Un rapport d’historiens pointe « la défaite » intellectuelle de Paris et de François Mitterrand.
— Par Tanguy Berthemet —
La mission avait de lourdes ambitions. Il s’agissait de rien de moins que d’éclaircir le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, de sa responsabilité et de son éventuelle complicité. Très attendu, son rapport a été remis vendredi après-midi à Emmanuel Macron. Selon l’Élysée, il conclut « à une responsabilité de la France » dans le dernier génocide du XXe siècle mais semble « écarter la notion de complicité » active. « Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer », explique la commission.
La commission souligne néanmoins dans ses conclusions que la politique au Rwanda est une « faillite de la France », que le pays s’est « longuement investi auprès d’un régime qui encourageait les massacres racistes » et qu’il « est demeuré aveugle face à la préparation d’un génocide ». Elle y voit un ensemble de « responsabilités lourdes et accablantes pour la France ».
Responsabilité de François Mitterrand
L’imposant texte, quelque 1200 pages avec les annexes, n’ayant été publié que vendredi soir, les détails de l’analyse sont encore loin d’être connus. Dirigée par l’historien Vincent Duclert, la commission de 15 chercheurs a été mise en place en 2019 par Emmanuel Macron pour faire la lumière sur cette page controversée des relations franco-africaines. Elle a eu accès à l’ensemble des archives françaises – celles de la présidence, du premier ministre, de l’armée mais aussi de la DGSE – dont certaines n’avaient pas été ouvertes à la consultation. Et ce fut là son unique matériel. L’équipe souligne d’ailleurs les limites de cet exercice, insistant sur le manque de temps mais surtout sur l’absence de certains documents. Une absence peut être volontaire, la commission ne s’avance pas sur ce point, se contentant de noter, qu’à l’époque, « la conservation des pièces écrites n’a pas toujours été effectuée ».
À l’inquiétude de ministres, de parlementaires, de hauts fonctionnaires, d’intellectuels,
il n’est répondu que l’indifférence, le rejet ou la mauvaise foi
Les auteurs du rapport
La commission a choisi de suivre une ligne chronologique pour expliquer « la défaite de la pensée » que fut la politique française au Rwanda. Dans la première période (1990 à 1993), celle de l’opération « Noroît » et de l’engagement militaire français, se posent les bases de l’échec. L’idée est alors, selon la commission, « que le Rwanda a été agressé militairement par le FPR » où l’on voit, non pas une rébellion rwandaise à majorité de Tutsis, mais « un groupe ougando-tutsi (…) », voire « que son action s’inscrit sans un contexte géopolitique plus vaste encore ». Autrement dit : le péril anglo-saxon. Malgré les massacres, la France va justifier par cette idéologie « la livraison, en quantités considérables, d’armes et de munitions » et « l’implication très grande des militaires français dans la formation des forces armées rwandaises » parfois « en urgence ».
La seconde période (1993-1994) porte sur le désengagement français, qui ne change cependant pas la nature de l’analyse alors faite du conflit. La troisième période (1994) suit l’assassinat du président Habyarimana le 6 avril et le déclenchement du génocide. La France reconnaît certes assez vite l’existence d’un génocide mais ne change pas réellement de politique pour autant, affirme le rapport. « L’emploi du terme génocide n’entraîne pas cependant une remise en cause fondamentale de la politique de la France qui demeure obsédée par la menace du FPR et n’abandonne jamais la condamnation “équilibrée” des massacres commis par les deux camps. » Signe de cet « aveuglement continu », la France persiste même alors à imaginer « une négociation qui permettrait un partage d’un pouvoir entre le FPR et ce qui peut rester du régime ».
La commission analyse aussi les ressorts de l’opération «Turquoise», une intervention militaro-humanitaire lancée par Paris, sous mandat de l’ONU entre juin et août 1994. Ses détracteurs estiment qu’elle visait en réalité à soutenir le gouvernement génocidaire hutu quand Paris vantait alors une volonté de mettre fin aux massacres. Le rapport met en lumière que la vision très hostile au FPR a prévalu aussi dans « Turquoise » mais « l’effort de protection des Tutsis est réel ».
La commission analyse surtout les raisons « la lecture ethniciste du Rwanda », de la « défaillance » de l’appareil étatique qui a conduit à la défaite. « Un élément surplombe cette politique : le positionnement du président de la République, François Mitterrand, qui entretient une relation forte et directe avec le chef de l’État rwandais. Cette relation éclaire la grande implication de tous les services de l’Élysée. » « À l’inquiétude de ministres, de parlementaires, de hauts fonctionnaires, d’intellectuels, il n’est répondu que l’indifférence, le rejet ou la mauvaise foi », assurent les chercheurs.
Ce rapport va-t-il suffire pour apaiser les tensions entre la France et le Rwanda ? Le gouvernement rwandais a salué «un pas important vers une compréhension commune du rôle de la France», dans un communiqué. «Il va falloir des jours voire des semaines pour en tirer de véritables conclusions», assure un spécialiste du Rwanda qui préfère «pour l’instant» rester dans l’ombre. Le président Emmanuel Macron espère pouvoir relancer les relations avec Kigali, qui, souligne-t-on à l’Élysée, «a été tenu au courant étape par étape». Emmanuel Macron a d’ailleurs annoncé qu’il devrait se rendre, sans doute en mai, au Rwanda.
Source : LeFigaro.fr