Gaudi au Musée d’Orsay

12 avril – 17 juillet 2022

Antoni Gaudí (1852-1926), architecte et créateur de génie, a marqué l’Espagne au tournant du XXe siècle et continue de fasciner de nos jours. Pour la première fois depuis cinquante ans en France, une exposition de grande envergure est consacrée à ce maître de l’Art nouveau. Elle montrera l’extraordinaire créativité de cet artiste singulier, porteuse des bouleversements à l’œuvre dans la Catalogne de la fin du XIXe siècle, et qui s’exprime autant dans les détails de son mobilier qu’à l’échelle d’un projet architectural hors du commun : la Sagrada Familia à Barcelone

Le musée d’Orsay accueillera la première grande exposition consacrée à Antoni Gaudí organisée en France à Paris depuis cinquante ans. Dans une muséographie immersive, elle montrera les créations spectaculaires de cet artiste singulier, présentant notamment des ensembles de mobilier jamais exposés en France. Elle offrira une nouvelle vision de l’artiste en tant que figure unique et singulière, un génie non isolé ayant exercé dans une Catalogne en plein bouleversements sociaux, politiques et urbanistiques.

L’exposition s’attachera à montrer le processus créatif de l’architecte au milieu d’une profusion artistique locale exceptionnelle lié au « Modernisme » ou mouvement de l’Art nouveau en Espagne, porté par des commanditaires insignes, soucieux de distinguer la Catalogne, terre identitaire de nature méditerranéenne. L’atelier de Gaudí, ses nombreux collaborateurs, ses techniques de travail sophistiquées constitueront la ligne directrice de l’exposition pour faire comprendre au public l’extraordinaire capacité d’invention de l’architecte qui défia toute la création du moment.

À travers les quelques dessins subsistants de l’artiste, des maquettes et de nombreuses œuvres de mobilier, l’exposition reconstituera ce qui caractérise Gaudí : l’espace et la couleur. Elle mènera le visiteur au gré de ses créations de palais, d’hôtels urbains, de parcs, d’églises avec le projet hors du commun de la Sagrada Familia. Des films, des photographies et des documents d’époque viendront témoigner de la vitalité du parcours de l’architecte plasticien mais aussi du bouleversement artistique opéré à jamais sur Barcelone.

Autour de l’exposition

Exposition organisée par les musées d’Orsay et de l’Orangerie, Paris, avec le Museu Nacional d’Art de Catalunya à Barcelone (MNAC)

Exposition également présentée du 18 novembre 2021 au 6 mars 2022 auMuseu Nacional d’Art de Catalunya à Barcelone (MNAC)

Pourquoi l’image de Gaudí se confond-elle autant avec celle de Barcelone ?
Isabelle Morin Loutrel et Élise Dubreuil – Gaudí, c’est avant tout la Sagrada Família, et la Sagrada Família, c’est Barcelone qui s’incarne dans cette curieuse église.
C’est aussi la ville du «modernisme » (Art Nouveau catalan) avec ses constructions singulières, rivalisant l’extravagance, le long des nouvelles avenues de l’Ensanche, l’extension urbaine créée à partir de 1860 sur les plans de l’ingénieur Ildefons Cerdà. La plus célèbre d’entre elles est le Passeig de Gràcia, où ont été érigées des constructions de Josep Puig i Cadafalch, comme la Casa Amatller, et de Gaudí, la Casa Batlló et la Casa Milà.
La ville médiévale voit un autre architecte, Lluis Domenech i Montaner, y construire l’élégant Palais de la musique catalane, et Gaudí y élève celui de son mécène, Eusebi Güell. Gaudí est proche de ces architectes novateurs prisés par la bourgeoisie catalane. Il est aussi indissociable de Barcelone car il n’a pratiquement jamais quitté la ville entre
le début de ses études à dix-sept ans et son décès en 1926. Ses constructions se situent presque exclusivement dans
la ville, et la cathédrale, qui occupa quarante-trois années de sa vie d’architecte, continue de s’y édifier, faisant de Gaudí le symbole de l’identité catalane.

Comment Gaudí s’est-il formé ?
Isabelle Morin Loutrel et Élise Dubreuil – Gaudí étudie à l’École d’architecture de Barcelone, créée peu avant son arrivée en 1869 et dirigée par Elies Rogent i Amat, un architecte de formation académique mais sensible aux idées novatrices d’Eugène Viollet-le-Duc. Gaudí se forme en se plongeant dans les ouvrages de la bibliothèque de l’École, notamment le Dictionnaire raisonné de l’architecture française de Viollet-le-Duc (1854), et les écrits d’érudits
anglais tels que le critique d’art John Ruskin et l’architecte Owen Jones. Gaudí n’excelle pas dans les matières classiques, se montrant déjà singulier, et laisse sceptique son directeur, qui aurait proclamé à la remise de son diplôme en 1878 : « soit c’est un génie soit c’est un fou ». Dès la fin de ses études, Gaudí cherche à travailler et à se former auprès d’architectes en vue comme Francisco de Paula del Villar, à qui fut d’abord attribué le chantier de la
Sagrada Família, Josep Fontséré, le créateur du parc de la Ciutadella, et Joan Martorell, son professeur. Il s’inspira sans doute également de nombre d’illustrations et de cartes postales, car, bien qu’il n’ait pas voyagé, il était parfaitement informé de ce qui se faisait en Europe à l’époque. Il connaissait aussi bien l’art mudéjar et mozarabe (art chrétien influencé par l’art musulman en Espagne), que l’art baroque.

