfant, qui lui-même ne s’en voit pas, n’est pas affaire d’étagères. La finesse du traitement réaliste de Franco Lolli réfutera tout au long du film un misérabilisme aux aguets dans toutes sortes de décors et situations auxquels seront confrontés ses personnages.
Une joyeuse équipée équestre va réunir riches et pauvres
C’est que, d’emblée, il leur confère une subtilité émotionnelle dont les interactions dépasseront les cadre impartis. Cadre un peu sordide, en l’occurrence. Gabriel jusqu’ici s’y résignait, en compagnie de sa chienne, animal affectueux mais guère vaillant qui jouera son rôle. La présence d’Éric transformera son regard sans pour autant l’éclairer vraiment sur une paternité inconnue. Entre autres tâches modestes, Gabriel répare les meubles de Maria Isabel (Alejandra Borrero) dans l’appartement de cette dernière où vivent également ses deux enfants, une grande adolescente et un garçon à peine plus âgé qu’Éric. L’aisance y est manifeste sans ostentation, mais compose aux yeux d’Éric un univers aussi étranger que celui d’une autre planète. Franco Lolli ne s’est pas autorisé les constructions spectaculaires qui oscillent entre faste et caniveau. Maria Isabel est enseignante. Chez elle on vit agréablement sans jeter l’argent par les fenêtres, pas plus qu’Éric n’est menacé de mourir de faim. Les préoccupations quotidiennes sont, certes, à mille lieues, mais les rencontres possibles. Franco Lolli les maintiendra sur de minces lignes de tension. Éric, remarquablement interprété, alterne envies et frustrations, plaisirs enfantins et sentiment rebelle de dépossession. Maria Isabel est une femme bienveillante qui souhaite aider Gabriel et ce fils qu’il lui présente. Dès leur première visite commune, elle incite son propre fils à donner ses vêtements trop justes à un Éric qui ne sait pas s’il est heureux ou honteux de les endosser tant le geste est guidé par autant de sincérité que de maladresse, et imprime surtout chez le gamin la conscience de sa condition. De même, Gabriel mesurera-t-il son insuffisance de père, tout en souhaitant à son fils le meilleur de ce qu’il ne peut lui procurer. La sismographie des liens affectifs se déclinera ainsi en pics et failles sur un terrain social à usage de révélateur sensible…