Le modernisme catalan dont Gaudí est la figure emblématique s’inscrit-il dans l’Art Nouveau européen ?
Isabelle Morin Loutrel et Élise Dubreuil – Gaudí appartient à la génération d’architectes barcelonais qui a fondé et animé le mouvement du modernisme catalan, avec notamment Lluis Domenech i Montaner et Josep Puig i Cadafalch. Ces architectes sont formés dans les années 1870-1880 et commencent à exercer à un moment où, dans toutes les métropoles européennes, on réfléchit aux caractéristiques de la ville moderne ; nombreux sont ceux qui souhaitent
l’éclosion d’un style nouveau, adapté au mode de vie contemporain. L’éclectisme des décennies précédentes, c’est-à-dire la propension à mélanger les influences et les références au passé, doit céder la place à une architecture et à des principes décoratifs renouvelés, ayant leur cohérence interne : aux « néostyles », on préfère désormais un japonisme raffiné, une attention aux formes naturelles ou une familiarité avec l’actualité scientifique. Chacun des protagonistes du modernisme catalan mobilise ces éléments, mais avec son identité propre : au sein du mouvement coexistent des sensibilités différentes.
De la même manière, le vaste mouvement de l’Art Nouveau admet, d’un bout à l’autre de l’Europe, des expressions artistiques diverses, parfois presque opposées : à l’arabesque de Barcelone, Paris et Bruxelles répond l’orthogonalité de Vienne ou de Glasgow. Cette diversité fait toute la richesse de l’Art Nouveau et à permis à des personnalités atypiques, comme Gaudí, de s’y épanouir.

Quelles sont les innovations architecturales les plus marquantes chez Gaudí ?
Isabelle Morin Loutrel et Élise Dubreuil – Les innovations architecturales de Gaudí sont liées aux recherches d’équilibre structurel (répartition des charges à travers les éléments porteurs pour éviter les ruptures ou déformations) qui l’occupent constamment, et à son goût pour le rationalisme (la forme donnant la fonction). On repère des constantes chez l’architecte : l’arc parabolique, appelé aussi arc caténaire, dont il n’est pas l’inventeur mais qu’il adopte dès le palais Güell avec ses deux grandes portes d’entrée arquées, qu’il décline en virtuose dans les couloirs formant le cloître du Collège des Thérésiennes, puis en point d’orgue dans les combles de la Casa Milà, entièrement en brique. Cet arc, qui descend jusqu’au sol, a pour avantage de répartir les charges de manière égale et continue, tout en créant une atmosphère enveloppante. C’est une structure souple et solide à la fois.
Un autre trait caractéristique de Gaudí est l’élévation de voûtes très en hauteur sans recourir à des arcs-boutants ni à des contreforts extérieurs. Ses constructions sont révélatrices de sa passion et de ses connaissances en géométrie et en mathématiques, qu’il associe à une observation fine de la nature, tout particulièrement de l’arbre. Découlant de cette expérience, la colonne inclinée devient une nouvelle particularité de son travail. Les piles ainsi construites lui permettent de gérer très efficacement les charges là où elles retombent. C’est très marquant dans la crypte de la colonie Güell, dans les galeries du Park Güell et à la Sagrada Família. Gaudí innove aussi grâce à l’invention de dispositifs de travail comme la maquette « polyfuniculaire »: constituée de chaînes et de sachets de plombs, elle restitue le report des charges ; puis, photographiée, elle permet d’obtenir la forme des voûtes en renversant l’image. Les voûtes de l’église inachevée de la colonie Güell auraient dû être élaborées selon ce principe.
Enfin, Gaudí privilégie les matériaux naturels tels que le bois, le fer, la pierre et la brique auxquels il reste fidèle, les préférant au béton armé dont l’utilisation se répand. Malgré tout, il met en œuvre une sorte de béton pour la Casa Milà, la « pierre artificielle », qui lui permet de travailler l’espace intérieur comme un « plan libre », c’est-à-dire dégagé de tout support.
Cette organisation spatiale, dont la distribution des pièces est libre de toute contrainte de murs, offre des intérieurs alvéolés inédits.
Les innovations sont aussi formelles chez Gaudí, caractérisées par des toitures, des façades ou encore des garde-corps ondulants : ces formes souples, sans ruptures, transforment l’architecture en œuvre plastique, donnant la sensation que la surface est indépendante de la structure, alors que le décor est totalement lié à celle-ci. Gaudí suit en cela le principe rationaliste théorisé par Viollet-le-Duc.

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